Capturer l’instantané d’un pays ou d’une société en guerre n’est pas chose aisée, car la question du regard intervient rapidement dans le procédé de création. Si je fais un film sur la 2nd Guerre Mondiale, quel sujet vais-je prendre ? Les juifs ? Les nazis ? Des quidams ? 200 mètres se place dans un intermédiaire. Le protagoniste est quelqu’un comme les autres, qui va cependant se retrouver à devoir aller à l’encontre des lois imposées par son pays pour le bien familial. Dans ce long-métrage, il est question de voir comment des raisons d’échelle microscopique peuvent transcender des lois d’ordre macroscopique. Ce qui en résulte est inégal. Le film passe clairement à côté de l’angoisse qu’il essaie de créer tout du long, mais se rattrape bien dans sa dernière partie en gagnant en finesse et intensité.


L’histoire se concentre donc sur Mustafa, un père de famille vivant en Palestine et séparé de sa famille vivant en Israël par le mur, alors que les deux ne se situent qu’à 200 mètres d’écart. Un jour, il apprend que son fils a eu un accident et il va se retrouver à essayer de contourner ce mur pour aller en Israël. L’histoire de ce mur est assez complexe à expliquer, voire à comprendre, mais ce qu’il faut savoir est que ça résulte du conflit israélo-palestinien. C’est normalement assez pour saisir qu’on se situe dans un contexte très tendu, face auquel Mustafa va tenter de se dresser. L’idée est assez belle car forme un véritable concept d’opposition : une famille tentant de joindre les deux bouts dans une société cherchant à séparer ses différents pays. Il est alors important de comprendre quels sont les deux aspects que le film va traiter : la famille et la société. Concernant la famille, c’est plutôt bien fait. On voit d’abord tout le monde réuni, puis ensuite la mère et les enfants qui s’en vont, laissant le père seul avec la grand-mère. On comprend assez rapidement que chaque moment passé ensemble est éphémère, c’est pourquoi le film pourrait se passer de quelques lignes de dialogues où il essaie de montrer la rage du père, on comprend très bien la distance par le montage, qu’il en fasse de même pour les émotions. Dans tout ça, la société semble assez absente, c’est soit un sujet, soit un autre, mais jamais les deux en même temps. Le film a du mal à confronter et perd en ce sens une grande partie de son cœur. Durant la 1e partie, tout est tellement traité indépendamment que, quand le rythme est censé s’accélérer à cause de l’accident du fils, on a du mal à saisir où vient le problème. Oui c’est sûr, le fils va mal et le père exprime un certain stress vis-à-vis de ça, mais celui concernant la galère que ça va être pour passer la frontière est assez mal dosé. On rajoute à cela le fait que la caméra s’attarde un peu trop sur la tête du personnage et pas assez sur ce qui l’entoure et on a un film vraiment mal rythmé et ayant du mal à se rattacher à ce dont il veut parler.
Ce qui forme le plus gros défaut du long-métrage est donc son rythme, ayant des problèmes dès l’organisation du récit. Nous dire que la situation en Palestine est très tendue, d’accord, mais il faut arriver à le montrer. Dans la suite de péripéties du protagoniste, ce qui cloche c’est que… On ne ressent pas ces péripéties. Quand Mustafa est en voiture avec le poseur et d’autres passagers, le film se partage en plusieurs sous-parties assez facilement : moment dans la voiture - potentiel obstacle - ellipse. L’ellipse est importante car dans ce genre de films à la tension constante, elle peut sauver, ça veut dire que les personnages ont réussi à échapper à différents problèmes et qu’ils ont pu avancer. Ici, les problèmes sont insignifiants, n’ont aucun impact sur les personnages ou sur le récit de manière générale, ce qui fait que l’ellipse n’a aucun impact, elle ne chamboule rien, ne permet pas de respirer ou ne crée pas de tension, elle est juste là et on se demande pourquoi. Voilà comment on peut gâcher un film : en ne sachant pas quoi raconter exactement. Les lois du pays n’ont aucun impact sur les personnages qui sont avant tout concentrés sur leurs objectifs personnels, ce qui rend ce contexte totalement inutile et insignifiant pour le film. Tout le monde suit sa route sans trop d’accrocs, on n’a vraiment pas l’air d’être en crise.


C’est vraiment dommage car dans sa dernière partie le film arrive à créer enfin un peu de tension avec une phrase plutôt bien placée, et se réveille enfin au niveau de la mise en scène pour pouvoir lier personnages et situation. Quand le long-métrage mêle les deux, on a quelque chose d’intense avec de l’enjeu, mais pour ça il faut qu’il aille voir au-delà de ses protagonistes, qu’il ose filmer ce qui est craint par tout le monde. Après malheureusement il se perd un peu plus en retournant dans une histoire familiale dont on avait perdu le fil et qui était devenue moins importante que le traitement de la crise qui était (enfin !) devenu intéressant. Le tout donne un film vraiment inégal, avec du potentiel mais jamais exploité à fond, dont les idées semblent dépasser la mise en scène. Finalement, on n’a pas vraiment de portrait d’une famille dans une situation de crise, on n’a même pas de bon portrait d’une société en crise, bref on a quelque chose de très flou.

NocturneIndien
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le 2 juil. 2021

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NocturneIndien

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