Le film parvient à éviter le côté souvent pontifiant de ce genre d’œuvre.

Réalisateur, scénariste et producteur, l’acteur Stuart Townsend livre avec Bataille A Seattle un projet qui lui tenait visiblement à cœur. Le cinéma projette souvent sur les faits réels de longue antériorité un regard populiste. La mobilisation altermondialiste de 1999 est, elle, un sujet bien plus brûlant et pourtant le réalisateur parvient à l’observer avec une certaine lucidité. Ce risque n’étant pas suffisant, Townsend décide d’en faire un film choral voué à l’action. Comment ne pas excuser ses quelques manies documentaires avec un tel cahier des charges ?

30 novembre 1999 : Seattle s’apprête à accueillir la troisième conférence de l’OMC (Organisation Mondiale Du Commerce). 30 novembre 1999 : Seattle s’apprête à accueillir un milliers d’Organisations Non Gouvernementales (ONG). Telle est peut-être la formule qu’aurait employée le maire Jim Tobin (Ray Liotta), très attaché à ce que les deux voix soient entendues en cohabitation. Bien que les abréviations puissent prêter à confusion, OMC et ONG ne sont pas du tout sur la même longueur d’onde et la seconde le prouve en empêchant le meeting inaugural de la première. Voilà donc les principales forces actantes du film qui cèdent leurs places à une série de personnages tournants autour de cette lugubre Bataille A Seattle.

Pourtant, les manifestants altermondialistes Django (André Benjamin), Samantha (Jennifer Carpenter), Jay (Martin Henderson) et Lou (Michelle Rodriguez), la vendeuse Ella (Charlize Theron), son mari CRS Dale (Woody Harrelson) et son collègue Johnson (Channing Tatum) n’incarnent pas tous ces deux point de vue antagonistes, mais des présences qui s’unissent et s’affrontent au fil des événements. C’est d’ailleurs ce qui fait à la fois le point fort du film et sa faiblesse. Au lieu de stigmatiser un choc entre la cause des protestataires et celle des grandes puissances, Stuart Townsend préfère se pencher sur l’affrontement entre manifestants et forces de l’ordre. Même s’il risque de décevoir les plus politisés, le parti pris est néanmoins intelligent en ce qu’il impose un regard plus lucide sur la responsabilité de chacun dans ce genre de circonstance. L’OMC n’est pas à l’image car ce sont les policiers qui sont lâchés en pâture à la horde des manifestants, certes pacifistes mais toujours ingérables lorsque l’ampleur de l’événement est gâchée par casseurs et autres intrus tels que les membres du Black Bloc. Sans réelles convictions, ils ne sont souvent que des représentants malgré eux, automates activés par des décideurs haut placés, leur conscience n’étant réveillée que par un souci plus personnel comme c’est le cas pour Dale. Plus motivée, la mobilisation, elle, est néanmoins le fruit d’une multitude de grandes et petites qui n’éclaircissent pas forcément leur propos.

De ce fait, c’est avant tout sur le plan humain que se joue le combat car les valeurs, elles, ne sont pas représentées équitablement. Les contestataires sont pratiquement seuls à l’image sans leur vrai adversaire. Que le réalisateur soit visiblement de leur côté, cela ne fait aucun problème, mais il aurait peut-être été plus intéressant de les confronter aussi avec l’OMC afin de justifier le propos et d’éviter les mauvaises langues qui s’insurgeront au nom d’une quelconque déontologie médiatique. Mais peu importe car Bataille A Seattle a déjà le mérite de tenir la route dans un genre choral qui pèche souvent en rythme et s’éparpille parmi les personnages : c’était le cas pour Bobby. Ici ils sont aussi nombreux mais construisent la diégèse par le biais de leurs rencontres, ne se contentant pas de se croiser. Autre film choral autour d’une actualité – l’assassinat de Robert F. Kennedy –, Bobby n’avait pas l’astuce du film de Townsend qui a compris l’importance de l’action propre à son sujet, là où Estevez n’avait pas su créer un suspense. Le montage parallèle, la caméra portée et le gros-grain participent de l’intention de descendre dans la rue pour en faire un documentaire sur-le-champ.

D’ailleurs, c’est là que Townsend se brûle un peu. Abusant de ces tics de mise en scène, il sème le doute chez le spectateur curieux qui ne sait plus faire la part entre réalité et fiction. En prélude, on nous précise qu’il s’agit de faits réels mais de personnages fictifs. Alors pourquoi filmer la solitude de Dale malheureux errant dans une ruelle de la même manière que la masse de manifestants grondants dans les artères ? Ce qui était un procédé juste pour une cause documentaire se retrouve faussé, prenant ici les contours d’un maniérisme sur-esthétisant. Plus tard, lorsque tous les protestataires emprisonnés sans raison sont relâchés dans le happy-end, nous ne savons plus s’il s’agit d’Histoire ou d’histoire, sous peine de connaître le dénouement véridique de cette lutte.

En réalité, le rapport tout entier du film à l’Histoire est intéressant : si Townsend ne cache pas ses impressions, son film, lui, parvient à éviter le côté souvent pontifiant de ce genre d’œuvre – seulement 1h38 pour un film « politique » ! Malgré certains clichés et les risques pris à la fin quand l’inévitable florilège d’informations chiffrées commence à surgir sur fond de photos d’actualité, le choix musical des morceaux aux tons plus légers joue en décalage avec la furie qui incendie l’image. Voilà comment le petit péché démonstratif de ce genre de film peut néanmoins être corrigé par un traitement somme toute assez mesuré de celles qui sont aujourd’hui les agitations d’un monde finalement bien calme.

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Auteur : Wesley
LeBlogDuCinéma
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le 25 juil. 2012

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