Après son très intéressant The Lost City of Z, James Gray revient avec un film non moins ambitieux puisqu'il se place dans la lignée de grands réalisateurs s'étant plongé dans les possibles de l'espace : Cuaron avec son impressionnant survival Gravity, Nolan avec sa fresque presque biblique à l'échelle de l'humanité, Interstellar, Damien Chazelle avec son biopic consacré à Neil Amstrong, First Man . Attention, Ad Astra reste cependant bien un film de James Grey, puisqu'il ne renoue pas qu'avec l'ambition de son film précédent, mais également avec ses obsessions, sa sensibilité et son goût prononcé pour la contemplation. Il prend ainsi le risque de diviser (ce qui, en regardant les avis de divers spectateurs, n'a pas loupé à la sortie du film...).
En effet, malgré l'aspect minimaliste de son scénario (qui consiste, si l'on simplifie grassement, en un voyage spatial et une quête d'un homme afin de renouer, ou bien de détacher les liens avec son paternel...), il dégage un sens du spectaculaire à la fois dans ses trouvailles visuelles et dans sa capacité à atteindre des sommets d'émotion (justement par ce minimalisme). Le film ne cesse de gagner en profondeur et en intensité à mesure qu'il s'immisce de plus en plus dans les ténèbres de l'espace.
Contrairement à ce que beaucoup reprochent au film, non, je n'ai pas trouvé que Ad Astra était long. A défaut de construire une intrigue riche en rebondissements, en retournements de situations, à la fois loin des twists alambiqués d'Interstellar et du suspense haletant de Gravity, James Grey choisit de nous offrir une expérience inédite. Ici, nous suivons une longue, très longue (au sens où il nous emporte toujours plus loin, et non pas en étant ennuyeux) épopée qui ne mène peut-être nulle part mais qui est sans cesse interrompue par de nouvelles épreuves.

(une course poursuite lunaire, une impression d'être de plus en plus utilisé par Spacecom, l'attaque d'un singe dans un vaisseau abandonné, etc...)


