Faire un film de Barbie, poupée sexuée mais sans histoire autre que celle que les enfants lui attribuent, n’est pas une mince affaire. De films d’animation datés et oubliés (Barbie et les rockers, 1987), de contes de fées exhumés en 3D toute pingre, de mains en mains (celles de Diablo Cody, Amy Schumer ou encore Anne Hathaway), l’icône n’aura jamais complètement accompli sa transition vers le grand écran. C’est toute la promesse du Barbie de Greta Gerwig, écrit de concert avec son partenaire Noah Baumbach : pas seulement de faire un film mettant en scène Barbie, mais de faire un film « sur Barbie ». Il n’est pas question ici du personnage, façonnable à l’envi, presque servile, mais de l’objet lui-même : la poupée Barbie.

Le défi est de taille, et la solution au problème modeste. La bien réelle Margot Robbie incarne Barbie ; le tout aussi véritable Ryan Gosling est Ken ; et quelques paravents peints en rose jouent à jouer « la maison de rêve ». Tout méta qu’il cherche à être (une publicité délibérément mensongère ouvre le film en grande pompe), Barbie oublie ainsi trop souvent de réfléchir à sa propre nature de film de chair et d’os. Quelques gimmicks malins empruntés à l’imagination des enfants (Barbie ne descend jamais les escaliers de sa maison, mais flotte gracieusement jusqu’à son cabriolet rose) ne suffisent pas à vendre l’illusion d’une poupée soudain amenée à la vie.

Une idée, dans le fond passionnante, ébranle l’artifice de cet univers : Barbie est soudain prise d’idées morbides, qui pourraient, en creux, lui donner l’envie de vivre (pour « de vrai »), puis mourir. Ce serait du Sartre dans le texte si Sartre avait été un optimiste, mais le film n’en fait rien pendant la quasi intégralité de son interminable durée, préférant une confrontation grotesque entre matriarcat et patriarcat qui ne dit rien de notre époque, si ce n’est que la société est tout de même bien injuste et qu’un peu de confiance en soi règle tous les problèmes. Les raccourcis sont évidents et le discours prémâché, même s’ils laissent à Ryan Gosling, en particulier, l’occasion de délicieusement cabotiner.

Quand le film tente de raccrocher les wagons, il n’a déjà plus de sens. Qu’une Greta Gerwig définitivement plus intéressée par l’humanité possible (authentique ou par procuration) d’une poupée que par une dissertation de sixième sur le sexisme y démontre quelques idées de mise en scène n’y change rien. Barbie est finalement bien moins que la somme de ses parties, déviant d’un possible conte métaphysique en rebranding faussement malin d’une marque à bout de souffle. Un final salvateur, qui espérons-le n’appelle aucune suite, remet de l’ordre dans les intentions de la réalisatrice, mais ne corrige pas ses errements. La publicité peut certes avoir de la suite dans les idées, cela n’en fait pas du cinéma pour autant.

ClémentRL
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le 20 juil. 2023

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