Benny’s Video est une œuvre binaire, une œuvre qui prend le soin de doubler ses séquences vidéo, une œuvre qui mêle deux règles du jeu pour un portrait au vitriol d’une classe sociale intouchable. L’agonie du porc est répétée quatre fois, deux fois en vitesse normale, deux autres fois en vitesse réduite ; celle de la jeune fille venue rendre visite à Benny – aussi anonyme que le porc – est filmée puis montrée aux parents ; la stratégie de ces derniers, enfin, se voit transmise aux autorités. Ce faisant, Michael Haneke incarne la duplication de la réalité par la fiction, ou plutôt la transformation d’une réalité en fiction par le biais de la caméra et de sa mémoire la cassette, que l’on peut rembobiner, mettre en pause, accélérer. Filmer et se filmer confère aux images une puissance démiurgique et fantasmagorique, le réalisateur devenant à la fois le maître et le disciple de ce qu’il capte, dans une position instable, un je ne sais quoi qui s’exprime ici par la réponse « je ne sais pas ».


Le cinéaste orchestre un jeu de massacre, un jeu lui aussi dédoublé dont chaque partie dispose de ses propres règles : il y a les règles de la bourgeoisie, rappelées par le père dans la salle de bain à son fils qui sort de chez le coiffeur ; il y a les règles de l’adolescence, qui équivalent à un dérèglement de tous les sens et une attirance pour la mort. En confondant les deux, Haneke attaque la bourgeoisie perçue comme conservatoire d’un puritanisme de surface sous lequel se cache en réalité une inhumanité froide et dégénérée – malgré les coups de soleil pris pendant les vacances en Égypte. Il y a toujours un fond musical pour accompagner la violence, ce qui n’est pas sans rappeler les pratiques nazies qui conjuguaient massacre et musique classique. Aussi l’adolescent oppose-t-il à ce monde dont il hérite et qu’il ne veut pas un miroir, c’est-à-dire sa caméra qui renvoie aux bourreaux l’image de leur crime et à leurs amis remplis de petits-fours celle de leur hypocrisie.


Benny’s Video est une œuvre de révolte qui rejoue la lutte des classes de façon vertigineuse pour mieux penser la vidéo non plus tel un outil de propagande mais comme l’arme qui démasquera les coupables. Le cinéaste compose alors un personnage principal fascinant parce qu’insaisissable, perdu dans un appartement irradié de blanc entre le modèle familial et ses pulsions destructrices.

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le 30 janv. 2021

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