Alain Delon, cet inconnu
7.2
Alain Delon, cet inconnu

Documentaire TV de Philippe Kohly (2015)

Qui était pour moi Alain Delon ?


L’acteur juvénile, superbe fauve aux aguets dans Plein Soleil, dont la présence magnétique et solaire accaparait l’écran, ou l’icône égocentrique imbue de sa personne, qui s'exprimait dans les médias avec une rare suffisance ?
Sans doute étaient-ce les deux à la fois.


En amoureuse du beau, je n’échappais pas à la fascination qu’exerce toujours sur nos sens l’éclat d’un physique exceptionnel, mais en même temps je jugeais sévèrement ce Narcisse impénitent, qui se mirait et s’admirait dans son reflet, prédateur carnassier et sauvage, que démentait pourtant l’étonnante candeur d’un regard bleu de petit garçon.


Je m’étais donc forgé une opinion très critique que je partageais allègrement et sans états d’âme, avec les gens de ma génération : l’homme obsédé par son statut de star, uniquement préoccupé de lui-même et vouant à sa personne un véritable culte.
Oui, j’étais partagée, mais curieuse, au fond, d’en savoir davantage sur le parcours et la vie du personnage Delon, loup désormais solitaire, qui vivait retiré, voire reclus, dans sa maison de campagne, en compagnie de ses chiens et de ses souvenirs.



Alain Delon n’existe pas. Il est un personnage incarné par un garçon abandonné pour gagner la liberté et la gloire”



C’est ce que s’est proposé d’illustrer Philippe Kohly dans ce documentaire, qui a vu le jour en novembre 2015, pour les 80 ans du comédien.
Et ce n’est pas un hasard si une fois encore c’est une femme qui a osé :



j’ai pris le risque de l’amour, je rêvais depuis plus de 10 ans de
faire ce film’'



Belle “déclaration “ à l’homme adulé par la gent féminine depuis toujours, séduite par sa gueule d’ange, puis par la personnalité ambiguë, inquiète et sombre de l’acteur.
Patricia Boutinard Rouelle, productrice du documentaire, s’est donc lancée dans l’aventure “par amour”, et sans autorisation, s’étant heurtée à une fin de non-recevoir par les avocats de Delon.


8 novembre 1935 : naissance d’Alain et joie d’une mère, qui contemple bientôt avec ravissement son propre visage dans les yeux de ce fils qu’elle adore, une relation fusionnelle que n’oubliera jamais le petit Alain, qui à 4 ans est placé en nourrice, suite au divorce de ses parents.


L’enfant roi est passé de l’adoration à l’abandon, la blessure ne se refermera pas, malgré toute l’affection que lui voue cette “dame âgée aux cheveux blancs”, mariée à un gardien de prison, qui s’occupe avec amour de ce "si joli petit garçon au visage d’ange", comme en témoignent ces clichés, pris dans la cour de la prison de Fresnes, devenue pour l’heure le terrain de jeux privilégié d’Alain.


Le film revêt l’aspect d’un documentaire classique et revient sur les moments clés de la carrière de l’acteur, grâce à un enchevêtrement d’images d’archives, de photos et d’entretiens : dès l’âge de 8 ans le pensionnat remplace pour Alain la tendresse affectueuse de sa “chère nounou”, et jusqu’à 14 ans, l’enfant, puis l’adolescent , devra marcher au pas, insoumis, souvent révolté, son indiscipline faisant peu à peu de lui un petit zonard de banlieue.


Au moment où la personnalité se forme, où l’image du père est absolument primordiale chez le jeune garçon, Alain Delon n’a aucun modèle de virilité : une enfance sans père, une beauté presque féminine, l’adoration puis l’abandon de sa mère, décupleront chez lui l’envie pathétique “d’être un homme, un vrai”, à l’image des caïds dont il s’entourera plus tard, ceux qui “ont le pouvoir”.


