**You were never really here** a des ambitions marquées dès l'affiche, et on voit bien vite les inspirations de la réalisatrice. Comme dans Taxi Driver, le protagoniste est un solitaire, névrosé, traumatisé par une guerre absurde (du Vietnam à l'Irak). Il se liera à une prostituée mineure, qu'il ira libérer. En plus de cela, rajouter une campagne électorale à New-York en toile de fond; et un univers urbain hostile, dégénéré et perverti.
D'autres inspirations viennent s'y greffer, de l'homme au marteau vengeur façon Old Boy, ou encore Drive : la figure du taiseaux, calme mais bouillonnant de violence enfouie et prête à exploser. Sans attaches, c'est une rencontre avec une fille qui va bouleverser son quotidien de violence morose.
Un projet auquel est rattaché Joaquin Phoenix ne peut qu'éveiller l'intérêt, tant l'acteur est fascinant, d'une exception rare, et tant il choisit méticuleusement sa filmographie. Ici, il s'est métamorphosé. Le corps de Joe est dévasté, la beauté de Phoenix est défigurée. Il est parsemé de cicatrices mystérieuses, tant physiques que psychiques. Joe est un miroir de Freddie Quell dans The Master, où Phoenix campait un homme perdu, rachitique, tordu par la vie. Dans le film de Lynne Ramsay, son corps est partagé entre gras et muscles, des longs cheveux filasses et grisonnants, pas si loin de ceux du Doc dans Inherent Vice. En plus d'une barbe gonflée d'illuminé. Phoenix, comme De Niro, aime les personnages torturés psychiquement. À la différence que Phoenix y ajoute plus de vulnérabilité et de tristesse.
You were never really here est le prix du scénario à Cannes 2017. En effet, le script du film est épuré. Une histoire simple, racontée de façon simple, en trois actes facilement discernables. Ce qui ne gachera pas son visionnage. Habile, le scénario dépasse son postulat initial. Celui-ci est accompli rapidement, du moins c'est ce qu'on nous fait croire. Sans en dire plus, le deuxième acte, qui se termine par une évasion dans la nature, devient une merveilleuse bouffée d'air dans ce cauchemar urbain. Une échappée dans la nature, une renaissance contemplative et border line, hypnotique, tout en poésie mélancolique.
Les démons qui hantent Joe sont subtilement égrainés, entre traumas de l'enfance et de la guerre, qui nous rattrapent en flash, ceux de son esprit. L'immersion est parfaite.
Le travail du son est impressionnant. Précis, minutieux, et les intrusions sonores rendent certaines scènes terrifiantes. La musique dissonnante n'est pas sans rappeler, une nouvelle fois The Master de PTA.
Mais la vraie surprise du film de Ramsay, c'est qu'elle joue avec nos attentes de spectateurs face au pitch de son film. Et elle les retourne contre nous. En premier lieu, le personnage le plus fort, celui qui sauvera l'autre, n'est pas forcément celui qu'on croit. La vulnérabilité est inversée.
Contrairement à ce qu'on peut lire dans beaucoup de critiques, je n'ai pas trouvé le film complaisant avec la violence. Au contraire, on nous passe les pires effusions de sang que notre part voyeuriste désire. Deux scène de massacres similaires traversent l'histoire, et elles sont mises en scène de façon elliptique et distanciée. Hormis une scène d'arrachage de dent dont je n'ai pas saisi l'intérêt...
Le sentiment général qui l'a emporté sur mon visionnage est le malaise. Et ce fut décuplé par la cadrage étrange, gênant, souvent malsain. Ce n'est pas gratuit pourtant, nous plongeons dans un esprit brisé.
Le défaut principal de You were never really here est qu'il est trop court. Sa simplicité et sa sobriété sont trop marquées. Cela fait qu'il ne parvient jamais à se hisser au niveau de ses inspirateurs, qu'on garde pourtant toujours derrière dans le rétroviseur. Le film manque encore de substance pour durablement s'imprimer dans nos mémoires et pour prétendre à une iconisation, comme ses modèles.

Vallalomuge
8
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le 26 nov. 2017

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