10 Canoës, 150 Lances et 3 Epouses est un docu-fiction nous emmenant au sein d'une tribu aborigène dans l'Australie paléolithique (soit environ 15.000 ans avant notre ère). Le récit est divisé en deux parties et passe de l'une à l'autre tout le long des 91 minutes : le parcours de la tribu à laquelle appartient Dayindi et Minyglulu, personnages sur lesquels se focalise cette partie "documentaire", évoluant à travers le bush, et la partie purement fictive se concentrant sur l'histoire de Yeeralparil et de son frère ainé Ridjimaril accompagné de ses 3 épouses.
Le pitch : Dayindi est amoureux de l'une des femmes de son ainé Minyglulu et ce dernier, en l'apprenant, décide de raconter à son jeune frère une histoire mettant en scène ses ancêtres.


Bon, maintenant que j'ai présenté l'oeuvre, entrons dans le vif du sujet et intéressons-nous d'abord à la technique.


La première chose qui nous frappe, c'est l'utilisation des jeux de couleurs tout le long du récit. Je sais bien que dans un film à caractère contemplatif, c'est quelque chose de tout à fait normal, mais ici, ce n'est pas dans une logique de transmission d'émotions que Rolf De Heer utilise palettes et filtres, mais dans une logique de découpage du récit. Le début du film est tourné par une caméra aérienne en plongée qui suit le cours d'un fleuve, puis dès lors que la tribu apparait à l'image le film passe en noir & blanc. Alors on est un petit peu destabilisé par ce changement inattendu, et pour moi ce choix de couleur n'était pas vraiment judicieux dans un film où l'environnement propose autant de variations de couleurs. Mais passons, car ce noir & blanc ne persiste finalement pas bien longtemps. En effet dès lors que Minyglulu se met à raconter son histoire, l'image repasse en couleur pour le plus grand plaisir de nos mirettes. J'ai toujours mis le bush australien dans le top 5 de mes environnements de film préférés et je n'ai été que trop gâté par ces plans panoramiques et fixes laissant place à la contemplation ! C'est indéniable, ce film est d'une beauté remarquable et on sent que les réalisateurs maitrisent leurs caméras et c'est lors de ces scènes dans le passé que l'on s'en rend le plus compte.
Pour terminer sur la technique, on peut parler d'un filtre bleu-gris qui apparait lors des scènes retranscrivant en action les paroles des personnages (surtout visible lors de la scène du grand débat) qui achève le découpage des différentes scènes.


Ce choix de découper grâce aux couleurs est à mon sens quelque chose de très intéressant et tranche avec le schéma traditionnel délimitant la narration, néammoins je suis réservé quant au choix du noir & blanc dans un film à caractère contemplatif tel que celui-ci. Mais ce n'est pas une raison pour bouder son plaisir, car le point que je vais maintenant aborder suffit à lui seul à faire oublier ce léger désagrément : le jeu des acteurs. Car si l'histoire de Minyglulu n'est pas surprenante et prévisible (mais après tout, la plupart des histoires tribales sont aussi prévisibles que des contes adaptés aux enfants), les acteurs donnent du volume et de la crédibilité au récit.


Les acteurs se donnent et jouent de manière fluide et naturelle (mention spéciale aux femmes qui jouent de manière tout à fait éblouissante leurs rôles) et les différentes scènes de la vie quotidienne sont retranscrites de manière très convaincante. On en oublierait presque le caractère hypothétique de l'oeuvre tant le récit fait tout pour se rapprocher d'un véritable documentaire, notamment lors du parcours de la tribu de Dayindi.
Ainsi, on ne décroche jamais de l'intrigue, que ce soit lors des scènes de la vie courante, dans le développement des personnages ou lors de la scène du Makaratta.


Alors pour conclure, peut-on dire que 10 Canoës, 150 Lances et 3 Epouses est un film quasi-parfait ? Et bien...non. C'est une excellente oeuvre, mais qui commet à mon sens quelques erreurs. Je ne vais pas répéter ma déception vis-à-vis de l'utilisation du noir & blanc, mais je noterais également le fait que le récit, en voulant faire la synthèse entre documentaire et récit (pré)historique, se perd un peu en cours de route. L'histoire de Minyglulu est censée servir de leçon à Dayindi; pour pouvoir servir de leçon, une histoire doit être conclue par une morale. Or, la conclusion de ce récit n'en comporte pas vraiment et on ne sait pas si Dayindi à retenu la leçon. Est-ce qu'il conserve le sentiment de frustration qu'il avait au début du film ? Se sent-il plus heureux désormais ? Est-il devenu plus patient ? Nous n'en saurons rien, car l'oeuvre de De Heer et Djigirr se conclue simplement par le retour au camp de la tribu de Dayindi.


Ainsi, 10 Canoës, 150 Lances et 3 Epouses est un magnifique documentaire sur les aborigènes d'Australie au Paléolithique, malgré un récit de fiction qui faiblit sur la fin. Je vous le recommande fortement, car c'est un régal pour les mirettes et et que l'on se sent réellement transporté tout le long du film, tel le cours d'eau, fil directeru du récit, transportant les canoës au loin.

L_Archéologue
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le 20 juil. 2015

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