Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie.


... écrit Charles Baudelaire à la fin de son dixième poème des Fleurs du Mal.
Dans ce poème, le Temps est peint comme un Vampire car il tue les gens en extrayant tout le sang de leur corps.
Et c'est là que Gore Verbinski se lève et, d'une démarche étrange, énigmatique, s'écrie calmement et furieusement:
OBJECTION !!!!!!!!!!!
Puis s'assoit calmement, posément, comme si de rien n'était, nous laissant pantelants, sans voix, devant son sourire dément et carnassier.


Après la résurrection des films de pirates (Pirates des caraïbes), des westerns (Lone Ranger), notre psychopathe préféré semble revenir à nos premières amours d'épouvante, dans la veine de The Ring.
C'est en réalité une resucée du film de vampire qu'il nous offre, irriguée par le désir très contemporain de donner dans l'écart artistique.


Sauf que lorsque des Hitchcock ou des Verbinski s'adonnent au péché mignon de leur aîné Iser, cela donne bien autre chose que quand d'autres s'escriment à consommer des personnages au nom de l'écart esthétique.
Rien chez Verbinski n'annonce cet aspect novateur.
Très longtemps, l'on s'imagine devant un pastiche jouissif et réussi de M. Night Shymalan: intrigue principale (le centre de cure) / intrigue secondaire (le suicide du père) auxquelles viennent se greffer étrangeté et terreur.
Et Verbinsky s'ingénue à brouiller les pistes, poussant à nous faire hésiter entre une histoire de manipulations financières à la Chapeau melon et Bottes de cuir - où une station thermale, qui ne laisse pas repartir ses patients, servirait les intérêts d'un groupe concurrent en séquestrant des hommes d'affaire au moyen d'une pathologie prétendue - une énième histoire de fou qui s'ignore à la Fenêtre secrète, Fight Club, Shutter Island, une resucée de L'Horrible Dr Orlof et une histoire de malédiction digne du film Hantise.


C'est finalement sur cette dernière piste qu'il faut parier pour tirer du signe polysémique du reflet omniprésent le mystique aliment qui fait toute la vigueur du film.
Dès le commencement, les très beaux visuels insuffle le thème du reflet trompeur. A l'exemple du train filmé depuis l'une de ses fenêtres et qui semble se dédoubler dans le reflet qu'offre celle-ci.
Les thèmes abordés visuellement et verbalement confirme cette esthétique. Le feu s'oppose à l'eau et le noir s'oppose au blanc. Tout est comme noir et blanc dans le centre de cure, tout semble pureté dans ce blanc environnant tandis qu'une des patientes décrit comme rempli de noirceurs.
Mais ce thème du reflet se lit autrement, rapproché de deux répliques prises au hasard des dialogues. L'une des patronnes du protagoniste lui demande s'il sait l'effet que fait l'enfoncement d'une bite noire: un pieu redéfini? L'homme que le protagoniste vient rechercher lui fait remarquer qu'il y a plus d'eau dans le corps qu'il n'y a de sang.
Très vite, l'eau semble receler des sortes de sangsues, équivalant dans le règne animal aux vampires, puisqu'elles sucent le sang. Il faut alors comprendre que Verbinski troque la chauve-souris pour une sorte de sangsue marine pour créer une nouvelle forme de vampire. De même qu'on se sert de sangsues pour l'hirudothérapie, le centre de cure s'en sert pour aspirer l'eau des corps de ses patients.


Ces corps servent, jusqu'au dessèchement, de filtre pour obtenir une version de l'eau qui, au lieu d'être létale, possède alors les vertus du Graal ou de la Fontaine de Jouvence.


Son nouveau type de vampire se nourrit non plus du sang de ses proies mais bien de l'eau qu'il extrait de leur corps.


On peut effectivement trouver la chose prévisible.
Les indices sont là, clairs et explicite, dans la piste qui, confondues avec les autres, offre néanmoins combien de similitudes avec le mythe de Dracula tel qu'il apparaît au cinéma !


Le Baron de Volmer dont la femme ne pouvait avoir d'enfant s'est livré à des expériences qui lui valurent l'excommunication. Se détournant de Dieu, il aurait continué ses expériences jusqu'au jour fatidique où les paysans se retournèrent contre lui et le brûlèrent vifs, sa femme et lui. C'est sur les ruines de son château que le directeur a bâtit son centre de cure. Un jeune homme d'affaire, certes non notaire et non Harker, vient y rechercher un membre de son entreprise envoyé dans ce centre. L'homme qu'il recherche, Pembroke, semble totalement transformé par ce lieu et par la proximité du directeur. De là à l'appeler Renfield, il n'y a qu'un pas. Le jeune comprend, en fin à une enquête extrêmement perturbante, que le directeur du centre de cure et le terrible baron ne forment qu'une et même personne, qui se repaît de l'eau filtrée à travers le corps de ses victimes. De Baron à Comte, de Volmer à Dracula ...


