Critique basée sur la fin du film.


Il aura suffit de la confiance mal placée de deux hommes, et de la vue des jambes de lait d'une femme à conquêtes pour que Kim Sun-woo (Lee Byung-hun) comprenne ce qu'est l'amour et décide, sans même en avoir conscience, de changer le cours de sa vie. Débutera une vengeance terrible, née du traitement expéditif que lui réserva son patron, mafieux notoire à l'influence imparable, et qu'il tentera de tuer en remontant la chaîne de commandement, chaque escale meurtrière représentant une petite revanche dans la grande.


Le scénario d'A Bittersweet Life tient donc sur à peine plus de cinq lignes : c'est un fait, aussi vrai que l'intrigue a rarement fait la réputation et la qualité des films d'action (si ce n'est pour Terminator, Total Recall et Predator), A Bittersweet Life ne s'inscrira pas dans la vague Matrixienne des scenarii à tendance révolutionnaire/à prétention originale : il fera dans le sale, l'ultra-violence et l'esthétisme poussé à son paroxysme.


C'est aussi pour cela qu'on l'attendait : un film coréen sans concession, violent comme le sont les habituels long-métrages du sud du pays, et soutenus comme d'habitude par leur sens si particulier de l'esthétique et de la gestion de l'émotion. Et tout cela, rendu à son apogée par un Kim Jee-woon au sommet de ses capacités de metteur en scène, vous sera présenté à la puissance dix de ce que vous en espériez.


C'est en ce sens que le personnage principal, qui pue la classe comme Rambo la terre, sera passé à la moulinette des personnages indestructibles : machine à tuer inarrêtable, il est construit pour amener au spectateur en manque de sensations fortes et de films d'action honnêtes toute la sève de ce qui fit, dans les années 80-90, l'intérêt d'un genre populaire à nul égal : l'action, réussie parce qu'elle est complétée d'enjeux, nécessite des personnages vulnérables mais dotés de capacités au delà de la moyenne des humains pour perpétuer une tradition d'explosions et de cascades folles sans précédent.


Lee Byung-hun, s'inscrivant dans la lignée du John McClane de Bruce Willis, sera donc fragile, mais pas trop : le coeur en lambeaux, mais le corps en ébullition. Il rappelle en ce sens V de V pour Vendetta : increvable mais blessé, couvert de son sang mais capable d'encore marcher au nom d'un idéal pour V, d'un amour pour lui, suivant l'idée qu'un but pur, défait de toute idée noire et de tout intérêt personnel, transcende les capacités physiques de l'homme au point d'en faire non pas un grand sacrifié, un martyr, mais un héros qui a dépassé sa condition même d'humain, une forme de super-héros au destin par définition tragique.


Donner sa vie pour l'autre le rend invincible, et c'est lorsqu'il décidera de s'intéresser aux raisons de la traque qu'il a subi qu'il se rendra vulnérable : jusqu'ici maître de la douleur et pas même égratigné par l'hémorragie d'un peu moins de dix coups de couteau consécutifs, il débute sa lente descente aux enfers en cherchant le but de l'entreprise meurtrière que son ancien patron lança à ses trousses, et qui lui revint en pleine face avec la violence instinctive d'un loup enragé.


Rien ne laissait prévoir, à ne pas beaucoup connaître le style de Kim Jee-woon, une telle violence esthétique placée parmi les plus belles claques visuelles du cinéma d'action moderne, aux côtés des Kill Bill de Tarantino et The Raid de Gareth Evans (le second épisode s'inspirera d'ailleurs de sa fin pour composer le cadre de la sienne, en encore plus Tarantino); toujours lisible et sans limite, l'action très brutale trouvera dans ses chorégraphies une composition de cadrages hallucinante qui repousse, en plus des litres de sang versés et des corps brisés, les attentes de son public amateur du genre.


Tout cela jusqu'à la conclusion de la tragédie, érigée en règlement de compte en sommet d'immeuble, de bobine et de déchaînement de fureur (sans être épargnée par de multiples incohérences couvertes par sa réussite esthétique et narrative), où l'on comprendra à l'interprétation les raisons du drame, les raisons faisant que cette jeune fille pourtant fragile plaisait autant à ces hommes brutaux, qui ne vivent que de morts et n'avaient connu avant elle que la violence de la malhonnêteté.


Il suffit de s'assoir en face d'elle, dans un studio, entouré d'ingénieurs du son et de deux ou trois auditeurs pour mesurer toute la pureté d'âme de cette jeune fille : par les notes sublimes qu'elle joue, tire-larmes qui dissimulent des regards timides, une attention touchante, et le sourire possiblement rêvé d'une femme qui, par son charme innocent, provoquera la chute d'un empire et la mort d'hommes fascinés par sa bo(n)té.


Quelques notes, des feuilles qui tombent et la certitude que le combat ne concernait que Kim Sun-woo : les dernières images de lui se battant contre la ville, dévoilent en un jeu de miroir intelligemment cité aux points cardinaux du film qu'il ne s'agissait, tout du long, que d'un être solitaire n'ayant eu qu'un ennemi toute sa vie, son reflet. Et au moment d'avoir trouvé une échappatoire à l'affrontement perpétuel, celle-ci ne pouvait que lui être refusée : atteindre la rédemption pour ces hommes n'est possible qu'en sacrifiant sa vie pour que perdure celle des êtres purs.


Et quelle vie... Une douce vie.

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le 3 août 2016

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FloBerne

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