En regardant ce film, on finit par plus penser à ce qu'il aurait pu être plutôt qu'à ce qu'on vient de voir ; ce sentiment, qualifié de regret, révèle surtout la grandeur de l'intérêt et de la qualité qu'aurait pu apporter cette suite d'Avatar, plutôt que n'être qu'un simple "film à gros budget" au sens propre, c'est à dire : un budget, et rien d'autre.
Car, si l'on a salué les belles images de ce film, elles ne doivent en rien à un quelconque rendu artistique de la part de James Cameron, mais bien aux talents assez inimaginable des graphistes et des concepteurs des effets visuels, bien aidé par l'arrivée de nouvelles technologies bluffantes. Ce film, en effet, constitue une formidable fenêtre vers l'horizon offert par la technologie 3D, qui crée entièrement un monde à partir de rien. Certes, le film joue parfois trop sur cette ambivalence entre prise de vue réelle et image 3D, comme lors de cette bataille/chasse à la baleine où l'enchaînement de plan montrant tour à tour l'équipage humain ( en prise de vue réelle) et les navis ( en 3D) paraît être juste une tentative un peu maladroite d'accentuer l'opposition entre ces 2 bords ; néanmoins, le plaisir visuel est tel, notamment avec les reflets dans l'eau, que l'on ne peut que le saluer pour ça.
Cependant, James Cameron n'est pour rien ( ou pas grand chose) dans ce miracle technologique. Usant d'une simplicité mièvre dans sa réalisation, allant soit reprendre les codes des batailles Marvel dans la dernière demi-heure, soit se complaire dans une posture quasi documentariste animalier, il ne peut se servir de l'incroyable matérieau qu'il avait entre les mains. Il ne réussit au fond qu'à bien maîtriser les ressorts narratifs basiques, comme les effets de surprise, qu'il utilise de nombreuses fois dans ce film en usant toujours de la même dynamique dans la scène et des mêmes effets visuels pour l'amener, ou bien l'image canonique du fils désobéissant à l'ordre de son père quelques secondes après son départ afin de prouver qu'il est, lui aussi, un homme.
Cette obsession quasi névrotique pour cette confrontation du fils avec le père, ou la désobéissance permanente révèle à la fois les manques d'un scénario vide et nécessitant donc de multiples pirouettes pour retomber sur ses pattes, mais également une imagerie évidente des superproduction d'Hollywood depuis 30 ans, où le fils trouve son aboutissement dans la désobéissance à son père, situation le mettant dans l'embarras et lui permettant ainsi de prouver sa valeur à celui-ci ; cruel obsession d'une société cherchant depuis les années 60 à "tuer le père" pour mieux vivre de sa reconnaissance. Cela s'accompagne de tout l'imaginaire conservatiste américain ( et, en cette situation politique aussi polarisé, clairement republicain) lié à la famille. On assiste ainsi, tout le long du film, à de sporadiques monologue de Jack nous montrant l'importance de la famille et de la solidarité entre frères et soeurs, ainsi que du rôle d'un père, devant oeuvrer selon lui à "protéger sa famille". Si ces affirmations avaient pu avoir une contradiction, même subtile, même interne à la famille, nous montrant que d'autres modèles étaient possibles, nous aurions pu croire que l'on nous montrait simplement que Jack n'était pas complètement devenu un Navi et que, tel ses enfants sont des bâtards physiquement du fait de leur main, ils le sont également culturellement avec leur éducation occidentalisante. Cependant, cette éducation ne souffrant d'aucun contestation, on peut sans peine penser que, du point de vue de James Cameron, la famille est effectivement un noyau, un cocon, où le père joue le rôle de gardien du temple. Cette immersion des enjeux culturels occidentaux dans l'univers des Navis d'Avatar questionne, d'autant qu'il n'apporte rien au film, apparaissant ainsi comme une tribune politique aux délires réactionnaires du réalisateur de "Terminator : le jugement dernier".