Le film joue avec les topoï du genre: le monstre désirant la jeune femme, le thème de la morsure.
Ils les reprend comme il les détourne: les dents ne poussent pas, elles tombent; on insiste sur le thème du berceau, ou plutôt du fétus, de la matrice pour mieux s'opposer au cercueil et à la tombe. Exit le lieu de mort qui dissimule des vivants (caveau, cimetière), bienvenue au lieu de soins et de vie qui dissimule des cadavres ou des morts en sursis (centre de cure, hôpital).
Comme dans dans le célèbre Moulin des supplices- qui semble être l'autre intertexte d'A cure for life - le médecin ne chasse plus le vampire: il est le vampire.


Mais est-il bien le seul vampire inscrit dans cette intrigue?
Car le renoncement psychique est représenté par un même discours en leitmotiv, censé être le contenu d'une lettre rédigée par l'âme en perdition.
Pourtant ce discours nous semble sensé, s'opposant vertement aux valeurs ultra-libérales dans ce qu'elles déprisent des valeurs plus humaines.
Quelle différence existe-t-il pour le protagoniste entre le centre de cure et l'entreprise qui l'emploie?
C'est Charybde et Scylla: les deux monstres aspirent toute vie en lui.


N'est-ce d'ailleurs pas pour cette raison que le héros retourne, un grand sourire à la Norman Bates - quoique plus carnassier - aux lèvres, droit vers le centre de cure en flamme à la fin du film plutôt que de rejoindre ses patrons?


Gore Verbinski parvient donc à renouveler le film de vampire en jouant avec les codes et en repensant de façon tant fantastique que très réaliste la figure de la sangsue.
Il noie son spectateur dans un mélange délicieux de visuels et de figures de styles cinématographiques d'une efficacité du diable.


Mais il le fait parfois maladroitement, forçant sur l'horreur par instants et complexifiant un peu trop son propos afin de brouiller des pistes que nul ne voulait nécessairement voir brouiller.
Plus personnellement, ses sangsues me font penser aux gardes du corps de la machiavélique pieuvre de la Petite sirène et, ainsi que le cerf en début de film, perdent par leur aspect virtuel beaucoup de leur crédibilité.


Avis donc aux âmes craintives, n'allez pas voir ce film et, surtout, pensez à boire régulièrement beaucoup de l'eau!

Frenhofer
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Dans ce film , il y a un cerf !, Gore Verbinski et Bilan Tenties: TOP 25 des claques cinématographiques et coups de coeur des années 2010

Créée

le 10 juin 2017

Critique lue 403 fois

10 j'aime

2 commentaires

Frenhofer

Écrit par

Critique lue 403 fois

10
2

D'autres avis sur A Cure for Life

A Cure for Life
Fritz_the_Cat
5

Le Maître du Haut Château

[L'article sur le blog Lucy met les voiles] Une preuve supplémentaire que Verbinski n'est pas l'homme d'un seul film, même si son dernier bébé est loin de tenir toutes ses promesses. Apparu au XIXe...

le 15 févr. 2017

101 j'aime

14

A Cure for Life
Laaris
4

Lucius Malfoy et le scénario de s'emmêler

Vingt ans après la défaite de Voldemort, Lucius Malfoy s'est coupé les cheveux et a transformé Poudlard en un sanatorium qu'il dirige d'une main de fer. Et si le basilic n'est plus là pour zoner dans...

le 22 févr. 2017

60 j'aime

4

A Cure for Life
Frédéric_Perrinot
8

BioShock (Spoilers)

Après une décennie à avoir baigné dans les blockbusters de studio, Gore Verbinski tente de se ressourcer avec son dernier film, faisant même de cela la base de son A Cure for Wellness. On ne peut...

le 17 févr. 2017

59 j'aime

3

Du même critique

Les Tontons flingueurs
Frenhofer
10

Un sacré bourre-pif!

Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles. Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable. On a longtemps retenu le film fou furieux qui...

le 22 août 2014

43 j'aime

16

Full Metal Jacket
Frenhofer
5

Un excellent court-métrage noyé dans un long-métrage inutile.

Full Metal Jacket est le fils raté, à mon sens, du Dr Folamour. Si je reste très mitigé quant à ce film, c'est surtout parce qu'il est indéniablement trop long. Trop long car son début est excellent;...

le 5 déc. 2015

33 j'aime

2

Le Misanthrope
Frenhofer
10

"J'accuse les Hommes d'être bêtes et méchants, de ne pas être des Hommes tout simplement" M. Sardou

On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne...

le 30 juin 2015

29 j'aime

10