En trois heures, il devrait y avoir le temps de faire des scènes.

« Y’a pas de scènes » : cette phrase pourrait vraiment devenir une formule-type pour caractériser les blockbusters qui vont dix fois trop vite, qui ne s’intéressent pas à l’émotion que peut susciter un moment de cinéma et qui réduisent les séquences à leur strict minimum, à ce qui est nécessaire pour faire avancer le scénario. Déjà dans Avatar premier du nom, certains pouvaient reprocher aux personnages de manquer de profondeur, réduits à des marionnettes qui ont tous les comportements obligés du scénario standard d’une superproduction américaine. J'ai toujours trouvé ce jugement un peu dur, et au moins il y avait des scènes pour les faire vivre un peu à l'écran, pour nous donner la possibilité de développer de la sympathie envers eux, ou pour laisser s'installer une ambiance onirique lorsque l'on découvre la bioluminescence de Pandora. Dans cette suite, les quarante premières minutes sont un calvaire, parce que le réalisateur s’est dit que la phase d’exposition, ça pouvait se faire avec des bouts de scènes en montage alterné accompagnés d'une voix off pour résumer ce qui se passe. Le film s'ouvre alors plus ou moins sur trois quarts d'heure de Jake qui raconte, et un montage charcuté qui illustre par-dessus. Il nous parle de ses enfants, de la famille qu'il a fondée et qui est si aimante et soudée, et en parallèle on a des images totalement convenues ou ça se prend dans les bras, avec des jeux et des cris d'enfants, etc. C’est vraiment un début d’épisode de série télé, où on commence par nous dire ce qui s’est passé entre les deux films, comme si le deuxième n’avait pas commencé à ce moment-là et que cette partie explicative était une raison valable pour se dispenser de faire du cinéma. Cameron tente parfois un peu plus de subtilité pour rendre l’ouverture de son film plus digeste, mais même là, c’est très laborieux et tellement lourd que c’est presque pire. Toute la partie où Quaritch se réveille et où des personnages annexes lui expliquent tout en long et en large pour que le spectateur comprenne bien est assez pénible, d’autant plus qu’il n’y a rien à comprendre : c’est du même niveau d’écriture que Palpatine qui peut revenir à l’infini grâce à des clefs USB et des clones.

Et si cette phase d’exposition est sans doute la pire partie du film, le reste n’est pas bien convaincant non plus. Dire qu’il y a des scènes dans les deux heures vingt suivantes serait osé, mais même en admettant que soit le cas, absolument tout ce qu’on voit a déjà été vu mille fois ailleurs. Il n’y pas une seule réplique, une seule situation qui ne soit pas un poncif, quand ce n’est pas directement repompé dans le premier opus, avec la même façon de filmer, les mêmes décors et la même musique (la destruction du corail sacré, la tribu qui se sent trahie par Jake, etc.). Les clichés, c’est quelque chose de courant (par définition) et qui passe plutôt bien quand c’est utilisé à petites doses et que quelque chose d’autre se dégage du film, mais ce n’est jamais le cas dans celui-ci. Les clichés sont devenus la matière première de James Cameron, sa raison d’être. Les personnages sont vides, totalement vides, surtout Jake et Neytiri, cette dernière n’étant là que pour pleurer, hurler, être la bonne épouse, et surtout pour pleurer. Lorsque l'un des fils meurt, je suis sûr que 90% du public aurait été incapable de dire comment il s'appelait. On s'en fiche complétement, d'autant plus que la façon dont c'est montré, avec la détresse de la mère, etc., c'est exactement ce que l'on peut s'attendre à trouver dans n'importe quel blockbuster. On est loin de la réaction des parents à l'annonce de la mort de leur fils dans La Maison des bois de Pialat. Jake, heureusement qu’il y a la voix off pour qu’on se souvienne qu’il est dans le film. Il n’a aucune personnalité en dehors du cliché du père qui doit protéger sa famille. Et Cameron a une obsession autour de ça : « La raison d’être d’un père est de protéger sa famille ! ». Mais c'est vraiment une obsession, ça nous est asséné en long, en large et en travers avec la subtilité d’un bulldozer, au point que cette vision archaïque de la famille devienne assez malsaine. On voit bien ce que tente de faire Cameron, de montrer le manque d’écoute entre le père et ses enfants, mais c’est tellement grossier qu’on a juste l’impression que Jake est un abruti. Cameron s’emmêle dans un truc qui n’a aucun sens, où le père serait un personnage complexe, à la fois aimant et dur, mais concrètement, ce qui est montré, c’est un patriarche insupportable qui passe son temps à faire des leçons de morale à tout le monde, tout en ayant un comportement hyper autoritaire, toujours à la limite de dire à son fils qu’il est la honte de la famille et qu’il est responsable de la mort de son frère. Cet effet n’est pas voulu, mais tout est tellement caricatural que c’est exactement ce qui est montré. Pour nous faire comprendre que les fils de Jake (uniquement les fils, pas les filles) le respectent, ceux-ci l’appellent « Chef » quand il les engueule. C’est tellement cliché et lourd, ça sonne tellement faux… Et chaque réplique est comme ça. C’est peut-être aussi parce que j’ai vu le film en VF, mais j’ai vraiment trouvé l’écriture infantile et bête, même pour un blockbuster. Il y a des phrases qui devraient être bannies du cinéma depuis longtemps, quasiment toutes pour être honnête. Le film souffre d’ailleurs d’un problème courant dans un certain cinéma hyper commercial, c’est le fait que des répliques soient assenées comme des slogans publicitaires. Dans celui-ci, on a « Un fils pour un fils. » par exemple, phrase creuse qui ne veut absolument rien dire, mais que l’on répète à plusieurs reprises sur le même ton excessivement grave et surjoué, comme si c'était très profond. Tout cela est d'autant plus lourd que c'est répété, martelé pendant tout le film, pour être sûr que tout le monde ait bien compris.