Au sortir de chacun de ces événements, une nouvelle craquelure dans la carapace de Brad Pitt.
Si le film ne convainc pas la plupart du public par ses quelques incohérences (ou son inexactitude scientifique), c'est parce que James Grey réalise un film où le recul est impardonnable, c'est en cela que c'est une prise de risques. Il mise avant tout sur un spectateur qui va coller à son film, qui va faire corps avec lui en étant entré dans sa cohérence interne, celle de ce long fil qui se déroule vers un ailleurs encore indéfini, mais dans lequel on se laisse entraîner sans même y réfléchir. Le but n'est pas d'essayer de comprendre, bien entendu, ou même de se poser des questions : Le film, contrairement au chef d'oeuvre reconnu de Kubrick, ne parait pas chercher l'interrogation, ne semble pas vouloir nous perdre, ou nous bousculer. Au contraire, il y a un effort constant de clarté, une volonté de bien poser la situation, le peu dont on dispose nous est bien expliqué (peut-être un peu trop, la dimension explicative du film reste une de ses faiblesses, jusqu'à quel point doit-on envelopper le spectateur ?) : Mais il faut saisir l'intention du réalisateur, puisque cette clarté nous permet de bien mesurer les enjeux toujours grandissants de son personnage, ce que le visage de Brad Pitt ne laisse pas toujours transparaître, sa voix nous en fait part. On est totalement emmêlés avec lui, dans cette prison qui s'ouvre progressivement à mesure qu'il se bat contre elle.
En bref, Ad Astra ne cherche pas à résoudre le grand mystère de l'humanité, malgré son étonnante ambition visuelle. Ce sens des grands espaces sert avant tout à les faire peser, écrasants, sur le minuscule personnage de Pitt qui y progresse. Ce que j'ai vécu, avec Ad Astra, c'est l'imposante présence de l'absence. De la solitude. Du vide. Pas seulement celui qui se trouve entre les étoiles, bien entendu, mais celui qui se trouve dans notre protagoniste principal, et dont il ne se rend même pas compte au début. Il s'agit de réaliser la place que prend ce vide en lui, ce qui opère déjà une première gifle pour Brad Pitt, faisant lentement apparaître ses pires angoisses, et ses meilleures obsessions (celles que l'on retrouve dans The Lost City of Z, et qui arriveront cette fois-ci à prendre un sens... c'est dans cette perspective que Ad Astra trouve son chemin comme étant sa suite logique). Ad Astra est avant un grand film sur la solitude, James Grey filme l'immensité de l'espace à merveille, dans des plans certes très longs mais toujours extrêmement savoureux à regarder. Leur longueur est significative : Chaque fois que Brad Pitt quitte une planète pour s'en rendre sur une plus lointaine, il laisse quelque chose derrière lui, un repère, une certitude pour se plonger de plus en plus vers l'inconnu. C'est en affrontant cette solitude et ce vide en lui que le personnage va pouvoir se réconcilier avec le monde, renaître. Chaque plan interminable où la caméra suit l'astronaute en train de se détacher d'un nouvel univers est déchirant. Si l'on se laisse porter par cette dynamique, alors l'effet est magique : On se retrouve nous-mêmes face à l'inconnu, face à l'immensité de possibles qui se présente face à nous, et au vertige qu'elle procure. On ne se pose plus de questions (elles viendront bien après le film, si on y a été réellement sensibles) mais on est tout simplement happés par l'éloignement qu'on nous impose, la perte de repères visuels (mais attention, pas la perte de repères vis à vis de Brad Pitt, puisque c'est lui qui garantit notre attache au film!).
Brad Pitt, en parlant de lui, est absolument bouleversant dans le rôle. Complètement habité à l'intérieur de son cockpit, de toutes les couches de verre qui l'enferment un peu plus, il délivre une performance qui se livre petit à petit, passant d'un personnage à priori dépourvu d'émotion à un personnage qui les redécouvre avec angoisse, puis à celui qui sera déterminé pour affronter ces mêmes angoisses. La force invisible qui le pousse en avant se retrouve dans son regard dans lequel des tempêtes se déchaînent à chaque instant : Pitt, contrairement à l'univers qui l'entoure, n'est jamais vide. C'est au contraire un trop plein qui le caractérise, un trop plein écrasé par l'ataraxie que ces tests psychologiques lui imposent.
Ad Astra est une expérience à vivre au cinéma, ne serait-ce que pour réaliser pleinement la beauté des décors qui nous sont proposés (ou des plans absolument splendides : Brad Pitt remontant de profondeurs aqueuses progressivement, le réalisateur s'intéresse simplement au reflet de son casque où se dessine alors ses mains qu'on voit agripper les maillons de l'échelle, la portée symbolique de cette image et le temps que prend Grey pour simplement la poser lui donne assez de force pour qu'elle reste en mémoire). Il constitue une catharsis tout en contemplation, mais sans que jamais aucune scène ne soit véritablement gratuite. Si le déroulement est lent, il ne s'arrête pourtant jamais et chaque séquence constitue une nouvelle étape de l'épopée du personnage de Brad Pitt.

Le premier contact avec la terre dans le film est extrêmement violent.

Dans une scène majestueusement filmée, Brad Pitt chute depuis l'atmosphère jusqu'au sol et s'y écrase sans que l'idée ne le touche réellement.


Le film va mener alors jusqu'à cette redécouverte du contact par le personnage, et la redécouverte de la sensation que ce contact peut procurer. Alors qu'un choc d'une grande brutalité ne lui fait aucunement peur, c'est le retour volontaire à la Terre qui constituera une véritable épreuve pour lui. Mais il ne pourra pas l'affronter avant de s'être plongé toujours plus loin dans l'inconnu, et dans son propre passé.

Ad Astra n'est pas une réflexion. Ce n'est pas un film à la portée simplement intellectuelle qui cherche à se hisser à l'échelle de l'humanité entière, du moins je ne l'ai pas perçu comme cela. Ad Astra est surtout un film profondément sensible, et sensitif, qui n'a peur ni de la grande émotion, ni de la patience qu'il faudra pour l'atteindre. Il parle surtout, à travers l'immensité du monde qu'il propose, d'une quête profondément intime.
Qu'on ne s'y trompe pas, on ne trouvera pas ici le sens de la quête obsessionnelle et absurde de The Lost City of Z. Mais on y trouvera le moyen de se réconcilier avec, puis de s'en détacher pour voir plus loin qu'elle, enfin.

Elliptic
9
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le 30 sept. 2019

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Elliot Minialai

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