Un fils de tyran possédé, une sorcière sadique, de la magie surpuissante et … un abattoir chamanique équitable.


Apparu pour la première fois dans la série en 2001 dans Le volcan des Vaucanson (DC102), le personnage de Papsukal aura donc finalement attendu vingt-deux ans pour avoir son heure de gloire et être la tête d’affiche d’un Donjon Monsters. Comme on dit, mieux vaut tard que jamais ! Une mise en avant tardive qui personnellement me fait bien plaisir car ça faisait longtemps que j’attendais d’en savoir plus sur ce personnage, qui m’a toujours bien plu. Papsukal est un chef militaire cruel et sans pitié, qui cherche à être craint et respecté autant par ses hommes que par ses ennemis mais qui ne doit son statut de chef qu’au fait d’être le fils du Grand Khan. Il cherche donc autant à prouver à son père qu’à lui-même qu’il est capable de commander. Il ressent de fait depuis toujours un terrible complexe d’infériorité qu’il cherche à cacher en étant le plus cruel et impitoyable possible, ce qui en fait, je trouve, un personnage plein de névroses et de fêlures extrêmement intéressant.


Se situant au niveau 114 de la chronologie du Donjon, soit seulement trois niveaux après La fin du Donjon (DC111) qui relatait entre autres les faits ayant conduit à la destruction totale du légendaire bâtiment, Un héritage trompeur narre dans le monde post-apocalyptique d’une Terra Amata récemment reconstituée les (mes)aventures d’un Papsukal possédé par l’esprit d’un puissant magique-useur, dont il va chercher par tous les moyens – y compris les plus extrêmes – à se débarrasser. La thématique de l’album (un protagoniste principal possédé), le moment où se déroulent les événements de cet opus (l’époque Donjon Crépuscule, soit la période la plus « dark » et apocalyptique de l’histoire de Donjon) et la personnalité même du « héros » de cet épisode (une raclure sans nom) expliquent que Un héritage trompeur soit un tome relativement peu humoristique, même si certains passages ou répliques m’ont bien fait marrer (le passage de l’abattoir chamanique équitable d’Orlondow, j’en rigole encore).


Le manque relatif d’humour est cependant compensé par la richesse du scénario, qui est l’un des plus denses de la série, tant il fait le lien avec un nombre incalculable d’albums (antérieurs ou postérieurs) en reliant des épisodes très éloignés les uns des autres – pour certains même très anciens. Du retour inattendu de Sonia la Grosse (devenue Sonia la Maigre !) et de ses Gobelins (cf. Le roi de la bagarre (DZ2) et Le géant qui pleure (DM2)) au rôle central joué par Blaise Pilozzi (cf. Les Poupoutpapilloneurs (DM15) et Formule incantatoire (DZ10)), en passant par la présence fugace de Bonnie Mallory (cf. La bière supérieure (DM14)), l’apparition du fantôme du premier enfant d’Herbert et d’Isis (cf. Larmes et brouillard (DZ9)), celle du fantôme d’Elyacin, l’invocation de nombreux sorts déjà apparus dans d’autres albums, les décors du lagon turquoise (cf. Le dojo du lagon (DC104) et Les nouveaux centurions (DC105)), de Poissonville ou les pistes lancées pour la branche Donjon Antipodes +, il y a de quoi donner le tourni même au plus acharné des fans de la série ! Surtout qu’à côté de tous ces rappels, Trondheim et Sfar continuent de développer leur univers en présentant de nouveaux lieux ou de nouvelles races de personnages : découverte des ruines sacrées des Trolls, de Génocité, d’Insecteville, des peuples des Nymphes, des Lutins, compléments d’informations sur les Trolls et les Fantômes … la trame hyper riche et complexe de Un héritage trompeur a de quoi ravir les plus fidèles aficionados du Donjon.


On savait que Sfar et Trondheim adaptaient leur scénario aux caractéristiques du dessinateur invité. C’est particulièrement visible dans cet opus, où l’histoire est un récit sombre et où l’on retrouve la cruauté et l’aspect dérangeant de la série Les Ogres-Dieux, la série-phare de Bertrand Gatignol. La narration y ressemble aussi, avec une voix-off très présente, comme dans un conte. Comme dans Les Ogres-Dieux, l’ambiance de Un héritage trompeur est malsaine et mélange horreur, sadisme, violence, gore, personnages pervers, dégueulis, excréments et hémoglobine de façon bien nauséeuse. Bref, les trois auteurs se combinent à merveille.


A première vue, le dessin de Bertrand Gatignol ne colle pas du tout à la charte graphique Donjon. Son trait d’une finesse exquise, hyper esthétique, lorgnant presque sur le dessin d’animation, est à des années-lumières du dessin minimaliste et expérimental auquel Donjon nous a plus souvent habitués. Toutefois, c’est une remarque que l’on aurait pu aussi bien proférer à l’encontre d’Andreas (La carte majeure, DM3) ou de Bézian (Des soldats d’honneur, DM10) qui ont pourtant signé des Donjon parmi les plus surprenants et incroyables visuellement. Au final, même – ou surtout – si le dessin de Gatignol ne correspond pas réellement au style Donjon, il est intéressant de voir comment l’artiste s’est adapté pour se fondre dans le « moule » Donjon et tirer son épingle du jeu. Personnellement, étant un grand amateur du minimalisme en dessin (Trondheim, Sfar, Larcenet, Blain, Alfred, Kerascoët …), j’avoue que le style de Gatignol, aussi esthétique soit-il, ne me touche habituellement pas plus que ça. Toutefois, je dois reconnaître que pour ce Donjon Monsters, l’artiste a déployé de tels efforts et une telle inventivité (de son propre aveu, il a beaucoup sué pour dessiner cet album) que le résultat obtenu est au final très plaisant et constitue une sacrée claque graphique ! Avec un trait très fin mais volontairement simplifié, son dessin, tout en se démarquant des autres styles graphiques proposés par la série, s’intègre finalement très bien à l’univers de Donjon et change grandement la vision que l’on peut avoir du monde de Terra Amata. Que ce soit pour la représentation des lieux (Poisson-Ville, le lagon turquoise) ou des personnages (Papsukal, Sonia, le Roi-Poussière …) bien connus de la saga, comme pour celle de nouveaux décors (Insecteville, le château de Blaise Pilozzi …) ou de nouveaux protagonistes (les Lutins, les Insectes …), tout est parfaitement maîtrisé. Ce qui fait qu’au final, Un héritage trompeur est surement l’un des Donjon les plus réussis graphiquement. Et que dire de cette couverture totalement folle, à coup sûr l’une des plus belles de toute la série …


PS : A noter l’édition d’une sublime version N&B grand format de cet album, qui rend le dessin de Gatignol encore plus grandiose et qui constitue surtout une nouvelle version de cette histoire, car dessinée d’une autre manière. Voici ce que disait Bertrand Gatignol à propos de la version N&B : « Il ne s’agit pas de la version couleur sans les couleurs mais bel et bien d’un album réellement pensé en noir et blanc. Les masses de noir dans chaque case de l’album sont différentes de la version couleur, car j’en ai rajouté pour avoir un album équilibré comme pour les « Ogres-Dieux ». Ce sont donc deux albums pensés différemment et non un album auquel on aurait uniquement enlevé le calque des couleurs ».

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le 13 avr. 2023

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