La suite d’Avatar est sortie. A partir de là est-il nécessaire de faire plus amplement les présentations ? Avec ce qui s’annonce comme la longue saga épique de la carrière de James Cameron. Les suites ont été largement annoncées et sont même déjà largement tournées. La machine est plus qu’en route, longtemps en suspens mais toujours inarrêtable comme un T-800 et inévitable comme la rencontre entre le Titanic et son iceberg. La saga continue ainsi de rentrer dans le lard de la concurrence et dans le cœur de ses spectateurs.

Attention spoilers à tout rompre.

Éludons à coup de généralités la question technique qui me dépasse assez dans ses détails. Entre des modélisations parfaites, des textures qui ne semblent plus s’apposer sur des formes générées par ordinateur mais tressées, repliées, contorsionnées et fusionnées pour créer de la véritable matière numérique et une 3D nous faisant trébucher de l’autre côté de l’écran, la tête dans le sable et le corps mouillé d’eau salée, La voie de l’eau convoque tout ce qu’il faut pour devenir le point de passage du spectateur, son avatar, le faisant transiter d’un monde à l’autre. Non pas sans défauts, de l’ordre du minime, avec certains plans faisant très jeu-vidéo, mais démontrant alors toute la valeur du reste. La place de cinéma n’aura jamais paru si peu chère. Il y a aussi cette histoire de variation du HFR. Qui constitue la micro-révolution technique du film. Que tout le monde devrait suivre mais que personne ne saura suivre sauf Cameron dès 2024 avec Avatar : The Seed Bearer. Cette capacité de varier le taux d’images/seconde selon les séquences, d’injecter de l’adrénaline, autrement que par le truchement de réelles accélérations de l'image (comme dans un Mad Max Fury Road par exemple), ou au contraire de faire redescendre la pression qui pèse sur la rétine pour une scène plus calme et intime, cette capacité continue de creuser une nouvelle veine, un nouveau rapport cognitif entre le cinéma et ses adeptes.

Mais passé cette technique, dont James Cameron a bien conscience du fait que l’on puisse s’en ficher et qu’on sera même au bout d’un moment, sur quand même 3 heures durant, un peu blasé par ses effets, comme déjà habitué à vivre dans ce futur promis du cinéma ; il reste sous ces replis de l’apparence l’importance des émotions. Ce qu’il a d’ailleurs mis en avant dans la promotion du film. Et quand on gratte un peu le vernis, il est vrai que le film a ce répondant qui émotionne le palpitant.

Déjà sa capacité à ouvrir et fermer la parenthèse d’une vie, celle de Neteyam le fils aîné de Jake et Neytiri. Le film commençant par sa naissance, un bébé Navi levé vers la lumière du ciel qui plusieurs années plus tard coulera vers la lumière de l’arbre de vie des Metkayinas. Malgré la tragédie vécue, son voyage se fait de la lumière des premières sensations vers la lumière des souvenirs contenus par Eywa. Cette construction autour du cycle de la vie, du cycle d’une vie, offre au film un sentiment de brièveté, une fugacité qui se conjugue avec poésie et à contre-courant de l’amplitude narrative qu’il ambitionne. Une amplitude aussi souvent désamorcée par des moments de pures découvertes. Lo’ak et Kiri, deux autres des enfants de Jake et Neytiri, sont au coeur de cela. Lui qui découvrira les Tulkuns (ou plutôt un tulkun paria), ce peuple de baleines relié spirituellement à la tribu de l’eau et chassé par les hommes pour son « huile de jeunesse ». Et puis Kiri, interprétée par Sigourney Weaver (cette différence d'âge entre l'interprète et l'interprété étant le plus touchant avec ce personnage quand on y pense, un écart totalement gommé par la technique), qui sera la caution "émerveillement" du film, en attendant un rôle plus central dans les suites. Celle-ci découvre à la fois le monde de l’eau, pour mieux nous y plonger, ainsi que ses capacités quasi mutantes.

