Adada
Adada

Film de Im Kwon-Taek (1987)

"Adada", de Im Kwon-taek : subvertir les règles de la vie confucéenne

« Adada » est une autre perle de Im Kwon-taek, tournée dans cette décennie qui a donné tant de films intéressants. Si ce film rappelle ses fresques historiques, il est beaucoup moins situable. Son intrigue pourrait se dérouler il y a des siècles, comme à l'époque du roi Yeonsan, mais peut tout aussi être ancré dans le 20 ème siècle. Un indice : on y parle de trafic de drogue, mais cette référence donne au film une allure délirante. Il y a en fait un hors-temps dans « Adada », où les règles de la vie confucéenne, souvent interrogées chez Im Kwon-taek, deviennent prégnantes.


D'ailleurs, sur le plan visuel, l'une des choses les plus frappantes dans la manière qu'a la caméra, au début du film, de cerner l'espace des personnages, est de les filmer de loin, par exemple à travers des buissons, comme si dans cette approche progressive, la caméra se révélait intrusive, pénétrant dans un univers où personne n'a accès (ici, c'est la campagne profonde, pauvre).


L'intrigue initiale de « Adada » (magnifiquement interprétée par Shin Hye-soo) n'est pas sans évoquer par ailleurs celle de « Qui pourra bloquer un torrent », situé au XVI ème siècle, où un prince, qui a une amante, est obligé d'épouser une princesse. Adada, sourde-muette, qui s’entend très bien avec un vagabond, ami d'enfance, est arrachée à cet univers feutré pour épouser un homme pauvre, moyennant une dot importante.


A la manière de ces films historiques que sont « Chronique du roi Yeonsan » et « Qui pourra bloquer un torrent », « Adada » met en scène des cérémonies splendides : le mariage de la jeune femme est réellement somptueux, l'occasion pour Im Kwon-taek de montrer une palette de couleurs resplendissantes. Mais comme les films précités, cette exubérance visuelle est un prétexte. C'est toujours au moment où s'affirme des rites, des traditions très ancrées que le cinéaste introduit une tension. Et celle-ci, dans le film, se manifeste à travers la présence des beaux parents, chez lesquels Adada va vivre, dont le père vit dans un respect total de la tradition confucéenne, qui veut que la hiérarchie soit respectée.


C'est ainsi que le fils, qui dilapide l'argent de la dot, entre en conflit ouvert avec son père. Disons plutôt que c'est le père qui le sermonne par son comportement irrespectueux (il va boire dans des tavernes, fréquente des prostituées). De ce conflit découle le départ du fils. Son retour dans cette campagne reculée, pauvre, nous vaut une scène complètement surréaliste : juchée sur un palanquin porté par deux hommes, il est accompagné par une femme, elle aussi dans la même posture. Tous les deux sont parés de vêtements à l'occidental, impeccables (lui portant des lunettes aux verres fumés). De quoi susciter l'ire du père.


Le fils, pourtant, dans cette subversion des règles confucéennes qu'induit son comportement, les respecte sous une certaine forme : ayant fait fortune, il revient auprès de ses parents pour les honorer par des cadeaux somptueux. Le père a beau les rejetter, il finira par céder. Dès lors, le film prend une tournure totalement absurde, grotesque, à partir du moment où le père, toujours obsédé par l'application des règles confucéennes, insiste pour qu'Adada soit considérée comme la première épouse par rapport à la concubine, ce que le fils ne compte pas accomplir. Adada, quant à elle, rejetée, ballotée, entre ses beaux parents et des tentatives de retour vers ses parents, devient la victime de ce conflit entre tradition et modernité. Victime muette et, forcément, condamnée.

JumGeo
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le 28 févr. 2016

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