Il faut se rappeler l'image finale de The Lost City of Z : celle de cette femme qui franchit symboliquement une porte ouverte sur la jungle pour se lancer à la recherche de son mari disparu. Ce motif constitue le coeur de Ad Astra aujourd'hui.


Comme celui de l'explorateur. Mais là où Charlie Hunnam était un passionné d'aventure en terre inconnue au point de s'y perdre, Brad Pitt joue au détaché, au désabusé dans une quête spatiale aux allures d'exploration intime.


James Gray ne fait pas mystère, sur ce point, de ses ambitions, en cadrant le reflet de son personnage principal porté sur la visière dorée de son casque. Il s'agira donc autant de porter son regard vers les étoiles que dans l'intériorité d'un Brad Pitt à première vue sans émotion, sans attache, comme pouvait l'être le First Man de Damien Chazelle... Ou encore un surdoué de type Asperger.


Le réalisateur nous plonge dès lors, au gré de ses voyages spatiaux, dans une odyssée aux confins d'un univers au son ouaté, aux gestes ralentis, au terme d'une danse étrange et entêtante. Une odyssée aux accents d' Apocalypse Now, tournée vers cet instant que l'on anticipe, entre ce père brisé et ce fils partagé, peu à peu, entre rancoeur et appréhension.


La mélancolie ambiante est cependant coupée par des morceaux de bravoure que l'on attendait à aucun moment, comme cette chute vertigineuse, cette course-poursuite lunaire aux allures de western en apesanteur, une attaque de créatures digne d'un film d'horreur, ou encore le macabre d'un glaçant ballet funèbre.


Je lis déjà que de telles scènes apparaissent comme inutiles, voire gratuites, aux yeux de certains. Il est un peu dommage cependant qu'ils n'aient pas compris qu'au delà de la maîtrise de la poursuite, Gray se désenchantait en constatant que l'espoir et le progrès de l'expansion spatiale, vantés dans le petit texte introductif de Ad Astra, ne consistait qu'à exporter l'ensemble des conflits tristement terrestres, comme les querelles de territoires, les actes de terrorisme ou de piraterie ou encore les disputes concernant la maîtrise de la ressource...


Tout comme la scène de l'attaque, à l'occasion d'un mayday sans réponse, constitue le deuxième jalon de cassure émotionnelle éprouvée par Roy lors de son long voyage, confronté à la démonstration de sa propre violence qu'il parvenait à contenir jusqu'ici.


Mais ces moments en forme de fulgurances ne sont finalement que parenthèse. Le voyage que Ad Astra propose est en effet avant tout celui de l'introspection d'un personnage qui fendra peu à peu son armure alors qu'il reprend contact, touche après touche, avec un environnement immédiat qui semble dans un premier temps l'indifférer au plus haut point, comme si cela était susceptible de le distraire de sa mission.


Et alors que la charge émotionnelle explose, celle-ci résonne dans l'immensité spatiale en faisant ressentir au spectateur cet intense sentiment de solitude et d'isolement, cette impression de vide vertigineux et sans retour ou de vanité de l'existence qui prend parfois possession de nous. Tout en soulignant la confusion des repères ou le caractère déstabilisant de ce que l'on éprouve devant l'écran, au point d'abolir la salle de cinéma et sa frontière.


Déprimé, perdu, monolithique, Brad Pitt fait regretter les rumeurs concernant l'arrêt de sa carrière. Quant à James Gray, il livre sa propre odyssée de l'espace ambitieuse, nonchalante, et qui refuse de livrer avec facilité ses aspects les plus méta, voire expérimentaux.


Au point de vouloir prendre un second ticket pour la séance de 17H00, alors que l'on vient juste de sortir de celle de 14H00. Histoire de s'abandonner à nouveau, de lâcher prise et de lever les yeux vers ses propres étoiles.


Behind_the_Mask, cube cosmique.

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