J'ai l'impression que chaque film de Céline Sciamma s'améliore face au précédent… bon, je dis ça, mais avec le karma que j'ai, l'avenir me donnant tout le temps tort, je risque de détester Portrait de la jeune fille en feu.


Plus sérieusement, premier détail à noter avec ce Bande de filles : il s'éloigne en partie du cinéma naturaliste des deux premiers films de la réalisatrice. Surtout grâce à quelques artifices, comme les jeux de lumière et ralentis notamment, mais n'en devient pas « artificiel » pour autant. La réalisatrice ne se trahit pas. Bien que Sciamma continue à filmer la banlieue, en été qui plus est, on se retrouve face à un nouveau type de banlieue : aux antipodes de la banlieue pavillonnaire de Naissance des pieuvres, plus proche de la banlieue plus populaire de Tomboy, dans Bande de filles, c'est la cité qui « est filmé ».

« Est filmé » ? Pas vraiment en fait, car tout comme pour ces deux autres films, ce n'est pas la banlieue en tant que telle qui est le sujet du long (et Céline Sciamma ne commet pas l'erreur de faire un film sur LA banlieue, avec tout le misérabilisme ou le fétichisme qui va avec, avec le foot, le rap et l'islam), mais les personnages qui s'y trouvent, et surtout la personne qui s'y trouve : Marieme (Karidja Touré).


Tout comme dans Naissance des pieuvres, mais surtout Tomboy, Bande de filles nous fait suivre un personnage qui va tenter de se trouver, de découvrir son identité. Mais contrairement à un Naissance des pieuvres, qui restait trop en surface selon moi, et contrairement à un Tomboy, qui se concentrait sur le mensonge (surtout) face aux autres, dans Bande de filles, bien qu'on retrouve aussi cette idée de se créer « un nouvel avatar », c'est davantage le personnage principal qui se ment à elle-même. Ainsi, Marieme va revêtir plusieurs identités : troquant ses habits de collégiennes, un style et un comportement plutôt discret, pour celui de Vic, pour celui des bandes de filles que Céline Sciamma a croisé à plusieurs reprises dans la vraie vie, et dont les nombreuses rencontres « dans le quartier des Halles, dans le métro, à la Gare du Nord » sont à l'origine de ce film. Mais Marieme ne se contentera pas de revêtir simplement cette tenue durant les presque 2h de film pour ensuite naïvement revenir à sa vie d'avant. Outre une certaine élévation dans ce groupe, Marieme devenant en quelque sorte la leadeuse pour un court moment, elle revêtira l'apparat de la femme sexy durant une courte soirée pendant laquelle elle doit vendre de la drogue, avant de faire tout l'inverse et de cacher le plus possible sa féminité. Le long brasse large, sans pour autant donner l'impression d'en dire trop ni pas assez. Le thème principal, toujours composé par Para One (déjà présent sur Naissance des pieuvres et Tomboy), revenant à plusieurs reprises, mais amélioré, souligne l'évolution du personnage principal, le fait qu'il ne s'agit pas d'un simple aller-retour.

Autre détail intéressant à noter, malgré le club de football américain ou sa famille, Marieme est un personnage très solitaire. Là encore, les différentes identités qu'elle va revêtir sont là pour mieux la ramener à cette solitude du départ : si la fin peut être interprété de plusieurs manières, elle est cependant univoque quant à ce qui concerne la solitude. Il faut dire aussi qu'elle n'a de liens qu'avec deux autres personnages : sa sœur et son petit ami. Une vraie complicité émanant du premier duo, là où, pour ce qui concerne le couple, le regard femme/homme se voit totalement inversé : Ismaël étant le personnage mis à nu, celui dont on filme les formes.

En ce qui concerne les autres personnages, outre une mère avec qui Marieme ne montre aucun signe d'affinité, c'est chez son grand-frère, qui remplace alors la figure paternelle, Djibril, qu'on retrouve le comportement le plus violent : toujours agressif, cloitré devant sa Xbox 360 la plupart du temps, le seul moment où il se montrera agréable avec Marieme sera juste après qu'elle s'est battu contre une autre fille pour défendre l'honneur de Lady, la leadeuse originel du groupe. Déso mais pas déso pour les quelques mâles alpha de SensCritique, le seul autre homme du film, Abou, est quelqu'un d'extrêmement toxique, une sorte de caïd dont on ne doute pas du fait qu'il soit aussi violent que le grand-frère de Marieme. Dans cette même logique, la fois où Marieme rejoindra un groupe d'homme vers la fin, ce sera pour devenir toxique à son tour.


En cela, on pourrait croire que le titre, ainsi que l'affiche du film, sont mal choisis : encore une fois, ce n'est pas un groupe au centre du récit, mais bel et bien un seul et même personnage. Marieme n'étant finalement que la remplaçante du quatrième membre et le reste du groupe n'est de toute façon jamais filmée quand elle n'est pas là. D'ailleurs, il me semble qu'aucune scène ne se termine sans avoir capté le regard de l'actrice principale, appuyant alors son rôle d'observateur. Pourtant, cette même bande de fille est surtout une sorte de « tremplin » pour Marieme, un tremplin lui permettant de se découvrir, un passage temporaire certes, mais tout de même nécessaire pour la construction du personnage. Un récit d'apprentissage quoi.

Pour avoir consulté quelques interviews de Céline Sciamma, elle avait conscience, avec Bande de filles, que c'était la dernière fois qu'elle filmait des enfants. À partir de là, on comprend que Naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles forment un triptyque, une sorte de « trilogie cachée » sur la découverte de l'identité. Et à partir de là, forcément, Bande de filles étant le dernier des trois, on devine que c'est lui qui évoque le plus le passage à l'âge adulte (je n'ai pas encore vu Portrait de la jeune fille en feu… ce serait vraiment con que je me trompe). Et à partir de là (c'est la dernière fois promis) l'artificialité du film prend tout son sens, renvoyant directement à l'artificialité que l'on retrouve lors de l'adolescence.


Bref, Bande de filles fut une très bonne surprise, en plus d'être un très bon film. À vrai dire, le seul défaut que j'aurais à noter est la présence d'éléments qui permettent de dater l'œuvre : une Xbox 360, Fifa, un Samsung Galaxy S3. Défaut assez curieux, qui aurait pu être facilement évité, et que Céline Sciamma avait réussi à éviter justement avec ses deux précédents films. Surtout que mis à part ces quelques éléments, le long n'a pas pour volonté de s'inscrire dans une époque bien particulière.

En tous cas, j'avoue avoir reçu une petite claque devant ce film qui, mine de rien, m'a beaucoup parlé malgré mes nombreuses différences avec le personnage principal. Un film qui a bien plus de sens qu'il n'y parait en somme.

Créée

le 5 mars 2024

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MacCAM

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