Deux visions possibles

L’histoire raconte celle d’un homme et d’une femme vivant une passion amoureuse puis séparés par un accident ; un accident de la vie coupant tout amour physique. Comme dans le film « Ghost » de Jerry Zucker, la femme reste, l’homme part pour faire place à son fantôme. L’âme du disparu est bien là errante dans la maison où il a vécu, il est mort non loin de là. Il verra sa femme éprouver le deuil puis sa possible reconstruction avec quelqu’un d’autre, avant son départ définitif du foyer. Suivent d’autres arrivants (une famille, des colocataires et d’autres visiteurs) montrant des épisodes de vie différents (Noël, une soirée festive). La vie suit son cours mais lui reste.

L’ambiance est toute particulière avec souvent de la musique classique en bande-son mais aussi, semble-t-il, celle créée par le spectre lui-même lors de sa vie précédente. Il n’y a pas beaucoup de dialogues, le film est contemplatif et centré sur le fantôme. Cela donne une atmosphère flottante semblable aux déplacements lents du défunt dans sa maison. La temporalité du fantôme est différente de la notre, elle est faite d’ellipses qui permettent au film de passer brutalement d’une séquence à une autre, d’une période à une autre sans perturber le spectateur. Immuablement cet « esprit » reproduit la même chose en essayant de récupérer un message que sa compagne avait glissé dans un petit trou. On suit ici les anciens contes populaires : la répétition d’une action, le mort est vêtu d’un simple drap (il manque juste la chaîne au pied) et il est également prisonnier de l’endroit où il a vécu et où il a quitté ce monde.

On peut y voir aussi d’autres époques : bien avant lui, du temps des premiers colons, une famille a été décimée par des indiens, et bien après quand la ville aura gagné sur la campagne et qu’un immeuble remplacera sa maison. Cela veut-il dire que le fantôme peut traverser les époques en rompant toute notion temporelle ou bien que nous sommes entourés d’esprits qui sont les témoins de notre quotidien, des bons moments comme des tragédies inhérentes à notre histoire mais aussi à l’Histoire elle-même ? Éternellement présents, les esprits errant sur Terre veillent peut-être sur nous.

Mais d’ailleurs le fantôme que l’on voit est-il bien celui de Casey Affleck ? Le fantôme qui cherche ce petit bout de papier est peut être celui d’un autre (celui qui regarde les colons et la petite fille cacher un papier sous une pierre, celui aussi qui fait du bruit la nuit quand les deux amoureux dorment). En fait ce message qu’il cherche tant à attraper n’est pas si important en soi, c’est plutôt un témoin permettant à l’âme de partir pour faire place neuve à la suivante : d’autres vies, d’autres morts (et donc d’autres fantômes) viendront.