Ashkal nous plonge dans un récit fait de béton et de flammes, on entre dans un polar profondément politique et sociétal qui questionne les enjeux et le futur d'un pays en quête de renaissance.


2 policiers, Fatma et Batal, en proie aux incertitudes et évoluant sous le poids d'un passé qui pèse sur leur présent, cherchent à élucider une série de meurtres dont le procédé se répète : les cadavres des victimes sont systématiquement retrouvés calcinés.


Le film se déroule en 2010, principalement dans le quartier des jardins de Catharge. Le lieu est loin d'être anecdotique et s'accorde parfaitement avec le propos du film. La mise en scène, qui insiste sur les édifices bétonnés (structure en construction, grue, travailleurs du bâtiment...) nous montre, selon moi, que ces décors sont le point de départ d'un futur incertain.


Les jardins de Catharge, quartier dont les constructions d'immeubles initialement destinés aux notables de Tunis, ont vu leur travaux suspendus pendant la révolution tunisienne. Le contexte politique va porter le récit et être moteur dans cette enquête. C'est d'un homme immolé par le feu qu'a débuter cette révolution de Jasmin et fait chuter Ben Ali.

Je me questionne : pourquoi cette série de crime qui touchent des anonymes issue du peuple tunisien ? (ouvrier du bâtiment, personnel de maison, professeur). Est-ce que ce sont des suicides ? Des martyrs ? Pourquoi le feu comme symbole de la mort ?


Fatma est une flic indépendante et obstinée qui veut obtenir la vérité sur ces meurtres (interprété par l'actrice Fatma Oussaifi que j'ai trouvé très convaincante. Elle est à la fois sensible et déterminé dans son rôle). Son personnage cherche à faire bouger les choses et à comprendre l'origine du mal. En tant que femme elle est rapidement bridée par les hommes qui l'entourent. Ainsi elle est contrainte de passer par Batal, son binôme moins investie et plus distant avec les événements, pour faire avancer l'enquête.


La séquence chez le couple dont l'aide ménagère a été mortellement brûlée illustre très bien ce distinguo entre les 2 protagonistes : Fatma est observatrice, elle croise du regard la nouvelle aide ménagère pour potentiellement obtenir des pistes, elle pose une questions qui dérange sur les enjeux financier liés à ces meurtres. En parallèle son alter égo masculin Batna boit son café et mange des pâtisseries durant l’interrogatoire. Il semble moins impliqué.


En face un meurtrier continue de sévir. Toujours de la même manière. Les instituions de police ne semble pas particulièrement préoccupées par ses intentions. Préférant engager la responsabilité de 2 ouvriers présents sur place au moment d'un meurtre, sans preuves concrètes, au lieu de réellement enquêter pour trouver le coupable. Pourquoi un tel immobilisme ? Les autorités y trouvent-elles un intérêt ?


Au fil du récit on comprend que 2 camps s'opposent, de manière métaphorique ce sont 2 visions distinctes d'une Tunisie en pleine reconstruction qui pourra muter vers des horizons différents : celle de Fatma et celle du meurtrier et du régime en place.

Ce meurtrier, qui n'a pas de visage, mène ses victimes vers un enfer de flammes, que j'ai compris comme un immobilisme et possible retour vers l’obscurantisme d'un régime politique privant son peuple de liberté. Fatma représente la figure opposée, celle de l'émancipation.

Le grand final laisse le spectateur dans un questionnement sans réponse... Ce que j'ai trouvé très pertinent.

J'ai aimé la façon dont le contexte politique et social du pays est incarné par les décors et les personnages. Il y a quelques légers creux au niveau du rythme dans la partie central du film durant la succession de meurtres, mais la dernière partie est intéressante et globalement c'est un moment de cinéma plaisant à découvrir.

Créée

le 4 févr. 2023

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Ssird

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