Un pamphlet anti-bourgeois annonçant ce que fera Chabrol tout au long de sa carrière

Des petits spoils


Un pamphlet anti-bourgeois comme sait si bien le faire Claude Chabrol, même s'il souffre d'inégalités. La structure est d’ailleurs la même que dans beaucoup de films du réalisateur ; nous sommes plongés dans le quotidien d’une famille bourgeoise, pleine de bien-pensance, aliénée par un système de valeurs qui ne cherche jamais à être remis en cause par les bourgeois. Et un élément perturbateur va arriver et bouleverser la famille bourgeoise. Ici, c’est Belmondo, un roturier qui désire épouser la fille de la famille bourgeoise, qui est l’élément perturbateur. Il met la famille bourgeoise face à ses propos torts, et les le fil conducteur, pendant la première heure, de la virulente critique de Chabrol à l’encontre d’une classe bourgeoise qui ne cesse de se rétracter sur elle-même et qui refuse de vivre le présent, dans un pays où les mouvements sociaux sont de plus en plus nombreux. Une bourgeoisie qui veut garder sa place alors qu'elle est finalement hors du temps... Mais il y a aussi une autre intrigue, une intrigue d’adultère, et qui se conclut sur le meurtre, comme souvent également chez Chabrol. Et comme souvent chez Chabrol, ce qui importe après le meurtre, c’est non pas les problèmes moraux, ni les problèmes judiciaires ; ce qui importe, c’est de préserver les convenances bourgeoises. Cela rappelle en cela La Femme infidèle , de Chabrol également, un film qui porte aussi sur les convenances à maintenir de la bourgeoisie dans n’importe qu’elle situation. La réputation avant tout, et le respect des convenances.... Mais ce film était plus convainquant que celui-ci, qui est bon, mais qui souffre d’un petit problème rythmique. Certains climax sont pas très convaincants, surtout passée la première heure, qui elle, est très bonne.


Il n’y a rien de véritablement innovant dans ce film ; quand on connait bien la filmographie de Chabrol, on constate que beaucoup de films sont construits de la même manière et ont un fond commun. C’est d’ailleurs ce qu’on pourrait reprocher au réalisateur, le fait qu’il ne se soit jamais (ou rarement) ré-inventé, même si des films comme Le Boucher ou Les fantômes du chapelier montre qu’il est capable de faire d’autres choses (bien qu'il y ait toujours une histoire de meurtre... mais c'est très différent dans la forme, et le fond y est plus nuancé). C'est un film assez classique dans la filmographie de Chabrol en vérité ; il y a tout de même certaines scènes qui tendent vers l’absurdité la plus totale, et ces scènes sont particulièrement réussies, notamment lors de l'annonce de la mort du personnage d'Antonella Lualdi ! Les personnages sont d'ailleurs très bien écrit, leurs réactions dans les situations extrêmes sont très déconcertante, ils ont un certain détachement des situations qu'ils semblent parfois ne pas être concerné par les enjeux. Et c'est très bien fait. Car le film est vraiment bien écrit et bien construit.


A double tour est donc un film qui représente typiquement la filmographie de Claude Chabrol, qui synthétise la majorité des enjeux du cinéaste. Comme je l'ai dit, tout est formidablement bien écrit, et on a un Belmondo absolument délicieux (sans oublier la beauté extraordinaire d’Antonella Lualdi). Pour autant, c’est un film peut-être un peu plus provocateur que la plupart des films de Chabrol ; le pamphlet anti-bourgeois se transforme peu à peu en drame familial, un drame parfois presque aussi dur qu’un drame bergmanien, mais avec une teinte de cynisme, une tonalité que Chabrol manie souvent avec brio ! Ceci dit, l’énorme dureté des propos fait du film une oeuvre assez explicite, trop explicite parfois, une oeuvre qui manque parfois de finesse, là où Les Cousins ou encore L’oeil du malin et La Femme infidèle sont d’une grande finesse. Mais il y a un côté rafraichissant parfois ; il faut admettre que voir Belmondo en immigré, en roturier, qui refuse le respect des valeurs bourgeoises, en les transgressant avec insolence, ironie et parfois même avec une certaine violence, c’est assez jouissif. C'est même, à certains moments, à mourir de rire. Cependant, le film tourne un peu en rond, et c’est là où il est peut-être en dessous de ses autres films à l’allure de pamphlet anti-bourgeois. De plus, je trouve que l’utilisation de la musique manque également de finesse dans ce film ; Chabrol en a toujours utilisé, mais là, il y en a beaucoup trop, Chabrol ne propose que de trop rares moments de silence, et ça casse un peu le rythme paradoxalement. Car si le film est très bien construit et écrit, il souffre parfois d’un problème de rythme, lié à des maladresses de mise en scène plus que d’écriture je trouve. La surabondance des musiques est un de ces éléments maladroits. Il y a aussi les scènes de flash back, rares certes (j'en compte deux importantes), mais qui sont à mon sens plutôt ratées, et elles cassent aussi le rythme du film. Et du coup, on a parfois l’impression que le film ne progresse pas, qu’il stagne dans sa dramaturgie, que la linéarité de sa narration finit par atteindre un une asymptote, car la fin du film tend vers quelque chose sans y arriver (c'est l'impression que j'en ai eu). Mais pour autant, les scènes les plus importantes du film sont elles parfaites, à part cette séquence finale ; ce sont les liants entre les différents moments importants du film qui sont en-dessous.


Ce n’est pas le plus grand film de Chabrol, loin de là. Mais c’est un film intéressant tout de même, et qui se situe dans la droite lignée de ce que proposera Chabrol et qui annonce particulièrement ce qu’il fera dans les années 1960 et 1970 ; un film formidablement bien écrit, plutôt bien construit (les personnages le sont en tout cas), parfois jouissif, et qui n’exclut par un humour parfois noir, même si le film semble parfois s’essouffler par une mise en scène un peu maladroite et un peu trop grossière. Mais c’est un film qui définit en tout cas totalement Claude Chabrol, mais qui n’atteint pas les sommets de ses chefs d’oeuvre. Pour autant, c’est un film que je ne peux que conseiller aux admirateurs du réalisateur, car on y retrouve de nombreux procédés cinématographiques et de nombreuses thématiques propres au cinéaste.

Reymisteriod2
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le 9 déc. 2019

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Reymisteriod2

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