Appaloosa
6.4
Appaloosa

Film de Ed Harris (2008)

Après son premier film, Pollock, biopic convaincant du célèbre peintre, Ed Harris se confronte à un autre genre encore plus intimidant et tout aussi américain : le western. Il signe une œuvre classique en mode mineur, doublée d’un questionnement original et teinté de modernité sur l’opportunisme et la solitude.

Virgil Cole et Everett Hitch travaillent ensemble depuis douze ans, en faisant régner la paix et la justice dans des villes où plus aucune loi n’avait cours. Cette solide réputation amène les autorités locales d’Appaloosa, au Nouveau-Mexique, à les solliciter pour arrêter Randall Bragg, qui terrorise la population. Obtenant les pleins pouvoirs, ils feront tout pour le coincer. Mais le combat sera impitoyable face aux hommes de main de Bragg. Cette mission sera perturbée par l’arrivée de Mrs French, une jeune veuve à la personnalité déroutante.

Ed Harris est un visage bien connu du cinéma hollywoodien. Pour son deuxième film, il a choisi un genre ayant connu son âge d’or et qui depuis quelques années, connaît un réel regain d’intérêt. Si Impitoyable, en 1992, n’avait pas eu d’effet boule de neige, les réussites majeures se multiplient depuis : après Open Range en 2004, se sont succédé L’Assassinat De Jesse James Par Le Lâche Robert Ford d’Andrew Dominik et 3h10 Pour Yuma de James Mangold, brillant remake du classique de Delmer Daves. Pour ce défi intimidant, Ed Harris s’est rassuré en s’octroyant à nouveau le rôle principal du marshall. Il l’interprète avec charisme et son côté pince-sans-rire n’est pas sans rappeler un certain Clint Eastwood. Il est épaulé par les très sobres Viggo Mortensen et Jeremy Irons, mais aussi Renée Zellweger enfin débarrassée de ses minauderies, sachant être crédible dans un rôle d’une grande complexité.

Au premier abord, Appaloosa semble d’un grand classicisme. La mise en scène affiche une belle sobriété, ne tombant pas dans les pièges du formalisme et de l’épure narrative qui menaçaient par instants L’Assassinat De Jesse James Par Le Lâche Robert Ford. Cela ne veut pas dire que les tonalités chromatiques ne sont pas choisies avec soin, qu’il s’agisse de l’image brune-mordorée, ou des costumes des personnages, oscillant entre le noir pour Cole, le gris pour Hitch et le bleu-vert pour Allison. Mais cette élégance ne se fait jamais au détriment du récit.

Classique, Appaloosa l’est aussi par sa propension à se couler pleinement dans le moule du western. Il respecte la plupart des codes du genre. L’intrigue, des plus classiques, est racontée avec frontalité puisque les personnages se définissent d’abord par leurs actions. Elle a trait encore et toujours à la lutte de David contre Goliath : armés du talisman du respect de la loi, Cole et Hitch doivent lutter contre des adversaires nombreux, qui eux, sont prêts à tout pour les faire échouer. Les personnages semblent sortis de nulle part, sans passé et au présent incertain. Ces « lonesome cow-boys » sont évidemment sans attaches : ni maison à eux, ni femme les attendant. Leurs relations avec la gente féminine sont compliquées. Surtout pour Cole qui, dans un moment de confession inhabituelle, reconnaît qu’il n’a jusqu’alors connu que des putains et des « squaws » (femmes apaches). Quant à leur mission d’arrêter Bragg, elle reste conditionnée à la bienveillance des autorités locales. Évidemment, l’arrivée d’une jeune veuve séduisante va ébranler la complicité entre les deux amis. Et puis, comme souvent, les femmes sont utilisées comme une monnaie d’échange.

Mais cet apparent classicisme est rapidement nuancé, Ed Harris ayant choisi d’introduire un deuxième niveau de récit. À l’action proprement dite, se greffe une peinture de l’âme humaine, à laquelle le réalisateur accorde la même importance. Ce faisant, son western devient une variation d’une grande modernité sur la compromission et la solitude. L’ébranlement de l’intégrité morale des personnages traverse le film. Mrs French, bien qu’aimant sincèrement Cole, ne peut s’empêcher de séduire d’autres hommes. Loin de chercher des explications lourdement psychologisantes, Ed Harris préfère laisser à Mrs French sa part d’énigme. Tout juste suggère-t-il que, dans un Ouest machiste, les rares femmes sont conduites à rechercher la protection des hommes ayant une situation. Mais cet aspect ambigu du personnage est aussi une manière de détourner le stéréotype féminin du western : Allison French n’est pas la belle veuve rurale se murant dans une solitude chaste, mais une femme venue de la ville et ayant reçu une bonne éducation, qui fait fi de la morale traditionnelle. Elle devient ainsi un personnage résolument avant-gardiste.

À l’opportunisme de Mrs French, répond la compromission des autorités locales. Pour assurer la sécurité des habitants, elles ont délégué l’usage de la force publique aux loyaux Cole et Hitch. Mais elles s’en remettent avant tout aux plus puissants, et l’ennemi d’hier peut devenir subitement le nouveau patron. Dans cette vision peu flatteuse pour le genre humain, même l’amitié de nos acolytes va être soumise à rude épreuve. Et contrairement au schéma classique, ce ne sont pas les deux hommes qui vont se battre pour Mrs French. Les deux associés doivent aussi réfréner leur tentation d’abuser du monopole de la violence légitime dont ils disposent en tant que garants de l’ordre public. Les personnages doivent aussi composer avec une irrémédiable solitude. Le nomadisme professionnel a rendu Cole et Hitch totalement dépendants des autres, les empêchant de construire toute relation durable. Finalement, ces cow-boys solitaires sont, au Far West, l’équivalent de nos travailleurs précaires contemporains, contractuels ou intérimaires.

Cette complexité psychologique des personnages est incontestablement l’un des points forts d’Appaloosa. La dualité du récit, associant à une intrigue typique du western une réflexion sur les faiblesses de la nature humaine, occasionne parfois quelques longueurs : l’intrigue, des plus basiques et somme toute assez convenue, ne justifiait sans doute pas les deux heures de projection. Reste que, si cette ambition de jouer sur les deux tableaux empêche Appaloosa de figurer parmi les fleurons contemporains du western, elle apporte aussi une originalité bienvenue au genre en s’attardant plus qu’à l’habitude sur les sentiments des personnages.

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Auteur : Wesley
LeBlogDuCinéma
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le 13 sept. 2012

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