Critique initialement publiée sur le site Le Con, Le Culte et Les Ecrans.

« La télévision ne peut pas critiquer la télévision (…) parce qu’elle utilise les mêmes dispositifs » écrivait Pierre Bourdieu en 1996 dans le Monde Diplomatique. Faisant suite à sa participation à l’émission Arrêt sur Images, dans laquelle il s’est senti piégé, Bourdieu soulève une question, sur l’utilisation de ce que l’on dénonce, qui peut se décliner à l’infini et notamment dans le milieu artistique. De Natural Born Killers et sa violence exacerbée à Spring Breakers et son étude des mœurs adolescentes époque MTV, en passant par le Funny Games d’Haneke ou le Orange Mécanique de Kubrick la liste est longue et le débat reste aujourd’hui ouvert sur l’efficacité du procédé.


Pour autant Damien Chazelle, après le discutable Wiplash, mais les fort réussis Lalaland et First Man, veut apporter sa pierre à l’édifice et entreprend de dénoncer la vulgarité hollywoodienne avec un film qui évite soigneusement (presque) toute forme de délicatesse.


Nous sommes dans les années 20, Hollywood s’apprête à vivre sa révolution avec l’apparition du cinéma parlant et Chazelle s’intéresse aux destins croisés d’uns star du muet, d’une jeune actrice pleine de promesse, et d’un sous-fifre prêt à tout pour gravir les échelons dans cet univers de requin.


Si le postulat de départ est plutôt séduisant sur le papier, ce triple Rise and Fall s’englue bien vite dans le développement de ses personnages par un manque de direction d’acteur (Margot Robbie rejoue la même partition depuis 10 ans.), mais surtout à cause d’une misanthropie assez folle.

Film légèrement scato au premier degré (il faut voir l’éléphantesque scène d’introduction pour y croire.), il est regrettable qu’il le soit de façon plus métaphorique lorsqu’il s’agit de replonger la tête des perdants ad nauseam dans la merde.


Entendons-nous bien, je n’ai rien contre la vulgarité, mais chaque pièce à son revers et la vulgarité sans un peu de réflexion aboutit bien vite à de la bêtise pure.


Si la scène orgiaque du début impressionne par sa virtuosité technique, cette même virtuosité va étouffer, secondes après secondes, chaque centimètre de l’écran et on se retrouve rapidement enfermé dans un long diorama asphyxié qui trouve en l’excellente musique de Justin Hurwitz une respiration artificielle. Tout est réglé au millimètre, enjolivé à l’extrême, programmé pour ne jamais dérailler tout en clamant haut et fort son irrévérence. L’équivalent au cinéma de cet électeur de Francois Bayrou qui vous explique en pleine fête de l’Huma à quel point le centrisme est punk.

Plus gênant encore, le film va troquer sa vulgarité d’opérette (assez similaire à celle de Baz Luhrmann d’ailleurs) pour de l’obscénité pure le temps d’une scène de suicide que je trouve dégueulasse tant pour le personnage que pour le spectateur.


On croit un instant à la rédemption du film le temps d’une scène éblouissante où un Brad Pitt en bout de course contemple, les larmes aux yeux, un chaos qu’il aime sincèrement, mais le film repart aussitôt dans ses travers de petit-malin.


Épuisant et épuisé, le film se vautre lamentablement dans sa dernière ligne droite risible qui, en pensant jouer les gros cerveaux en citant 2001 l’odyssée de l’espace, n’accouche que d’une médiocre conclusion à peine digne d’une rédaction étudiante qui s ‘appellerait « I ❤ Cinéma ».

Dans une période qui nous a offert plusieurs grandes œuvres sur le cinéma d’antan avec un Fablemans pétri d’humanité, un Licorice Pizza malicieux ou même un Apollo 10 1/2 trop vite oublié, Babylon fait bien pale figure.


En essayant de retourner l’armement hollywoodien contre lui, il se prend les pieds dans le tapis, n’aboutit qu’à un Gloubi-boulga trop sage pour être pertinent et trop aigri pour être attachant. Un ersatz d’Icare qui, en visant le soleil, fini rôti sur le bûcher des vanités… Bourdieu avait raison.

AdrienGarraud
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le 11 sept. 2023

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