Depuis quelques années, l’actionner américain semble en proie à un essoufflement de plus en plus voyant. Après avoir connu ses heures de gloire durant des années 80/90 prolifiques, où il fut manié par des cinéastes talentueux comme Cameron, McTiernan et Mann, le genre commence à péricliter à l’aune du XXIe siècle. Difficile de situer un moment précis dans ce revirement, mais le succès de Matrix, en 1999, en fut peut-être un des premiers indices. En s’adonnant aux joies du tout numérique, l’action ne s’envisage désormais plus sous le même prisme. L’image, sa véracité y deviennent constamment remises en question et cette lutte, qui oppose le vrai du faux, a été adopté par bien des cinéastes modernes. Outre les Wachowski, cités précédemment, c’est aussi le cas du cinéma de Nolan, qui travestit les codes du film d’action pour mettre à mal le concept même de « réalité ». Les actionners « à l’ancienne » ne se limitent plus qu’à de vagues séries B médiocres, dans lequel pataugent souvent les mêmes interprètes ou artisans désabusés. C’est finalement dans son alter-ego asiatique que l’on trouve des résidus d’’une forme d’action désormais envolée. Une action crue et honnête, qui retourne à des effets pratiques et à des intrigues terre-à-terre.


Néanmoins, parmi cette myriade de cinéastes américains s’essayant aux films d’action, un seul a su tirer son épingle du jeu, en retournant à une action plus traditionnelle : Michael Bay. Souvent conspué, il n’en conserve pas moins une carrière insolite, faisant presque office d’exception dans le paysage cinématographique hollywoodien, puisque, lorsqu’il ne succombe pas aux travers du numérique à travers ses Transformers, Bay demeure un des derniers représentants d’une vision passéiste du genre. Le meilleur exemple, à mes yeux, réside dans le joyeux bordel qu’est Bad Boys II, paru en 2003. En reprenant ici le duo formé par Will Smith et Martin Lawrence, suite à un premier volet plutôt moyen, Bay orchestre ce qui reste encore aujourd’hui une des œuvres les plus folles des années 2000. Une montagne russe, qui nage dans un chaos constant et qui est régie par une seule règle : Bigger is better.


Seulement, pour accéder à l’extase que promet Bad Boys II, il faut savoir faire l’impasse sur bien des choses. Alors que les années 2000 se tournaient petit à petit vers une politique plus progressiste, où l’on commence enfin à accepter son prochain quelles que soient ses différences, l’œuvre de Bay résonne comme une exception. Une pure vision passéiste qui, lorsqu’elle ne verse pas dans une homophobie, un racisme ou une misogynie crasse, est simplement envahie par un sentiment général de connerie. L’expression peut paraître barbare, mais pourtant, difficile de résumer autrement le script de George Gallo et Marianne Wibberley, qui donne constamment l’impression de croiser le buddy-movie à la McTiernan avec un sketch de Jean-Marie Bigard. Ainsi, dans une ville où même la population animale semble autant en proie à une libido excessive que nos deux héros, difficile d’être pleinement investi dans des enjeux que le film semble lui-même oublier ou désamorcer par un humour grossier.


Et, lorsqu’il n’est pas occupé à rire grassement des ébats de ses personnages, Bad Boys II s’occupe aussi de bâtir un monument nationaliste, sur lequel trône la politique autocentrée des États-Unis et sa conception complètement rétrograde de la justice. Ça tire à tout-va, ça explose et la parole n’a jamais sa place dans cette ville de Miami, où le procès-verbal est remplacé par un tir de fusil à pompe dans la carotide. Même les tensions avec Cuba, sujets importants des années 2000, sont à peine évoquées par quelques militaires, plus intéressés par le nombre de chargeurs qu’ils videront sur les forces militaires adverses que par la diplomatie. La caméra de Bay n’aide pas à contredire cet esprit interventionniste, qui se dégage d’une œuvre assurément réactionnaire. Au contraire, l’auteur semble pleinement conquis à l’idée de pouvoir le sublimer. Ainsi, les avions militaires apparaissent dans de beaux contre-jours et sont presque élevés à l’état d’interventions divines tandis que nos héros sont constamment ennoblis par des contre-plongées outrancières. Mais finalement, c’est peut-être là que réside tout le plaisir incontrôlable que parvient à distiller le long-métrage.


Sous sa bêtise générale, se cache effectivement une pure volonté de divertir quoi qu’il arrive, et ce, sans jamais s’imposer de barrières. Si Michael Bay le peut, Michael Bay le fait. Par conséquent, la caméra virevolte dans tous les sens et ouvre le champ des possibles à une action excessive, qui capitalise tous les points de vue. L’espace devient volontairement brouillé et fragmenté par un montage confus, embrassant la logique même du chaos. Le tout devient donc le générateur d’un joyeux bordel, qui ne peut laisser indifférent. Bad Boys II éructe, hurle et s’agite continuellement, pour le plus grand plaisir d’un public émerveillé par la danse pyrotechnique et physique, s’agitant sous ses yeux. Les maladresses d’écriture sont innombrables, mais sont finalement reléguées au second plan, loin derrière un spectacle dantesque, qui va même jusqu’à faire exploser un bidonville entier, dans une sorte de relecture grand-guignolesque de Police Story, avant de se conclure dans un simili western, qui dope le face-à-face de Leone à grands coups de ralentis et de cadres débullés. D’aucuns pourraient alors reléguer Bad Boys II à ce type de films « qui nécessitent de poser son cerveau ». Or, chez Bay, le cerveau est au contraire plus que jamais impliqué. Le cinéaste convoque nos sens et requiert une pleine concentration de son audience, si elle souhaite profiter au maximum de son style.


Un style outrancier dont les effets de style, avant de devenir un vecteur de propos dans le très bon No Pain No Gain, servent ici une simple et noble cause : divertir, au sens le plus noble du terme. Ainsi, les ralentis ne sont pas là pour marquer l’inéluctabilité de la mort, comme chez Peckinpah, le décor urbain n’a pas une portée psychologique pour ses héros, comme chez Mann, … Au fait, avec Bad Boys II, c’est le show qui compte avant tout. Un spectacle fou, dont la connerie est aussi impressionnante que la démesure, et dans lequel Michael Bay, tel un jeune enfant en bord de plage, s’amuse à construire son plus beau château de sable, avant de le détruire compulsivement juste après.


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PaulPnlt
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le 13 févr. 2021

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