Vraiment, l’écriture est horrible, mais horrible dans le sens où on a l'impression de voir un film non pas tout public, comme il se prétend être, mais bien un film pour enfants, et passé l’âge de dix ans, ce n’est quand même pas évident de regarder ça et de se dire que tout va bien, que c’est normal que les personnages soient aussi inexistants, que tout ce qui les caractérise soit à ce point déjà-vu. Même dans le premier opus, on était très loin de ça, ce qui y était un peu gênant devient insupportable ici. Il est probable aussi que la quasi-absence de personnages humains rende le film encore plus infantile, parce que ce sont aussi eux qui ont la personnalité la plus intéressante. Dans Avatar, on avait au moins le Jake humain, Marine un peu paumé qui doit remplacer son frère dans un monde qu’il ne connaît pas, il y avait tous ces personnages de scientifiques qui ne sont jamais allé sur Pandora pour autre chose que la recherche et qui se retrouvaient malgré eux au milieu d'une guerre. Et même Trudy, en militaire qui se retournait contre son camp, même si l'idée n'avait rien de très original, le traitement était réussi, avec des scènes, de l’image, le personnage qui réalise ce dans quoi il s'est engagé et qui a en plus droit à une mort digne, à son image, sans mise en scène hystérique et larmoyante. Sigourney Weaver aussi proposait quelque chose de plus adulte dans son jeu, de l’agacement et de la colère mêlés à de la fascination quand elle parle des synapses de la forêt à Selfridge. Dans le 2, c’est comme si tout était pensé pour les enfants. Les personnages ont des réactions hystériques tout le temps. Forcément, quand les dialogues sont aussi bêtes, la direction d’acteurs ne suit pas.

Cameron aurait mieux fait de réaliser un film plus court, où il y aurait eu quelque chose à montrer tout du long, parce là il n’y qu'une demi-heure qui a vraiment de l’intérêt, et c’est la partie où on explore les fonds marins, le seul moment où il y a vraiment des scènes. Là enfin, la mise en scène devient créative, encore que, concernant la diversité de la faune et de la flore de Pandora, il n'y a rien, les fonds marins terrestres sont bien plus riches que les quelques poissons qui nous sont montrés ici. Mais au moins, Cameron prend son temps pour faire du cinéma, les personnages arrêtent de parler (mais ils n’arrêtent pas complétement de dire des trucs clichés parce qu’il leur reste le langage des signes) et on ressent des choses, on nage, on est immergé, on comprend enfin l'intérêt de tout cet arsenal d'effets spéciaux. Tout le film aurait pu être comme ça, pourquoi toujours s’embêter avec des histoires faussement complexes qui ne trompent personne ? Il suffisait à Cameron de faire une heure sur les plages hawaïennes et dans l’eau, tout ce qu’il sait filmer et qu’il adore filmer (et que par conséquent on aime voir filmé), pour laisser le temps aux spectateurs de s’attacher et aux personnages d'exister.

Pour ce qui est des effets spéciaux, c’est bien sûr très impressionnant, complétement photoréaliste, mais l’objectif premier d’un effet spécial, c’est qu’il ne se voit pas. On n’est pas censé s’extasier sur de l’eau en CGI, on est censé y croire comme si c’était de l’eau, mais il faut un film derrière qui tienne la route. Un effet spécial n’est jamais « beau », ça ne veut rien dire : il est soit crédible, soit raté, mais c’est le film, par les émotions esthétiques qu'il procure, qui est beau ou qui ne l’est pas, indépendamment des outils utilisés et du fait que l’eau soit réelle ou en images de synthèse. On entend beaucoup dire que le film est visuellement magnifique, mais c’est seulement dans le sens où les effets sont remarquables et totalement invisibles. La performance capture est d'autant moins impressionnante que le jeu des acteurs est très grandiloquent, sans la moindre subtilité à capturer.

Pour finir, il faut dire un mot sur le HFR variable et la 3D. Cette dernière est un peu plate par moments, mais ce n’est pas plus mal. La logique de Cameron n’est pas tellement de projeter des objets hors de l’écran, mais plus de donner de la profondeur dans l’écran lui-même, de rendre les paysages plus grandioses, ce qui est parfaitement cohérent avec sa façon réaliste de filmer. La caméra virtuelle ne fait jamais de mouvements impossibles pour une caméra réelle, ce n’est jamais une logique de Futuroscope. Le HFR variable en revanche, c’est complétement raté. Je n’ai jamais trop vu la différence entre du 24 et du 48 images par secondes, mais maintenant que Cameron a alterné les deux pendant trois heures, j’ai fait beaucoup de progrès. La première moitié du film passait sans problème, mais pendant la seconde, je m'étais habitué à voir la différence et je voyais un plan sur deux en saccadé.

C’était étonnant de faire une suite au premier film, qui se suffisait à lui-même et qui, passé l’émerveillement visuel et le message simple mais efficace, montrait quelques faiblesses, mais maintenant que le 2 est sorti, ça me parait complétement suicidaire de faire encore trois suites alors que Cameron n’a déjà plus rien à montrer.

Beorambar
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le 31 déc. 2023

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