En Nouvelle-Zélande, plus qu'un écrivain, Barry Crump est une institution, un classique, un passage obligé pour qui veut comprendre ou décrypter la culture kiwi populaire. Il incarne l'image du "bushman", l'homme néo-zélandais rugueux, bon vivant, proche de la nature et des traditions. Des années 60 jusqu'à sa disparition en 1996, il a écrit une vingtaine de romans, souvent semi-autobiographiques, inspirés de sa vie de forestier et des personnes hautes en couleur qu'il a rencontré au cours de ses périples dans le bush (pour nous, la jungle) de Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, il n'est pas seulement l'un des auteurs kiwis les plus vendus : avec sa voix de baryton et son physique caractéristique, il est allé bien au-delà de l'image austère qu'on prête traditionnellement aux écrivains pour s'infiltrer partout dans la culture populaire, apparaissant à la télévision ou au cinéma, véhiculant avec lui l'idée d'un certain terroir néo-zélandais, celle d'une fierté patriotique innocente, drôle et rassembleuse. Inexplicablement, il manquait pourtant à son palmarès une adaptation au cinéma par un réalisateur local, un film plus simple, direct, sincère, qui traduise l'esprit kiwi autrement que par la démesure de la trilogie jacksonienne qui colle à la peau du pays (et qu'on retrouve aujourd'hui à travers les sociétés Weta Workshop et Weta Digital, à l’œuvre sur quasiment tous les gros films hollywoodiens). La sortie, tardive, de Hunt for the Wilderpeople, qui est l'adaptation du succès national "Wild Pork and Watercress" de Barry Crump, est donc un événement local important.


Dans la foulée du Mahana de Lee Tamahori qui marque presque en même temps le retour d'un cinéaste hollywoodien à ses origines, Hunt for the Wilderpeople convoque ainsi un casting de revenants sympathiques, parmi lesquels Sam Neill, ancienne star de Jurassic Park aujourd'hui tombée dans l'oubli, et Rhys Darby, un autre enfant du pays qui a notamment écrit pour Jim Carrey. Sam Neill incarne un paysan taiseux et bougon qui, à la suite d'un quiproquo, se retrouve suspecté du kidnapping d'un jeune garçon à problèmes qu'il avait accepté d'adopter contre songré. Pourchassés par la police et la DDASS locale à travers le bush, ils vont ensemble former un duo de "wilderpeople" mal assortis et tenter de s'entendre bon gré mal gré en faisant face aux rencontres inhospitalières du bush. En bien des points, le nouveau film de Taita Waititi (Boy) est un véritable bulldozer fait avant tout pour plaire aux familles, un peu de la même façon que les romans de Barry Crump s'adressaient à chacun par leur simplicité et leur sincérité. Pour un Français, ce film peut-être vu comme un équivalent à un Francis Veber, à un mélange entre le Petit Nicolas et La Chèvre : une comédie familiale pétrie de malentendus et de bons sentiments, valorisant la culture populaire tout en prenant pour cible le sujet connu de la différence entre les modes de vie et les générations, entre les jeunes des villes turbulents et les vieux paysans solitaires.


Pour qui s'intéresse à la culture néo-zélandaise, voir ce film est donc indispensable, tout comme il est indispensable de jeter un œil à l’œuvre de Barry Crump. Sans surprise et au même titre que la plupart des comédies populaires de ce standing à travers le monde, Hunt for the Wilderpeople reste un divertissement inoffensif, assez prévisible, calibré pour mettre en valeur les paysages locaux et railler gentiment (avant de réhabiliter) des personnages aux caractères archétypaux. C'est un film au traitement volontairement gentil, mainstream, aussi conçu, comme beaucoup de grandes comédies populaires, pour générer un sentiment d'appartenance et se faire le porte-étendard d'un pays entier. Techniquement, la mise en scène n'a pas grand-chose d'original, les dialogues sont politiquement corrects, le scénario cousu de fil blanc vers une fin annoncée... on sent que l'enjeu est ici moins de raconter une histoire (déjà connue de tous) que de lui offrir l'écrin cinématographique qui l'inscrira définitivement au patrimoine national. Il y a quelques passages vraiment drôles, comme le clin d’œil ironique et absurde au "bush-man", et Sam Neill en vieux briscard ronchon est convaincant, mais on sent du début à la fin que Hunt for the Wilderpeople est une adaptation en perpétuelle recherche de consensus. Par sa nature même pourtant, en considérant le poids de ce film et sa signification pour la production locale, il reste pourtant à voir au moins une fois, pour réaliser que le patrimoine cinématographique de Nouvelle-Zélande n'est pas à limiter à la trilogie du Seigneur des anneaux ni même aux remarquables travaux de Weta, société désormais souvent à l’œuvre sur des films américains.

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le 15 avr. 2016

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Seb C.

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