Avatar - La Voie de l'eau est un film, malgré ses 3h15, d'une grande densité, dont il est difficile d'appréhender le plus gros des défauts tant ceux-ci s'accumulent dans son déroulé ; mais de manière générale, outre qu'il est à mon sens un objet esthétique médiocre, la vision qui y est déployée me dérange profondément.

Pour commencer, il faut quand même le noter, le film n’arrive même pas à rendre cohérent son postulat de départ au niveau de l’écriture, j’entends qu’aucune des prémisses de base du scénario ne paraît logique :

1/ la résurrection de Quartich remet en question l'existence même du film, car si ce genre de procédure était faisable il n’y aurait en premier lieu jamais eu besoin de faire appel à Jake Sully et le premier film n’aurait pas de raison d’être ;

2/ la naissance de Spider n’est jamais mentionnée avant le premier opus et semble improbable autant pratiquement qu’au niveau de la caractérisation de Quaritch (d’autant plus évident que le film laisse clairement entendre qu’il connaissait l’existence de ce fils dans le premier film alors que ça n’était pas évoqué) ;

3/ la décision de Sully de quitter son village pour se réfugier plus loin est absurde (les Na’vi de la forêt, séparés de leur chef, n’en sont pas moins vulnérables aux attaques des humains qui visent de toutes manières à les anéantir, et il ne faisait aucun doute qu’ils pourraient le rattraper plus loin).

Par ailleurs les personnages n’ont aucune substance et servent juste de prétexte à empiler des péripéties, constamment forcées et dont on a l’impression que Cameron les a insérées par crainte de perdre le spectateur s’il avait fait un film centré sur la vie des Na’vi et l'exploration de la faune et flore de Pandora. Il y a trop de personnages mais aucun n’ont droit à un développement profond, ils sont tous archétypaux.

Pour palier au manque de substance des personnages, Cameron demande à Zoé Saldana de cabotiner lors des séquences d’émotion ; malheureusement ses efforts anéantissent tout espoir d’être vraiment ému.

La vision de la famille que prône Cameron est consternante. Archaïque et patriarcale, ce qu’on pourrait encore accepter pour peu qu’on ait le sentiment que cette famille existe vraiment, mais les personnages n’interagissent que par sermons et n’ont jamais droit à des moments de vie qui semblent authentiques (j’entends autres que des séquences clipesques du montage visant à montrer à peu de frais qu’ils sont bien une famille parce que là ils chassent en souriant).

Cameron idéalise la nature à un degré tel qu’elle en devient fade et purement plastique, superficielle.

On se contente d’admirer des créatures comme dans un zoo ou un safari, on n’assiste jamais au fonctionnement réel de ces univers. Même les simili-panthères du premier opus ici n’attaquent pas Quaritch : la nature est aseptisée à un degré grotesque qui, en plus d’être factuellement inexact, affaiblit le propos. Car qui aime la nature uniquement pour les qualités plastiques de ses plus beaux paysages ne la connaît en fait pas : il faut aussi pouvoir accepter sa cruauté, ses dangers, ce qu’elle a de laid et fascinant pour prétendre l’aimer. Ce que Cameron maintient constamment dans le hors-champ, à l’exception d’une séquence sans intérêt de course-poursuite entre Lo’ak et un genre de gros requin.

La direction artistique des créatures est d’ailleurs très peu inspirée, ressemblant très exactement à des hybrides de créatures terrestres, et le design sonore est encore plus pauvre, ne consistant qu’en des sons desdits animaux légèrement retravaillés. Le spectateur n’a jamais la sensation de découvrir des créatures uniques, mais plutôt de chercher à reconnaître à quel animal déjà connu de lui peut-être assimilé telle nouvelle créature. Cameron aime la découverte de la nature tant que celle-ci nous est déjà connue et nous ressemble. Pire, il asservit la nature au déroulé de ses péripéties : et la plupart des créatures présentées n’existent qu’en tant qu’elles servent le scénario ; qu’elles fassent office de monture, d’antagoniste lors d’une séquence de course-poursuite anecdotique ou de deus ex machina grossier, l’univers ne peut exister que pour servir la vision de Cameron.

À ce sujet, il est intéressant de noter qu’un témoignage d’une ethnomusicologiste ayant travaillé sur la musique du premier Avatar rend bien compte de la vision des choses de Cameron : « “Jim [Cameron] wants to break with Na’vi tradition and use a very beautiful, stirring, soulful, melody sung by all and understood by all from Oklahoma to South Dakota. A Na’vi ‘Amazing Grace,’ so to speak” ». Même si elle se montre très bienveillante à l’égard de Cameron, son article rend bien compte de la manière dont, demandant au départ de chercher des sonorités complètement unique pour créer une bande-originale aux sonorités extraterrestres, il a peu à peu aseptisé le rendu final en demandant à chaque fois aux compositeurs de rendre plus américaine (littéralement, "from Oklahoma to South Dakota") la bande-originale du film, jusqu’au rendu final il faut l’avouer peu excitant qu’on connaît maintenant.