Ce film n'est de toute façon pas, et ce contrairement à ce qu'il prétend, un portrait attendri et admiratif d'une société indigène d'une autre planète. Car, de cette société caché dans des archipels d'îles, nous ne saurons au fond rien. Si les images de pêches et de profondes amitiés attendrissantes pullulent à chaque instant, afin de fournir des pauses narratives à un récit déjà peu chargé, les informations culturels sont en effet rares. Mis à part le fait qu'il y a un culte voué à l'océan, ainsi qu'à un sorte d'esprit transcendal de nos ancêtres, rien n'est dit ou montré, ni sur les coutumes traditionnelles, ni sur la religion. Si le film s'ouvre et se ferme sur le chant du collier, nous montrant l'importance accordée au souvenir et à la mémoire, il cache un vide total lié à la culture des Navis, et donc à une forme de regard coloniale sur ceux ci. En effet, les navis sont dépeints ici tel le mythe du bon sauvage si cher aux rousseauistes et autres lumières du XVIII; le sauvage vivant d'air pur et d'eau fraîche, se contentant de vivre paisiblement dans un monde en parfaite harmonie. Cette vision était au XVIIIeme un mythe, s'appuyant sur une logique classique où l'on voyait les évènements du prisme occidental ; or ce qui pour nous n'était qu'oisiveté révèle en réalité de nombreuses qualités culturelles et sociales inexplorés. James Cameron n'a pas souhaité s'étendre vers cela; or, sans tomber dans le commentaire ethnographique, il a perdu l'âme de son film, c'est à dire "les navis", complètement deculturé dans ce film.
Le regard colonial ( ou occidental) de Cameron est présent également dans le rapport interactionnel entre les navis et les humains. Ainsi, la bataille finale est révélatrice d'un sentiment profond à Hollywood, sentiment problématique dans une logique de politisation de l'environnement. En effet, dans le but de défendre la cause écologiste, Cameron montre que les navis et les toulkoum, Unis ensemble, parviennent à se révolter et à vaincre l'ennemi qui, corrompu par la technique, n'a peut lutter efficacement contre les éléments déchaînés contre lui. Or, cette logique passe à côté du point central de la question écologique, qui est qu'on ne sera pas plus fort en respectant mieux la nature qu'en la dominant. Évidemment que les Aztèques n'ont rien pu faire contre les troupes d'Ernan Cortés, car l'astronomie et le paganisme ne peuvent rien contre les fusils et les chevaux d'un empire prêt à tout pour s'étendre vers l'or ; or c'est ce modèle là qui a triomphé en occident. Faut-il pour autant que, pour défendre la question écologique, on en vienne à faire gagner les indiens contre les cow bow dans un film peuplées d'homme bleu? Les navis sont par essence moins fort que les hommes, et le resteront tant qu'ils respecteront la nature ; dans le massacre qui les attend, leur droiture fait leur dignité, et leur respect leur courage. Cependant, ils sont voué à perdre cette guerre, et c'est bien normal, car la nature ne peut pas vaincre celui qui a le pouvoir de la dominer. L'attitude de Payakan, le toulkoum chassé, à de quoi nous interroger car, s'il a transgressé les règles morales de sa société, il a acquis désormais plus de puissance. Le respect de la nature ne doit pas se faire car il nous apporterait plus de puissance, mais car nous le devons, par droiture morale et non par intérêt ; sinon nous restons sous le règne de la technique, même si elle s'est dissipé pour quelques temps. En cherchant à défendre une harmonie naturelle fantasmé, Cameron retombe dans la défense des "impératifs hypothétiques" qui ont abouti à l'invasion de Pandora.
Ce film n'est donc pas désagréable à regarder, et est même prenant, car la qualité des images parvient à captiver l'attention d'un public déjà réceptif dans son entrée en salle. Cependant, la maladroitesse du discours ( voire sa dangerosité) et le manque d'ambition artistique font de ce film un échec total. Pour James Cameron, avatar 2 représente l'avenir du cinéma, plus technologique ( certains diront gadjetifié), plus merveilleux et magnifique, tout en conservant l'intérêt des Marvel de ces dernières années, à savoir une action impressionnante et exhaltante. Cette réussite, si elle existe matériellement, quand bien même on reprochera la scène de combat individuel, beaucoup trop mièvre pour être réellement tragique, ne cache pas le manque scénaristiques, le film allant jusqu'à resusciter tout les personnages principaux du précédent afin de continuer à exister, et d'organiser un sauvetage absurde pour maintenir l'antagoniste vivant pour le 3eme, ainsi que l'incapacité concrète de la réalisation à produire un film et non seulement des images. Un échec, donc, implacable et décevant.

Herodote1905
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le 21 déc. 2022

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Herodote1905

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