Line of Duty, Steven C. Miller, U.S.A, 2019, 1 h 38

Le dernier effort en date de Steven C. Miller propose un thriller d’action en temps réel, un concept qui sied parfaitement à la mise en scène nerveuse à laquelle nous a habitués le cinéaste depuis ses débuts en 2006 avec « Automaton Transfusion ». Cette course contre la montre voit un policier, souffrant d’un traumatisme, s’allier avec une journaliste indépendante, pour sauver la fille d’un officier de police, kidnappée par deux frères aux motivations obscures.
Tout l’intérêt du métrage réside dans l’action du policier, interprété par un Aaron Eckhart toujours convaincant, et ce qu’il met en œuvre pour retrouver la petite victime. Sans multiplier les intrigues, en focalisant son récit sur le sauvetage, le film ne s’encombre pas de boursoufflures inutiles, et dévie peu de son propos. Le champ est laissé à de l’action, parfois explosive, toujours prenante et bien emballée, dont résulte une fois de plus un divertissement de qualité.
Sans dévier de sa nature de série B, « Line of Duty » se présente tout de même comme une sorte de blockbuster modeste. En témoigne une mise en scène maîtrisée et soignée, qui démontre que lorsque Miller bénéficie de budgets plus conséquents et de comédien.nes impliqués, son cinéma n’en est que meilleur, grâce à un savoir-faire acquis durant cette décennie passée. En effet, en plus d’Aaron Eckhart, Courtney Eaton (« Mad Max Fury Road ») véhicule une certaine fraîcheur dans une intrigue des plus sombres. Il est également à noter, la présence de Giancarlo Esposito dans un rôle secondaire, auquel il apporte toute son expérience.

La seule véritable ombre au tableau du métrage réside dans le personnage de Ben McKenzie, qui en plus d’être mal écrit, ne rend pas vraiment honneur à son interprète. Même si une certaine humanité se révèle ultimement, sa volonté destructrice paraît parfois démesurée. Son attitude et ses réactions donnent l’impression qu’il n’évolue pas dans le même film et n’agît pas vraiment pour les raisons qu’il revendique pourtant.


Comme souvent dans le cinéma de Steven C. Miller, il y a une ambiguïté sur les notions de « gentil » et de « méchant », elle s’avère présente ici, mais se révèle moins jusqu’au-boutiste. Si les motivations des ravisseurs apparaissent en effet crédibles, les personnages manquent de suffisamment de texture pour contrebalancer le personnage de l’officier de police. Au-delà de retirer un peu d’intérêt à l’intrigue (dans le fond, pas formellement), ça rend l’ensemble un petit peu trop classique. Une prise de risque peut être limitée par Lionsgate, qui confie là [enfin] un projet d’envergure à Steven C. Miller.


Le métrage se fend néanmoins d’une petite critique bienvenue des mass médias. Ava, la journaliste, agit pour un site internet sur lequel elle transmet des reportages en direct, dont la course à la mort pour sauver Claudia, qui devient un véritable phénomène. Repris par les grandes chaines de télévision, la traque implique tous les citoyens dans ce drama qui frappe la ville. C’est à la fois un moyen de tacler les médias traditionnels et aussi rappeler l’intégrité des indépendants. Le film met ici un taquet à la mode des fake news.


Une inclinaison qui au départ ne semble pas des plus clairs, mais plus le récit avance, grâce à sa galerie de personnage, il prend rapidement la tangente d’une œuvre post-Black Live Matter et post-#metoo. Ces deux mouvements présents depuis 2013 (pour BLM) et 2017 (pour #metoo), secouent une société américaine sclérosée dans ses plus vieux démons. C’est donc un portrait de l’Amérique du melting-pot, et de sa réussite, que propose « Line of Duty’ », prenant le contrepied parfait de la désastreuse présidence Trump.


Au cours du film, ce sont de petits éléments qui sont distillés à droite à gauche, pas toujours de la plus subtile des manières, mais qui ont le mérite d’être clairs et efficaces. Au détour d’un personnage, d’une relation ou d’une amitié, ce qui est représenté est une Amérique multicolore, brassant avec indifférence la couleur de peau, les orientations sexuelles et même les questions de genre. En soi, le film « n’est qu’un » actioner lambda. Pourtant, en creusant un petit peu, il se révèle avant tout une œuvre de son temps, avec des thématiques et des problématiques contemporaines.


Et c’est vraiment là ce qui rend le cinéma de Steven C. Miller aussi sympathique, dans cette capacité de proposer des spectacles issus directement de l’héritage des années 1980 et 1990, en les ancrant dans les années 2010. Il n’y a pas de nostalgie, ou de réflexion sur un monde « mieux avant », comme de nombreuses productions des années 2010 qui idéalisent outrancièrement les années 1980. Non, son cinéma propose la résultante d’une culture populaire contemporaine, par l’entremise d’une nature pulp assumée, celle des petites productions sans prétention, mais pleines d’ambitions.


Les influences de Steven C. Miller ne font aucun doute, et il ne s’en cache même pas. Ce qu’il propose est avant tout une vision de cinéphile, respectueux d’un mode de cinéma qui n’existe plus vraiment. Il y a depuis une vingtaine d’années un véritable vide dans les productions bis, dont les schémas ont été agglomérés aux blockbusters. Les DTV ont perdu en qualité, faisant preuve d’un intérêt très limité, et des comédiens comme Jean-Claude Van Damme, dont les films sortaient au cinéma dans les années 1990, se retrouvent relégués dans un système secondaire, parfois médiocre.


Seules quelques vieilles gloires se sont maintenues tant bien que mal, mais rien de vraiment nouveau n’est apparu, et c’est exactement ce à quoi parvient Steven C. Miller. Sans rien révolutionner pour autant, ce « Line of Duty » est un exemple supplémentaire que non, le cinéma d’action bis n’est pas mort, et il n’a pas besoin de centaine de millions de dollars pour être efficace. Tout ce qu’il faut c’est de la passion, du cœur, et une farouche envie de partager sa culture. Et à l’image du plan final, cela se fait parfois par l’entremise d’une certaine naïveté, loin de constituer le moindre dommage, puisque tout ce qu’elle traduit, c’est une véritable générosité.


B-movies are not dead !


-Stork._

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le 11 juil. 2021

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