Qu’Adieu les cons atterrisse dans les salles presque deux ans jour pour jour après le début du mouvement des Gilets Jaunes est sans doute une coïncidence totale – en ces temps troublés, toute stratégie de sortie commerciale ou symbolique semble s’être évaporée en même temps que nos espoirs de retour à la normale – mais c’est au fond un bon point de départ pour aborder le nouveau Dupontel. Tout au long de sa filmographie, l’acteur-réalisateur s’est en effet fait le porte-parole (ou plutôt, le conteur) d’une certaine marginalité, ni vraiment ni vraiment punk, d’individus bizarroïdes qui peuplent notre quotidien sans qu’on ne les remarque. D’abord avec violence (Bernie, Le Créateur), puis avec douceur (9 mois ferme, Au revoir là-haut), mais toujours avec un discours spécifique : il n’y a qu’un fou au milieu du village. Là où Adieu les cons renouvelle d’une certaine manière cette philosophie Dupontel, c’est en prenant le problème sous un nouvel angle : l’instabilité ne serait plus qu’un concept inhérent à nos conceptions sociales, sociétales, politiques. La véritable folie, c’est ce village, cette foule océanique qui inonde de regards chaque espace, chaque soupir. Au fond, la marge est la dernière échappatoire : elle n’est pas un choix mais une fuite, un dernier refuge avant la mort.


La fracture dont Adieu les cons fait le récit est totale : elle est économique, elle est sociale, elle est technologique, elle est idéologique. En déconstruisant l’absurdité de nos rituels d’êtres humains civilisés du nouveau millénaire, Dupontel propose un miroir déformant de son précédent film, Au revoir là-haut : à l’absurdité de la guerre se substitue la déraison des protocoles, sorte de matérialisation de l’immatériel, contre-sens total mais néanmoins tentaculaire. Adieu les cons se situe pourtant dans un après-bouillonnement : cette toile de fond burlesque et dystopique se fait en silence, comme une suspension consentie de l’incrédulité. « Adieu les cons », c’est un point de départ. Ce sera aussi un point de chute.
Dupontel se remet en quête d’une forme d’épure narrative qui avait fait le seul de ses premières réalisations, à travers un jeu de gendarmes et de voleurs qui se joue avec les dés de 2020. Les flics dont on a peur, les économies qu’on va imaginer, les identités qu’on nous fabrique – cette dernière thématique justement, celle de notre visage numérique, est fondamentale de la réussite d’Adieu les cons : cette nouvelle surface qui vient effacer l’histoire, comme si une espèce nouvelle était apparue avec la technologie, faisant table rase du monde qui l’a précédé et rupture avec ses réfractaires. La mélancolie qui s’en dégage, mystique et totalement cinématographique, transforme la comédie en tragédie contemporaine. Le dernier Dupontel se vêtit alors d’un habit étonnant, celui d’un dernier souffle avant la fin d’un monde – celui de l’humain, de l’humour et de l’amour. Ou alors reste-t-il un peu d’espoir ? Un peu d’anarchie pour détraquer le labyrinthe, pour inverser l’ascenseur ?


Ces deux fugitifs deviennent alors l’ultime espoir de l’humanité. Ils sont, à vrai dire, des marginaux qui sommeillent en chacun de nous – c’est cette étrange réalité que Dupontel semble vouloir aller chercher, aller révéler. Une épiphanie collective, ou au contraire individuelle, où chacun pourrait se crier « J’existe ! » pour s’émanciper des codes et des mœurs. Mais quelle fuite existe-t-il ? La réponse, terriblement fataliste, est qu’elle a disparu. A l’heure des réseaux et des modes, la marginalité n’est justement plus qu’un fantasme, qu’un état passager. Les révolutions sont devenues des systèmes au sein du système. Il n’y a plus de masque à faire tomber car il n’y a personne pour regarder les visages. L’anomalie devient la norme, et les contre-pouvoirs ne sont que des illusions. C’est de cette révélation que naît une profonde nostalgie, celle de la véritable différence et de la pensée incontrôlée, instable. Seule solution, la fin du monde.

Vivienn
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le 25 oct. 2020

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