Alice ne fait pas des merveilles

Si l’univers étrange et onirique de Lewis Carroll n’a pas manqué d’influencer de nombreuses œuvres, il y eut assez peu d’adaptations en prises de vues réelles, évidemment assez couteuses en moyens pour en retranscrire toute la douce folie.

En 1933 Paramount se lance pourtant dans cette aventure, confiée au réalisateur Norman Z. McLeod, qui avait auparavant travaillé avec les Marx Brothers. Le scénario est signé du jeune Joseph L. Mankiewicz et de l’oscarisé William Cameron Menzies, reprenant et mélangeant les deux romans écrits par Lewis Carroll autour des aventures merveilleuses d’Alice.

La production était ambitieuse, réunissant toutes les stars du studio, dont quelques noms restent encore emblématiques du cinéma hollywoodien : WC Fields, Gary Cooper ou Cary Grant, pour les plus connues, et bien d'autres encore. Le long générique de début les présente, et il fait bien, puisqu’ils sont quasiment tous recouverts de fausse fourrure ou d’autres costumes bien couvrants, les rendant ainsi indiscernable pour tous ceux qui ne connaîtraient pas leur voix par coeur. C’est Charlotte Henry qui joue Alice, une fois encore une actrice un peu trop âgée, elle avait 19 ans, pour jouer une petite fille de 12 ans. Mais cette dernière s’en sort assez bien, à la fois amusée de ce monde fou et parfois contrariée par son absence de logique.

Il est d’ailleurs bien difficile d’adapter une telle œuvre, et le film en souffre. Malgré sa faible durée, sa composition de segments avec les personnages incongrus rencontrés peut parfois fatiguer. Les échanges entre ces protagonistes défient les mots et l’ordre des choses, dans un jeu parfois amusant, parfois fatiguant. La dérision dans les romans du monde victorien et ses innombrables corsets sur la société semblent d’ailleurs bien loin, l’adaptation lui préférant une douce folie surréaliste malheureusement mal menée, dont il ne reste que l’étrangeté sans la fantaisie.

Il faut d’ailleurs bien reconnaître que le film peine à exposer toute la fantaisie de l’œuvre originelle, notamment parce qu’il a assez mal vieilli. Le noir et blanc le date mais en bloque aussi la fantaisie esthétique, on imagine mal le monde d’Alice sans couleurs. Certains décors sont assez simples. Mais ce sont bien les costumes qui se révèlent assez perturbants, faisant de certains personnages des créatures anthropomorphisés aux têtes étranges. Certains déguisements mal taillés semblent ainsi sortis d’une vieille photographie d'Halloween. L’univers d’Alice et son étrangeté perd ainsi de sa magie pour un résultat bien plus dérangeant.

Il existe pourtant une séquence animée dans le film, apparaissant ainsi comme plus naturelle dans cet univers surréaliste mal retranscrit. On peut ainsi comprendre pourquoi Walt Disney choisit l’animation pour en proposer sa célèbre version de 1951.

Notre regard actuel sur le film de 1933 pourrait sembler trop lointain pour l’apprécier à sa juste valeur mais il fit un flop à sa sortie, notamment pour les mêmes critiques ici évoquées. Paramount avait placé de grands espoirs dans le film alors que la compagnie était en grandes difficultés, c’est finalement d’autres productions qui lui permettront de ne pas couler.