Ce film magnifique est pourtant loin d’avoir fait l’unanimité de la critique, au Mexique comme à l’extérieur. Cet accueil mitigé est moins étonnant chez les étrangers que chez les Mexicains car, pour bien en apprécier toute la richesse, il est utile de bien connaître la culture complexe et torturée du Mexique. Les Mexicains lui reprochent en particulier le narcissisme du réalisateur, qui se met lui-même en scène du début à la fin. Mais est-il est déjà venu à l’idée d’un critique de livre de reprocher son narcissisme à l’auteur d’une autobiographie? Le film d’Iñarritu est la narration d’une vie personnelle, l’histoire des déchirements vécus par un authentique Mexicain qui s’est lui-même déraciné de son pays sans jamais réussir à se départir de ses racines profondes, et qui exprime tout ce qu’il ressent en retrouvant ce pays pour un moment. Il se fait avec un profond amour qui transcende toutes les critiques et tous les sarcasmes qu’il peut exprimer à l’égard de ce pays. Et ce faisant, il incarne à la perfection l’âme du Mexicain, pour qui la critique de son propre pays est un sport national, mais qui n’aime pas lui-même se voir décrit dans ses aspects les moins glorieux. Le scénario du film peut aussi déconcerter certains spectateurs, même si sa facture est une splendeur du début à la fin. Nous sommes habitués à regarder des films en ayant au moins l’impression d’en comprendre la trame narrative, ce qui n’a rien d’évident dans Bardo. Pour aimer ce film, il suffit pourtant de se laisser conduire dans ce voyage d’exploration sans chercher à y trouver un fil conducteur qu’on pourrait suivre du début à la fin. Ainsi abandonné au merveilleux réalisme magique mêlé au surréalisme de ce film, il est pourtant assez facile de se laisser porter sans avoir à analyser tous les enchaînements, car la magie des images et des thèmes nous surprend sans cesse et nous envoûte du même souffle. L’une des scènes les plus intenses est peut-être cette courte scène où un prisonnier vêtu d’orange nous bombarde de vérités toutes plus indigestes les unes que les autres. Et l’une des scènes les plus étranges est celle où le héros voit ses trois salamandres répandues sur le plancher du train urbain. On peut penser qu’Iñarritu les a choisies parce qu’il s’agit d’une espèce très singulière, qui vit dans le lac de Xochimilco, près de Mexico. Cette espèce, dont le nom Nahuat, Axolotl, signifie « monstre d’eau », passe toute sa vie à l’état larvaire et possède d’étonnantes capacités, comme celle de régénérer des parties de son corps aussi complexes qu’un œil ou une partie du cerveau.  On peut penser que le héros y a vu une image inspirante de son propre rêve de régénération. Le réalisateur a d’ailleurs pris soin de faire dévoiler le nom de cette créature étrange par un personnage secondaire, de façon à permettre aux curieux de se satisfaire. Comme quoi les commentateurs aussi peuvent laisser transparaître leur narcissisme.

DenisBlondin
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le 30 mars 2023

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Denis Blondin

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