Pourtant les émotions sont aussi moins intimes. Cameron fait de celles-ci l’avatar de ses convictions proprement politiques. Cela s’enclenche dès le chambardement initial du statu quo établi à la fin du premier. Ces humains qui reviennent tel l’empire de la guerre des étoiles et dont on voit les vaisseaux s’écraser tels des lances empalant Pandora pour mieux figurer l’image d’un environnement violé et rejouant au centuple la destruction de la forêt du premier opus (des flammes magmatiques qui avalent l’écran et les arbres). Le discours écologique transpire dans de nombreuses séquences. Comme dans celle où le visage à l’air libre d’un bébé immergé est zieuté de près par une tulkun gigantesque, la souffrance animal des montures du peuple de l’eau (l’une fusillée, l’autre mâchouillée par la créature attaquant Lo’ak), la communion justement entre Lo’ak et le paria avec un lâcher prise sous la forme d’un engloutissement, et ce même tulkun paria au cœur d’une longue séquence d’action frissonnante où la nature joue de ses droits face à la raie manta métallique des humains et leurs harpons.

Et puis il y a la question des avatars. Le premier Avatar justifiait son titre à travers le parcours de Jake. Un marine paraplégique accédant à la métamorphose de son corps, sa transcendance, grâce au corps artificiellement recréé d’un Navi d’abord destiné à son frère jumeau. Le deuxième se trouve aussi faire écho à cette notion de l’avatar. Mais tout autrement et de manière plurielle. Il faut là se concentrer sur un autre cœur du film, cette relation qui naît entre un Quaritch recomposé en Navi et Spider le fils d’un monstre. D’une part du fait de la nature de ces deux personnages, figurant deux métamorphoses aux antipodes mais en lien avec l’idée d’avatar. D’un côté, Quaritch n’est plus Quaritch, ce n’en est qu’une reconstruction artificielle, un avatar d’autant plus transhumain que pour Jake Sully : puisqu’ici ce n’est plus un humain mais une personnalité recréée, nouvellement mise au monde et devant habiter les souvenirs numérisés du colonel déchu. De l’autre, Spider est cet enfant loup né sur Pandora et qui, par un deus ex machina, se révèle être le fils de Quaritch. Il n’a jamais pu en repartir après le renvoi des humains sur terre. Il se mettra alors dans une position d’avatar de façon moindrement technologique, un avatar artisanal fait de bric et de broc puisqu’il se transpose en Navi en se peinturlurant la peau, en portant la tenue traditionnelle et en perfectionnant leur langue. Sans jamais pouvoir, malgré tous ses efforts, changer son être de chair et de sang. Il devient un intégré ne pouvant dépasser sa réalité initiale (le port constant de son masque à oxygène le ramène à cela). Cependant il reste aussi après Quaritch et Spider une troisième évocation de l’avatar, qui ne peut naître que de la conjonction des deux, c’est l’avatar d’une relation père-fils. Car si le terme d’avatar recoupe bien l’idée de la métamorphose d’un individu, il peut aussi recouper la métamorphose d’une relation. Une relation père-fils qui n’a ici jamais pu exister, Quaritch mourant dans le premier et Spider grandissant dans le deuxième. Une parenté finalement reconstituée par un acte et un mot, Spider sauvant ce qu’il pense être un père et ce pseudo Quaritch l’appelant fiston. L'émotion adopte ainsi la même hybridité que celles des deux personnages et leur relation encore indéfinissable, nous laissant curieux de voir de quoi il en retourne.

Le problème sera alors de penser que le film ne raconte rien et n’est qu’une démonstration technique. Au contraire, son histoire masque à peine sa volonté de conjurer, à travers le spectateur, la détermination de notre propre monde à continuer sa fuite en avant, sa soif de désincarnation vers plus de facticité et le désir de sa propre mort derrière ses rêves d'éternité. Bref mon Jim, je te le dis comme le pense Céline Dion : I see you, I feel you.

-Thomas-
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le 17 déc. 2022

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Vagabond

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