Paul Verhoeven joue une partie de poker menteur avec son public, tant son dernier film aime jouer avec les codes du grotesque. Pour mieux nous déstabiliser ou pour mieux s’enfoncer dans la médiocrité. C’est difficile à dire tant les pistes, lancées ici et là, sont nombreuses. Benedetta est une grande farce, mais d’une grande force, qui s’interroge sur la notion du vrai et la puissance du mensonge.


Que faut-il montrer aux autres pour qu’ils croient en ce qu’ils pensent voir ou savoir. Benedetta et Paul Verhoeven sont bizarrement un peu la même et unique personne, deux alter egos qui puisent leur attraction tant dans la faiblesse des autres (les gueux qui ne veulent pas mourir de la peste) que dans leur force centrifuge (leur faculté d’évocation et d’incarnation). Mais savent-ils eux mêmes ce qu’ils font? Est-ce que Benedetta sait réellement si Jésus lui parle ou sont-ce des hallucinations divines ou gorgées de folie? Paul Verhoeven maîtrise t-il ce grotesque qui irradie le film ou est-il en roue libre pour plaire à sa fanbase déjà acquise à sa cause ? La mise en scène, elle même, nous en apprend peu sur cela : le mystère est intact, pour mieux resserrer le récit sur son trouble et ce portrait porté au nu comme un chemin de croix.


Le dernier film du cinéaste hollandais a la même allure que l’un des derniers vestiges de Brian De Palma : Passion. Deux films, qui se construisent autour des fondamentaux des cinéastes, comme une sorte de synthèse parfaite ou outrancière de leurs thématiques habituelles, mais dont la science de la satire et de la vulgarisation peut rendre illisible la volonté première de l’oeuvre. Mais n’est-ce pas là tout l’enjeu du film? Là où Showgirls prenait le parti de faire le procès de la société du spectacle et de son simulacre permanent, là où Starship Troopers jugeait la confiance aveugle de jeunes citoyens en un système totalitaire, là où Robocop voyait une société se perdre dans une militarisation orchestrée par une idéologie sécuritaire basée sur du vent, et nous pourrions citer bien d’autres de ses films, Paul Verhoeven tout comme De Palma est un caméléon qui ne cesse de franchir les barrières entre le faux et le vrai, ce qui est dogmatique et ce qui ne l’est pas.


Benedetta est un conglomérat de tout ça : une étude maligne sur la force du mensonge, la perméabilité des institutions, la place de la femme dans un univers masculin (patriarcal) et la transgression par le biais du corps. Mais du coup, pour quel résultat? Benedetta c’est un peu Passion qui aurait copulé avec Jeanne D’arc de Luc Besson (et non celui de Dreyer) : ça pique les yeux parfois devant la laideur de l’ensemble, on rigole grassement devant un humour sorti des incursions proches de la grivoiserie des Monty Python, le récit puise dans les ressources habituelles du cinéaste, mais c’est d’un amour assez infini pour ses personnages dont l’érotisation semble moins directe mais plus insidieuse : elle est uniquement présente comme visage de l’émancipation et non comme le gimmick un poil névrosé d’un cinéaste adorant le corps féminin. Ça sent l’amour du cinéma, l’amusement de la provocation un peu ringarde (datée?) mais qui fait toujours son petit effet : on voit des bonnes soeurs lâchées des prouts de forains, des femmes polir des statues pour s’en servir comme godemichets, des femmes faire des lancers de montée de lait avec un large sourire, des hommes se faire chier dessus par des pigeons, des femmes embrasser des salauds pour les imprégner de la peste.


Paul Verhoeven lâche les vannes, s’écarte du premier degré cinglant de Elle ou du sérieux kitsch de Showgirls, pour lancer en pâture un milieu religieux ridicule et corrompu où l’humain doit s’élever face au prophète. Certes, sa vision de l’institution religieuse n’est pas révolutionnaire en soi : des hommes cupides, arrogants, se donnant des privilèges venus du ciel, étant alors des prêcheurs invétérés. Mais rendre palpable ce qui est de l’ordre de l’intangible : voilà la rude mission de Paul Verhoeven. Jouer des codes, se détacher de son cinéma pour rendre abstraites les intentions mêmes de son personnage. Cet amour lesbien, bien rudimentaire, introduit maladroitement et qui s’avère extrêmement factice voir gratuit dans l’histoire, à défaut d’être sulfureux et légitime, n’est-il pas juste un faire valoir narratif pour mieux saisir l’essence même du propos : la croyance de Benedetta en elle-même et sa compréhension du corps?


Pourtant tout semble faux dans le film, comme si le maitre n’arrivait pas à bricoler son spectacle, usant d’un second degré cache misère pour un scénario en vache maigre et figé par un anachronisme récurrent et faussement putride, dévoilant une forme de mysticisme daté (Jésus qui prendrait possession de Benedetta avec sa voix grossière) : tout n’est que simulacre dans un monde où les croyants et les non croyants ne sont-ils pas les marionnettes d’un spectacle aux allures de pétard mouillé. Ou une simple illusion.


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Velvetman
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le 19 juil. 2021

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