Le dernier film d’Antoine Desrosières, À Genoux les gars, ne se porte pas bien au box-office. Il est facile de voir qu’il y a sans doute un problème de positionnement pour ce film destiné plutôt à un public de cinéphiles, mais tourné sans grand souci d’épater par des effets esthétiques, avec des comédiens qui utilisent un slang qui fait saigner les oreilles de certains, et qui parlent de bites toutes les trente secondes ou presque.


Co-écrit avec Souad Arsane et Inas Chanti, les actrices du film, tout comme le précédent Haramiste du cinéaste qui questionnait déjà sur la sexualité dans le milieu où les personnages évoluent précisément, le film d’Antoine Desrosières se revendique d’un certain féminisme. Deux sœurs, Rim et sa cadette Yasmine découvrent, ou essaient de découvrir, leur sexualité au travers de leurs relations chaotiques avec leurs copains respectifs. Dans un environnement où les filles aussi s’appellent frère ou gros entre elles, il est en effet difficile de faire la vraie part des choses, il est difficile de décoder un univers déjà terrifiant dans son dispositif le plus simple, celui du sexe quand on est adolescent. Quand s’ajoutent en plus des préceptes religieux – nous sommes en période de ramadan – qui mettent une chape de haram (illicite et interdit) sur l’ensemble, les jeunes filles perdent la tête et ne connaissent plus vraiment les raisons pour lesquelles elles consentent à telle chose et refusent telle autre.


Le dialogue est logorrhéique, comme peuvent l’être les jeunes en général, et plus particulièrement les jeunes qui n’ont que la tchatche pour tenter de se distinguer. Mais il est également très drôle, rempli d’un esprit que certains critiques ont pourtant traité de vulgarité. Dès le début du film, le ton est donné, tant sur le fond que sur la forme. La grande sœur Rim essaie de faire comprendre à sa cadette combien le sexe est agréable en mimant des scènes visiblement tirées de films pornographiques : la drôlerie est déjà là (« ça veut dire, je serai obligée de parler en anglais ? » questionne Yasmine en la regardant faire), et le malaise aussi, celui de cette jeune femme qui réplique malgré elle ce que visiblement les gars attendent d’elle, attendent de toutes les jeunes femmes qu’ils fréquentent. Le malaise est également dans la dichotomie qu’elles éprouvent par rapport à la découverte de l’amour et à celle du sexe qui semblent être à ce stade bien loin de la sorte de continuum qu’elles devraient être : il semble en effet plus facile de donner et/ou recevoir une fellation qu’un baiser, et l’acte oral a priori unilatéral du point de vue du plaisir est le point d’orgue d’une relation satisfaisante (sous-entendu, pour le garçon).


Le visionnage d’À Genoux les gars s’apparente donc à un vrai décodage de ce qui se trame vraiment derrière ce dialogue foisonnant qui fait très souvent office d’armure. Ce qui semble naturel aux deux protagonistes, mais également à leurs petits copains est une vraie découverte édifiante pour le spectateur, pour peu qu’il n’ait pas de rapport avec le milieu décrit par le cinéaste, tant le mythe de la licorne et du prince charmant sont absents de la vie de ces deux adolescentes-là.


Le film est davantage centré sur le personnage de Yasmine. C’est un (faux ?) garçon manqué qui n’aspire qu’à rivaliser avec les garçons dans toute son attitude, ses vêtements, son langage, son engagement sexuel, et pourtant, la seule scène d’amour du film, brève mais d’autant plus signifiante, viendra d’elle. À Genoux les gars suit sa difficile prise de conscience par rapport à ce qui est correct et ce qui est incorrect dans la manière avec laquelle elle-même ou sa sœur sont traitées par leurs copains. Yasmine, affolée par ses expériences, part un peu dans tous les sens tel un poulet sans tête, et même si la démarche du cinéaste est sincère, on a du mal à voir la ligne du féminisme revendiqué se dessiner clairement. Si le titre du métrage évoque une éventuelle victoire des filles à un moment du film, leur chemin est si semé de misogynie, même de bas étage, que ce qui en ressort, c’est davantage la bêtise crasse mais gagnante des garçons, que la résistance des filles.


À Genoux les gars est loin d’être le teen-age movie qu’on pourrait être tenté d’imaginer. Ça parle en effet plutôt de sexualité que de sexe, certes de manière très drôlatique – les séances d’improvisation qui ont précédé le tournage permettant de coller au plus près de l’univers très imagé et très imaginatif de Souad Arsane et Inas Chanti. Mais à aucun moment le film ne se veut pontifiant, il ne fait que raconter l’histoire de ces deux jeunes filles engagées dans un drôle de combat, un combat qui ne devrait plus en être un en 2018, et c’est ce qui fait sa force et son intérêt.


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Bea_Dls
7
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le 4 juil. 2018

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Bea Dls

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