Quand le jazz sonnait la révolte. Il est fort probable que le titre A Man Called Adam n’évoque pas grand-chose, même chez les cinéphiles, le film de Leo Penn n’ayant pas particulièrement accédé à la postérité. Un morceau de cinéma qui mérite qu’on évoque aujourd’hui son souvenir.


L’introduction de A Man Called Adam nous met directement dans l’ambiance. Après un générique d’ouverture énergique, nous assistons à une représentation d’Adam Johnson et de son groupe dans un night club. Trompettiste émérite, il électrise les foules avec ses solos endiablés. Mais c’est aussi un homme fragile, supportant mal les remarques négatives de son public, se réfugiant régulièrement dans l’alcool pour oublier, au risque de faire du mal à ses proches en se montrant agressif. En ce sens, le début du film montre un souhait de retransmettre cette confusion aux yeux du spectateur en jouant avec les ellipses et un certain manque de contexte qui nécessitent de recoller les morceaux progressivement.


C’est en effet cette voie que suivra le reste du film, bien plus lisible dans sa construction certes, mais surtout guidé par les sautes d’humeur du personnage principal, qui doit endurer de nombreux maux inhérents à la société, ainsi qu’à son propre passé. Une société très marquée par la ségrégation en ces années 1960, le racisme étant un sujet abordé de manière frontale dans A Man Called Adam. Celui-ci est parfois visible, au détour de certaines scènes, notamment lorsque deux policiers enquêtent de manière abusive sur Adam. « Ils te reprochent ci et ça… Jusqu’à ce que tu dises ‘Oui, Monsieur.' » dit-il, excédé. Mais, généralement, ce racisme est invisible, insidieux, sous-entendu par tout le mal-être d’Adam, dont on devine que la discrimination est l’un des facteurs. A travers ce personnage à fleur de peau, on découvre l’illustration de toute une société en manque de repères, clivée, injuste, où la transgression est le seul moyen d’expression.


L’alcool est le refuge d’Adam, qui égare son esprit dans les excès, tout comme la musique le lui permet. Avec sa trompette, il devient quelqu’un d’autre, un homme adulé et aimé de tous, dont le talent rayonne, mais cela ne fait pas toujours illusion bien longtemps, lorsque le naturel de certains revient au galop. Le jazz, c’est le refuge de l’Amérique Noire, musique transgressive pour certains, modernes pour d’autres, cassant les codes, fondée sur l’expression de l’âme elle-même, comme l’exprime Adam au détour d’une conversation avec Vincent. Pour vibrer, la musique doit venir du cœur, apprise sur le tas car les moyens ne permettaient pas d’apprendre la musique à l’école. Un point superbement mis en scène dans ce film où les scènes musicales, souvent filmées de prêt et de manière originale, vibrent et sont intenses, faisant ressentir tout l’aspect libérateur de la musique.


Leo Penn, père de Sean et de Chris, réalise ici son unique film pour le cinéma, une réussite qui nous fait nous demander pour quelles raisons il n’a pas réédité l’expérience. Toujours est-il que A Man Called Adam nous entraîne dans une époque foisonnante où les rêves peuvent vite devenir des cauchemars, où la volonté a beau être forte, le monde qui nous entoure nous mettra toujours à l’épreuve. Avec la participation de légendes de la musique, Louis Armstrong en tête, le film donne véritablement vie à tout ce pan de l’histoire de la musique avec, en tête, un Sammy Davis Jr. remarquable, complètement habité par son rôle. Adam a trouvé son Eve, mais ne s’est-il pas non plus définitivement égaré de son paradis perdu ?


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 19 janv. 2023

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