Grand prix cannois, globalement encensé par la presse et plutôt soutenu par le public. Le voir longtemps après les remous a le mérite de nous faire relativiser un peu sur son auréole (halte aux préjugés) et à prendre les choses avec recul. Il convient de dire d'office que ce film est clairement fidèle à la vision militante de son sujet. En cela, il épouse tous les contours du tract politique dans sa première moitié, et d'une romance malade jusqu'au décès attendu. Le problème du film prend dès lors des proportions énormes dans la recherche du buzz moderne. Tout est standardisé ici pour plaire à ceux qui sont déjà convaincus : jeunes homosexuels dans leurs moments d'intimité, du politique qui se la joue subversif contre le gouvernement (dans un contexte où le lobbying gay n'a jamais eu autant d'influence en France), le cirage de pompe des organes de presse estampillés de gauche... Sous prétexte d'un contexte passé, mais dans une mise en scène on ne peut plus moderne (les méthodes militantes, les réunions, le fonctionnement... rien n'a changé), on nous fait un tract "engagé" qui nous ressasse les évidences du politiquement correct. A quand le brûlot punk qui appelle à voter Macron !


Ensuite, pour un film qui prétend défendre tous les séropositifs, on cherche encore les toxicos et les prisonniers dans les membres d'Act Up, totalement en sous représentation, toujours cités mais jamais abordés en profondeur. Pour ce qui est de côtoyer le gratin homosexuel parisien, nous passerons en revanche de longs moments d'immersion, y compris dans leur intimité. Encore une fois, le film est fidèle à une image militante de l'homosexualité, et cette image inclut donc tous les comportements sexuels qui font avec, où la pudeur ne consistera qu'à laisser les sexes dans l'ombre. La vitrine s'attarde beaucoup sur les corps, tout développant des sentiments finalement très secs sur la durée, peu efficaces dans l'empathie qu'ils étaient supposés créer. Un probable contre-coup de la vocation militante du film, qui appelle au recul devant les méthodes on ne peut plus discutables de l'association. Par ailleurs, si les sentiments sont peu efficaces dans la création d'une proximité, on constate que lors des réunions, la plupart des débats et des échanges consistent surtout en une surenchère constante des sensibilités avant d'être un débat posé et argumenté. C'est une nouvelle fidélité à l'univers militant qui rend particulièrement agaçant le dialogue avec elle, les sensibilités qu'il brasse étant là aussi très diverses et régulièrement en opposition. La série Les engagés avait exploité le filon, en nous offrant une belle galerie de personnages.


Faire le procès du militantisme revient à ne pas traiter le film. Mais qu'y-a-t-il à retirer de 120 battements ? Le rappel sur le Sida tout en prônant la jouissance, la solidarité pour tout le monde entre gays et quelques portraits d'homosexuels en face du sida, avec 20 ans de redite qui sont passés par là. Dallas buyers club nous a abordé le SIDA en 2013, et lui avait un potentiel émotionnel valable. Théo et Hugo dans le même bateau, l'année dernière, nous livrait le même message (platement) avec un programme visuellement plus poussé (plus sexuel aussi, avec sa partouze à la Noé). Louable idée que de vouloir rappeler les risques (toujours 20% des homosexuels contaminés, même si les traitements se révèlent aujourd'hui bien plus efficaces), mais encore faut-il marquer le spectateur (à cet exercice, Philadelphia a nettement plus réussi son coup). 120 battements ne montre rien de marquant cinématographiquement parlant, ne convoque jamais le désir au delà du plaisir visuel, et veut surtout brosser le public dans le sens du vote en allant continuellement dans la même direction. Tout en arrondissant les angles (par exemple pour les procès, "on n'est pas là pour les peines de prison", mais surtout on ne parle pas d'argent à ce moment là). A se cacher derrière l'alibi de la maladie (Le SIDA, qui est contre ?) en validant tacitement toutes les méthodes, on accouche d'un film très fade dans la forme et très partial dans le ton, qui ne fera bander que les sympathisants LGBT, les journalistes et les conformistes de la mode ciné. Ce film est taillé pour leur plaire, qu'ils en profitent ! On attendra la saison 2 des Engagés pour avoir une oeuvre qui assume la modernité en complexifiant sa perception du monde.

Voracinéphile
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le 21 déc. 2017

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Voracinéphile

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