De manière générale, le film est très mal pensé au niveau sonore, que ça soit donc le manque d’inspiration du design sonore – si l’on ferme les yeux, on pourrait quasiment être devant n’importe quelle film avec des créatures extraterrestres –, que dans l’omniprésence de sa bande-originale, pure facilité pour susciter artificiellement une émotion qui n’existe pas à l’écran. On sent que Cameron est un cinéaste de l’image, et uniquement de l’image. Je trouve aberrant pour qui prétend passionné par l’ornithologie de ne pas s’intéresser davantage aux cris de ses animaux, par l’exploration sous-marine de ne pas proposer un traitement plus intéressant du son sous l’eau (il y a une quantité folle de sons uniques qui nous parviennent depuis la mer).

Bégaudeau souligne justement que le film ne démarre que lorsque les humains retournent sur Pandora ; autrement dit, que lorsqu’un conflit au sens scénaristique du terme débarque. Témoignage d’une obtusité de Cameron qui préfère sacrifier son propos à une structure scénaristique académique : le film, qui se voudrait un pamphlet prônant le retour à la simplicité, est construit selon une logique de « croissance », une débauche de moyens scénaristiques (le plus symptomatique étant sans doute les Xaines retournements de situation du climax) et technique pour impressionner le spectateur.

De manière générale, le rythme du film est bien trop soutenu, et ce pour aucune valable raison, parce que Cameron s’étale et multiplie les bases pour des sous-intrigues sans intérêt qu’il n’exploite jamais jusqu’au bout : il rend incohérent son univers et refuse de se réinventer en tant soit peu en allant jusqu’à ressusciter l’antagoniste du premier film – ce qui s’explique difficilement tant celui-ci était peu charismatique et marquant, il aurait été plutôt judicieux de profiter de sa mort pour proposer quelque chose de plus intéressant, et comble de l’horreur, il le sauve à nouveau in extremis à la fin de ce dernier opus ; il introduit un personnage secondaire – Spider – dont la présence dans cet univers n’apporte rien thématiquement (la difficulté de s’introduire à une autre culture était déjà le sujet du premier film, et n’est de toutes manières pas traitée ici, sa relation avec son père se résumant à deux ou trois séquences d’à peine trois minutes chacune) ; il prépare une romance entre Lo’ak et la fille du roi des Na’vi de l’eau, mais son manque de subtilité est pour le coup franchement ridicule (la moitié de la salle a ri lors du premier plan sur la fille), mais ne l’emmène nulle part ; il évoque une rivalité entre Neytiri et la Reine des Na’vi de l’eau, n’en fait rien (la Neytiri audacieuse et attachante du premier film s’étant muée en bonne femme de patriarche, elle est totalement en recul et n’existe quasiment plus).

Cette surcharge dans l’écriture pressurise le montage, qui se retrouve à faire jaillir les plans à un débit hystérique. Les séquences s’enchaînent sans aucune gestion de la temporalité, ce qui contribue à accentuer la sensation de vacuité de l’univers. De fait, malgré un travail en effet bluffant au niveau visuel, le film n’est jamais crédible à cause de cette gestion catastrophique du temps ; on n’éprouve jamais la durée, les séquences n’ont pas le temps de s’ancrer dans un décor. Cameron prétend aimer la nature mais il n’immerge jamais le spectateur dedans, il n’apprécie que ses qualités plastiques superficielles (une belle eau claire, une végétation luxuriante et luminescente), mais ne nous permet pas d’accéder à la contemplation. Accentué par l’omniprésence de la bande-originale, si bien que le film fout finalement littéralement mal au crâne.

Ironique que Winslet soit parvenue à un record d’apnée de plus de sept minutes pour un film qui ne contient probablement dans son montage finale pas un seul plan de plus de cinq secondes (sans exagération, s’il y en a, ils se comptent sur les doigts d’une main).

Les séquences s’enchaînent à un rythme très soutenu donc ; elles sont toutes pressées au maximum pour délivrer les informations qu’il faut (la plupart du temps, pas des informations de scénario mais surtout des informations visuelles, des sensations, car Cameron cherche à noyer les sens du spectateur).

Plus particulièrement, les séquences d’action sont forcées, ne sont jamais motivées par une nécessité esthétique. Pas particulièrement bien filmées, ni inventives dans leur déroulé (la séquence de bataille finale dans l’eau pourrait clairement être substituée à celle dans les airs du précédent film), on subit leurs incalculables rebondissements en attendant la victoire inéluctable du bien sur le mal. Certains choix de mise en scène précisent et semblent justifier ce ressenti : en particulier le montage alterné final du combat entre Sully et Quaritch et les déambulations de Neytiri et leur fille dans les dédales du bateau submergé, qui semble dire : je m’en fous de faire vivre ses situations, je vous tiens juste au courant de leur déroulé, en temps réel.

En somme, malgré une plastique techniquement superbe, Avatar 2 n’en reste pas moins un film d’un classicisme quasiment rétrograde, incapable de faire coïncider ce qu’il voudrait être son propos avec ses parti-pris effectifs, et asphyxiant tant la débauche de moyens qu’il met en œuvre pour impressionner le spectateur s’avère représentative d’un gigantisme industriel écrasant, qui, dans une sorte d’inversion paradoxale - et ironique -, détruit les moments de contemplation et de substance de l’univers. L’éloge d’une vision pathétique du cinéma qui ne se conçoit qu’en tant que force totalitaire déformant le réel pour le faire rentrer dans le carcans borné d’une logique commerciale, au lieu de laisser le cadre devenir un lieu d’éclatement et d’admiration de la vie.

VizBas
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le 22 juin 2023

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VizBas

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