Et le jeune homme, qui jusqu’en 1963 se trouvait “fadasse, mièvre, pas assez viril, trop minet” va enfin “prendre ce pouvoir” dans les années 1970, créant sa propre maison de production, “impatient de tout régenter”.


Et les femmes dans tout cela ? Elles ont toujours été là, au bon moment, et quand de retour en France, après avoir été exclu de la Marine nationale pour indiscipline notoire, le jeune homme de 20 ans à peine, fréquente le Paris nocturne et interlope, se rapprochant ainsi du milieu du cinéma où son physique éblouissant lui ouvre toutes les portes, ce séducteur qui s’ignore, aux airs de petit garçon, éveille chez toutes les femmes, des plus jeunes aux plus âgées un sentiment d’adoration, et c’est Brigitte Auber, jeune actrice en vogue dans les années 1950 , de 8 ans son aînée, qui tombe follement amoureuse de lui.


Ce n’est qu’un début : actrices, réalisateurs, se pressent et s'empressent autour de lui, un tourbillon de folie que le jeune homme n’avait pas prévu :



l’idée de devenir acteur ne m’avait jamais effleuré”



De films en films, d’abord légers divertissements, histoire de troubler les adolescentes énamourées en quête du prince charmant idéal :Quand la femme s’en mêle” ou “Faibles femmes”, juste là pour exalter la jeunesse triomphante et le charme ravageur de l’acteur, Alain Delon se fait connaître, rencontre les plus grands, les Clément, les Visconti, les Losey les Melville, est choisi, devient, avec son rival de toujours, Jean-Paul Belmondo, LE jeune premier et surtout l’acteur qui incarnera le mieux tous ces personnages, symboles de virilité qui l’avaient fait rêver, aux côtés de Ventura ou de Gabin, son idole.


Son parcours amoureux prend un virage décisif quand il tourne Christine, le film qui le met en présence de l’actrice allemande Romy Schneider jeune Sissi au sourire lumineux : des débuts houleux mais un attrait irrésistible et réciproque, une romance qui semble prendre un tour officiel.
La comédienne restera l’une des femmes les plus importantes de sa vie, même si leurs chemins se séparent définitivement au bout de 5 ans.


C'est alors qu'a lieu la rencontre déterminante avec son "double", son alter ego féminin : l'ère Nathalie a commencé, un autre lui-même, que Delon tentera de retrouver, en vain, dans le visage et le regard de ses conquêtes.


L’homme et l’acteur mûrissent de pair, beauté et talent s’épanouissent, La Piscine représentant sans doute l’apogée d’un physique qui réconcilie enfin l’homme et son image.



j’ai tenté de démasquer l’homme à la beauté sauvage, inquiète,
arrogante, inaccessible, sûre d’elle-même



déclare le réalisateur.


Delon est devenu un homme : il a 32 ans et croit en lui.
Et pourtant, entouré comme il l’est, le Delon glamour garde au plus profond de lui les blessures de l’intime : personnage public, comédien hors normes, habité par une sorte de désespoir, qui toute sa vie, de la prison de l’enfance à celle de la vieillesse, restera “fidèle au petit garçon qu’il a toujours été”, solitaire et en mal d’amour.
Ce "petit garçon” dont la beauté bouleversera toujours la femme amoureuse que fut Mireille Darc, sa compagne durant 13 ans, qui se confie : “la nuit, je me réveillais, je le regardais dormir avec ses longs cils recourbés et je pleurais.”


Un documentaire très complet -finalement "autorisé" et qualifié "d'époustouflant" par l'acteur- qui au travers de cinq décennies d’interviews, de révélations, et d’extraits de films, m’aura permis de mieux saisir la complexité du personnage Delon, sa dualité, sa souffrance, et de voir que derrière l’arrogance souvent insupportable de l’homme, se cachait en filigrane la vulnérabilité d’un être à jamais marqué par les fêlures de l’enfance.

Aurea
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le 5 mai 2016

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