Si Seven continue à être dans la mémoire collective l’un des thrillers les plus sanglants de l’histoire du cinéma (Saw continuant à être assimilé à de l’horreur), 8mm peut largement rivaliser avec son cousin sur le terrain de l’ambiance, le film parvenant très vite à trouver sa vitesse de croisière. L’introduction nous présente un détective privé posé, à la vie familiale établie, bref l’archétype de l’américain qui vit confortablement, qui gère bien son entreprise personnelle d’investigation et qui est comblé sentimentalement. Jusqu’au jour où une enquête étrange lui est commandée par une riche cliente désirant lever le voile sur un film malsain que possédait son mari : un snuff. Fake ou authentique ? C’est ce que va devoir déterminer Tom Welles, qui se met rapidement au boulot. Il détermine d’abord l’identité de la fille, avant de suivre ses traces de fugue jusqu’à Hollywood, où dans ses illusions d’avenir de star, la petite s’est retrouvée à naviguer dans les sphères du porno. A partir de là, la plongée dans le monde de la « déviance » sexuelle est profonde et non sans dommage. Commençant l’enquête plutôt sobrement, notre enquêteur se rend vite compte que le snuff est un milieu qui n’existe pas, ou du moins pas comme ça. A chaque fois qu’il prononce le mot, il est reconduit rapidement à la sortie ou clairement insulté par ses interlocuteurs. Ainsi, par ce rejet quasi constant, le film marque bien l’écart entre pratiques sexuelles non « conventionnelles » (bondage, SM, zoophilie…) et le snuff, ici montrée comme une perversion ultime. On remarquera de même que le film ne privilégie pas vraiment d’esthétique, et qu’il cherche plutôt le réalisme (la violence n’est jamais embellie, elle est filmée platement, avec des effets clippesques cadrant tout à fait avec les ambiances attendues). Parce de tels choix, le film fait preuve de grands efforts pour s’inscrire dans l’amoralité (du moins pour cette partie d’enquête) ne faisant jamais l’assimilation du tous dans le même panier (même si, bien sûr, le cadre dépayse salement notre héros). Il ne se détache jamais du ton sérieux qu’il emploie (au grand maximum, on notera un unique passage comique où nos deux protagonistes rient devant un fake de snuff), et tend à « désacraliser » le milieu du porno avec le personnage interprété par Joackim Phoenix, véritablement attachant au fur et à mesure qu’il s’étendra un peu plus sur ses projets. C’est véritablement la seconde moitié du film qui s’engage et qui montre les différents participants du snuff comme de véritables enfoirés. Si l’évènement du tournage est anecdotique, le réalisateur est ici un tordu recherchant l’esthétique dans le bondage ultra, tenant autant de l’artiste que du psychopathe. C’est clairement son côté artiste qui est mis ici en avant (lui-même trouve qu’il a du génie) alors que ses obsessions, cherchant probablement à illustrer une sorte de chaos (ses vidéos trashissimes surdécoupées) ne reflètent que des fantasmes tordus et vains, mais tordus. Et c’est bien là aussi que le film touche à un point capital de la violence ici incarnée par le snuff. Ce n’est finalement pas une pulsion sexuelle déviante à assouvir pour l’acheteur, qui ici l’acquiert par simple curiosité. Et les réalisateurs se sont quant à eux contentés d’empocher leur fric et de tourner la scène, puisqu’un public réclame ce genre d’image. Ce régulier retour à une réalité aussi simple, aussi gratuite, sans cesse accolée au souvenir de l’adolescente sacrifiée pour finalement aussi peu d’intérêt de la part des bourreaux, suffirait déjà amplement à justifier une action répressive sévère. Et pourtant, Joël préfère encore retenir la réponse, contenir la rage et donner la parole aux proches de la victime pour décider de la réponse à donner (la police ne pouvant plus intervenir quand la décision est à prendre). Le recruteur libidineux, parfait jusqu’au bout, est le facteur de déclenchement, mais Joël Schumacher met un certain point d’orgue à la confrontation avec Machine, l’acteur du film, psychopathe n’ayant rien à envier aux canons habituels du genre, et pourtant si vulgairement commun (aucune justification, aucune circonstance atténuante, il assume clairement ses envies de meurtres, aussi gratuites soient elles, comme partie intégrante de son quotidien). La violence physique du film renvois souvent à une dimension de gratuité particulièrement dérangeante, et c’est bien avec cela que l’amoralité du film lui de ranger finalement le public du côté de son héros (pourtant particulièrement violent lors de son retour à Los Angeles). L’épilogue vient finir d’enfoncer le clou et d’approuver les décisions du personnage de Nicolas Cage. Par son engagement (et le nôtre, implicitement), le film parvient à cerner l’un des aspects les plus durs de la violence sous l’angle du snuff (on a donc un film dans un film), tout en nous faisant accepter l’idée d’une violence « utile » en réponse au dégoût. Un boulot très honnête de la part de Schumacher, porté par un Nicolas Cage sérieux et ultra crédible. Après, niveau tension, si on n’est plus dans une enquête à ambiance hard dans la première moitié, la seconde se verra dynamisée par quelques séquences flippantes et bien gérées. Un très bon cru de l’ami Joël, mais à ne pas prendre à la légère pour sa violence (plus morale ici que physique).
Voracinéphile
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs thrillers et Les meilleurs films sur le cinéma

Créée

le 15 juil. 2014

Critique lue 2.9K fois

10 j'aime

Voracinéphile

Écrit par

Critique lue 2.9K fois

10

D'autres avis sur 8MM - Huit millimètres

8MM - Huit millimètres
abscondita
8

Pourquoi?!!!

Voilà un film peu aimé que j’ai apprécié… Si je ne cours pas après les films glauques, celui-ci malgré son sujet sulfureux ne m’a pas paru être un film gratuitement sordide. Sordide il l’est avant...

le 6 août 2022

17 j'aime

14

8MM - Huit millimètres
Franck_Plissken
8

In The Heart Of Darkness

Plutôt méprisé lors de sa sortie (et toujours incompris de nos jours par certains), ce 13ème film du regretté Joel Schumacher a trop souvent été comparé à Se7en, écrit par le même Andrew K...

le 21 mars 2021

16 j'aime

24

8MM - Huit millimètres
Play-It-Again-Seb
7

"Hardcore" Hardcore

Le film a, il faut en convenir, ses maladresses. La dernière partie, notamment, n’est pas très bien amenée et les actes du personnage interprété par Nicolas Cage ne brillent pas toujours par leur...

Par

le 31 janv. 2023

14 j'aime

6

Du même critique

2001 : L'Odyssée de l'espace
Voracinéphile
5

The golden void

Il faut être de mauvaise foi pour oser critiquer LE chef d’œuvre de SF de l’histoire du cinéma. Le monument intouchable et immaculé. En l’occurrence, il est vrai que 2001 est intelligent dans sa...

le 15 déc. 2013

99 j'aime

116

Hannibal
Voracinéphile
3

Canine creuse

Ah, rarement une série m’aura refroidi aussi vite, et aussi méchamment (mon seul exemple en tête : Paranoia agent, qui commençait merveilleusement (les 5 premiers épisodes sont parfaits à tous les...

le 1 oct. 2013

70 j'aime

36