LES FEMMES CHOISIRONT TOUJOURS LA LIBERTE.

Image d’Épinal.
Grossesse et teint de pêche.
Les garçons naissent dans les choux et les filles dans les roses.
Révélation du lien maternel.
Béatitude de la rencontre avec son enfant.


Entretenir, toujours, le mythe selon lequel la femme est mère par nature,
et la mère amour et don par instinct.


A la vie vient compléter ce tableau lustré d’une maternité parfaite en se rapprochant au plus près des interstices cahotés. Aude Pépin, la réalisatrice, suit le quotidien de Chantal Birman, une sage-femme itinérante qui court vers ses soixante-dix ans, et sa retraite. Une sage-femme qui court, tout simplement. D’une femme à une autre, d’une famille à une autre, Chantal ausculte les bébés, rassure les mères, les informe, répond à leurs questions. Il ne s’agit à aucun moment de donner toutes cuites des solutions au « blues port-partum » qui fait la une de tous les magazines dits féminins.


Chantal s’attache plutôt à considérer chacune des femmes qu’elle rencontre dans leur entièreté et leur intégrité. Les oreilles tendues, l’attention disponible, elle entre dans chaque famille comme une épaule solide. Ses yeux rieurs et ses paroles sincères tendent les clefs pour désamorcer les angoisses qui naissent avec l’enfant que les mères viennent de rencontrer.


Non, l’accouchement ne signe pas l’arrêt du besoin de l’accompagnement des parents.
Oui, l’arrivée d’un nouvel être humain bouleverse les vies, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire.


Le pire est dans le creux des nuits sans sommeils, des journées sans tranquillité ; où le désir de ne plus être mère peut se mêler au désir d’être une mère parfaite, où la peur de reproduire des schémas familiaux peut engendrer la reproduction de ces mêmes schémas. Il faut alors apprendre à être parent, apprendre que cela s’apprend, d’être parent, contre toute attente, contre tout discours social. Et par-dessus tout, dès les premiers jours, déjà, « apprendre à faire confiance à son enfant » : le travail d‘une vie, selon Chantal. A ce propos, le film résonne selon moi fortement avec un récent épisode des Pieds sur terre, « Mal de mère(s) », sur France culture, qui donne la parole à des femmes qui regrettent d’avoir eu à porter ce rôle. Tout comme ces femmes qui osent prendre la parole pour dire « je n’étais pas faite pour être mère », les femmes qu’Aude Pépin et Chantal Birman suivent ont la bravoure de leur faiblesse, et la force de leur résilience.


Chantal, elle aussi, est impressionnante de force. Une énorme valise grise contenant tous ces ustensiles de consultation toujours au bout des bras, elle traverse sans s’arrêter Paris et sa proche banlieue, gravit les immeubles et passe de longs moments en voiture, accompagnée de la radio, pour se rendre aux domiciles de toutes ces femmes qui viennent de donner naissance. Ce portrait de femme n’est pas sans rappeler celui d’Anne Gruwez, dans Ni juge ni soumise, réalisé par Yves Hinant et Jean Libon. Il y a chez Anne comme chez Chantal la même énergie sociale, un sens du devoir et un certain pouvoir à parvenir à se mettre « à la hauteur de ».


Certes la caméra est bancale parfois, elle cherche son point, cherche son angle et tressaute de trop, mais Chantal - de tous les plan - tient le film par sa vitalité. Vitalité d’une génération qui s’est battue pour les droits à l’avortement. Ayant elle-même avorté de façon clandestine au sein même de l’hôpital où elle travaillait, elle dit, au volant de sa voiture capricieuse, après une longue journée de travail, le regard toujours aussi vif :
« Je suis prête à mourir pour défendre le droit à l’avortement ».


Être prête à mourir pour ses droits.
Sans concession.
Entendre ces mots,
Puis voir ces milliers de femmes marcher
à l’unisson dans la rue,
Entendre leurs cris leurs voix
Leurs revendications,
Et vibrer,
Les poils de bras dressés,
Suis-je prête

à mourir pour mes droits ?


Prête à mourir pour qu’elle, mais surtout, maintenant, pour que d’autres femmes après elle, continuent d’avoir le droit d’exercer leur plein pouvoir sur leur corps.
Chantal rappelle d’ailleurs à quel point les droits que les femmes ont acquis, avec ceux des dites « minorités » , seront les premiers à être remis en question au moindre basculement autoritaire ou rétropédalage gouvernemental.


Chantal dit « Accompagner des femmes, c’est militer ».
En effet, chacune de ses actions, chacun de ses gestes transpire l’engagement, le dévouement à sa cause. Sa cause, c’est celle de la libération de toutes les femmes. Sans a priori ni jugement, elle travaille à ce que chacune d’entre elles puisse prendre la meilleure décision la concernant.


Du bon soin d’une cicatrice de césarienne – que mon œil de femme et de spectatrice découvrait pour la première fois à l’écran, résultat encore de l’invisibilisation des corps endoloris qui enfantent – de cette cicatrice donc, à l’accompagnement physique et moral dans l’allaitement, jusqu’à la prescription joyeuse de « se faire des amies » donnée à une femme isolée, Chantal panse les plaies, pose ses doigts et ses mots là où les femmes se trouvent seules et béantes.


En donnant la parole à Chantal, ainsi qu’à ses copines de « La Tournante » - table ronde pour quelques amies sages-femmes – A la vie rappelle avec toute l’humanité et le respect dont la caméra d’Aude Pépin fait preuve, l’importance du rôle de ces femmes qui chaque jour, sans être pourtant payées ou reconnues à leur juste valeur, œuvrent de leur mieux à accompagner ce moment si particulier de l’arrivée d’un nouvel être humain dans ce monde.


De leur mieux, et non comme elles le souhaiteraient. Tout au long du film, de façon parfois presque trop didactique, mais pour autant efficace, les propos de Chantal et de ses collègues mettent en exergue les conséquences terribles de la capitalisation et privatisation de l’hôpital public sur la santé des patientes. Ici, on apprend que la péridurale, si elle permet en effet de réduire la douleur, est davantage un gage de tranquillité pour des services de sages-femmes sur-saturés, où quatre femmes devront prendre en charge douze grossesses dans la même journée, qu’une manière chimique et bienveillante de soulager la mère.


La péridurale n’est plus utilisée à des fins de santé, mais des fins économiques et organisationnelles. La péridurale pour étouffer le cri d’un hôpital qui dégueule et déborde de souffrance.


Chantal dit : « Entre la vie et la mort, les femmes choisissent la liberté. »


Ce film est d’autant plus nécessaire qu’il arrive à l’heure où les sages-femmes brandissent leurs revendications dans la rue depuis plusieurs mois, organisent des grèves successives, et exigent notamment quatre changements précis, que suivent : une refonte des grilles salariales et du régime indemnitaire des sages-femmes, l'attribution de la prime d'urgences, des effectifs sous statut pérenne (la règle devant être une femme, une sage-femme) et l'arrêt des fermetures des centres départementaux de Protection Maternelle Infantile (PMI) des Conseils départementaux.

Margot_slv
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le 2 nov. 2021

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