Un jeune homme avec un bonnet sur la tête grimpe la montagne en mobylette mais se fait accoster sur la route par trois garçons armés de hachettes voulant lui voler son argent. Froidement, sans se démonter, il les abat rapidement, sans faire de sentiment. Dans sa globalité, A Touch of sin est représentatif de cette scène âpre et singulière durant toute la durée du long métrage, une lutte des classes vue comme une jungle sans foi ni loi. Le récit est enfermé dans un marasme féroce, politique où la violence soudaine et ensanglantant presque le visage de nos protagonistes rejaillira dans les faits et gestes d’une population englués dans leurs problèmes du quotidien.


4 histoires, 4 vies qui se croisent sans s’apercevoir, 4 visages d’un pays en perpétuelle mutation, où les relations humaines répondent au monde contemporain, où la violence est parfois le seul moyen d’obtenir gain de cause dans une société presque déshumanisée où les contraintes économiques, sentimentales et matérielles font rage quelque soit la richesse, l’âge, l’habitat rural ou citadin, ou le sexe.


Cinématographiquement Jia Zhang Ke fait le choix de raconter chaque histoire l’une après l’autre, sans que cela soit gênant tant chaque destin répond à un autre. On y voit par exemple un mineur se plaignant de la corruption de son chef, ou une réceptionniste vivant de mésaventures en mésaventures avec les hommes. La violence permettra de se libérer d’un poids, de se venger d’un malentendu financier, de s’écarter d’un ennui presque dévastateur, de se protéger de ses ravisseurs, de se libérer d’un mal être vagabond. Le travail, le mariage, le vide émotionnel, le gout au pouvoir, la soumission financière, la luxure, les mœurs, tout y passe sans que Jia Zhang Ke vienne plomber son propos d’une morale bienveillante.


Le réalisateur n’utilise pas de soubresauts, reste toujours sur ses gardes, pour réaliser un pamphlet politique, toujours délicat dans sa narration, une phrase, un dialogue, une image, un plan lui suffit pour nous embarquer, pour nous faire comprendre dans quelles situations se trouvent les personnages. Les écarts hiérarchiques au travail se font de plus en plus vertigineux, les liens familiaux se disloquent à une vitesse folle, la relation homme/femme est de plus en plus antinomique. Mais la force de cette œuvre est d’avoir trouvé le parfait équilibre entre la finesse de l’écriture qui dessine excellemment bien l’omniprésence de l’argent pour élaguer les liens humains avec ces fulgurances graphiques.


Cette violence est parfois sourde quand Zhao Tao se servira de son couteau pour tuer un homme la fouettant avec de l’argent ou quasiment burlesque quand Dahia abattra un homme maltraitant son cheval. A Touch of Sin est d’une maitrise narrative et esthétique impressionnante. La réalisation est l’une des plus belles et des plus fines de l’année avec une photographie somptueuse de Yu likwai, permettant au film d’atteindre une perfection visuelle frappante. Jia Zhang Ke parle de ces gens à qui on ne donne pas la parole, qu’on ne veut pas voir ou qu’on fait taire délibérément, et réalise avec A Touch of Sin, un film presque maladif, dépressif, parfaitement ancré dans le quotidien, dans le réel, étant le symbole de cette Chine de plus en plus imprégnée par les travers du monde Occidental.

Velvetman
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le 10 sept. 2018

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Velvetman

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