En 1945, sur l’île d’Hashima, au large du Japon, s’apprête à se dérouler un fait de guerre aussi dramatique qu’extraordinaire. Une histoire qui nous est ici contée dans Battleship Island, un film dont le nom ne vous dit probablement pas grand chose, tant sa distribution en salles fut anecdotique et terriblement limitée. Une distribution inversement proportionnelle à celle qu’a connu le film en Corée du Sud, où il a connu un véritable succès. Un succès loin d’être volé, et qui rend d’autant plus regrettable sa distribution en France car, n’ayons pas peur des mots, nous avons sans aucun doute à faire à l’un des meilleurs films de l’année.


Il est difficile de savoir réellement par où commencer avec ce film. En effet, ses qualités sont aussi nombreuses que le film parvient efficacement à varier dans les tons et dans les genres pour construire un ensemble puissant et captivant. Nous ramenant à de sombres heures pour la Corée, alors occupée par les japonais, Battleship Island expose la douleur d’un peuple dépossédé de son honneur et de son indépendance par un empire belliqueux et à la domination écrasante. Et, bien que l’intrigue du film a tendance à nous placer du côté des coréens, prisonniers et révoltés, face aux japonais, tortionnaires et implacables, il ne s’agit pas de dire que les premiers sont les gentils et les seconds les méchants. C’est, évidemment, plus complexe que cela.


Battleship Island, sans clairement l’indiquer, et comme assez souvent dans les films coréens, se divise en deux actes. Le premier nous présente les protagonistes du film, leur condamnation et leur incarcération dans le camp de prisonniers de l’île d’Hashima, posant le décor et les enjeux. Le second se penche sur la volonté d’évasion des prisonniers coréens, dans une atmosphère apocalyptique sans commune mesure, et d’une intensité folle. La tension va crescendo dans Battleship Island, nous faisant partir de la douleur de la condamnation, privation des libertés fondamentales, jusqu’à la résurgence d’un patriotisme exalté qui expose surtout, derrière la vision de deux nations qui s’affrontent, le véritable visage de la guerre.


En effet, comme je le disais plus haut, Battleship Island n’a pas simplement pour but de nous raconter l’histoire des gentils coréens qui veulent se libérer des carcans des méchants japonais. La Corée est certes la nation opprimée, mais il faut replacer les choses dans leur contexte, et rappeler qu’à l’époque, le Japon est acculé, l’Allemagne a capitulé, et l’empire japonais dépense ses ultimes forces, avec la menace nucléaire américaine qui se profile à l’horizon. Naturellement, les chefs japonais sont présentés comme des hommes cyniques, sans cœur, voire psychopathes, à des fins narratives, pour créer un antagonisme appelant le spectateur à rejoindre l’engouement des coréens. Mais, derrière, la volonté est de montrer qu’il n’y a pas de bon ni de mauvais dans une guerre, et, surtout, ni gagnant ni perdant. Juste des débris, des flammes et des cadavres, simplement pour asseoir la suprématie des uns sur les autres. Car les armées et les gradés mènent la guerre, mais, derrière, c’est le peuple qui se trouve être la principale victime.


Dans Battleship Island, il y a une vraie maîtrise dans la variation des tons et des ambiances, donnant envie de sourire, de pleurer, de se cacher les yeux, de les écarquiller… Le film parvient à être un spectacle impressionnant, mais avec du drama, de vrais enjeux et des discours pertinents sur la guerre. Les images sont d’une puissance rare, avec des séquences mémorables, capables d’être aussi belles en montrant un concert de jazz dans une salle aux couleurs chaudes, qu’en créant une véritable scène d’apocalypse où les bombes tombent du ciel et sèment le chaos et la mort. Film-somme aussi intelligent qu’impressionnant, Battleship Island est une réussite en tous points. On ne le dira jamais assez, des films comme celui-ci méritent une meilleure distribution. En tout cas, à mes yeux, il constitue l’un des meilleurs films sortis en 2018 en France, et je ne peux que vous inciter à le découvrir.

JKDZ29
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le 26 avr. 2019

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