The Plot Holes
6.2
The Plot Holes

Comics de Sean Murphy (2022)

Ayant adoré Batman - White Knight et sa suite, c'est tout naturellement que j'ai acheté ce comics en le découvrant en rayonnage, sur la simple base de son pitch et de son auteur. Sean Murphy s'attelle donc à nouveau au scénario et au dessin pour ce nouveau one-shot, sur un thème extrêmement bon, quoique difficile à cerner.

Et ça va être toute la difficulté de The Plot Holes : réussir à faire entrer son pitch extrêmement fantaisiste dans un cadre qui soit un minimum rigoureux, en tous cas suffisamment pour développer une histoire et un univers construits et cohérents. Si le principe de base de l'univers est bien posé en quelques pages au début, les différentes découvertes que fait le lecteur sur cet univers au fur et à mesure du récit sont parfois plus compliquées à intégrer, car il faut jongler en permanence entre le réel et la fiction. Dieu merci, Sean Murphy n'a pas suffisamment de pages à disposition pour nous faire du Christopher Nolan et nous vriller le cerveau à grands coups de mises en abyme vertigineuses. Ce n'est pas trop sur ce plan que joue l'auteur, donc, et c'est probablement mieux. L'imbrication des univers est donc assez facile à comprendre (le réel > le programme > les oeuvres de fiction à corriger).


En revanche, Sean Murphy s'amuse alors à nous promener d'un univers à l'autre, en les plaçant sur un pied d'égalité. On va donc se promener entre les extraterrestres et l'indépendance des Etats-Unis, en rencontrant aussi bien des créatures complètement fantaisistes que des personnages rigoureusement historiques.

C'est là que The Plot Holes impressionne et éblouit, même si certains lecteurs pourront peut-être crier à l'overdose. En 120 pages de récit, il aborde une immense multiplicité de thèmes ! Evidemment, vu le nombre réduit de pages, il ne développe pas toujours beaucoup chacun de ces thèmes, mais malgré tout, il évoque quand même énormément de pistes, sans que ce soit jamais indigeste : Comment écrire sur la littérature même ? Peut-on retranscrire fidèlement l'Histoire ou la transforme-t-on nécessairement ? La réalité peut-elle être mise en scène ? Un personnage de fiction peut-il évoluer ? Est-il prisonnier des caractéristiques que lui pose son auteur ? Appartient-il plus au lecteur ou à l'auteur ? Faut-il privilégier la quantité d'écrits ou la qualité ? Comment peut-on identifier et corriger une oeuvre mal écrite ? Peut-on, doit-on censurer ?

Attention, certaines de ces questions sont plus effleurées qu'abordées frontalement. Quoiqu'il en soit, toutes sont abordées de manière parfois discrète, mais toujours incroyablement intelligente. Sean Murphy fait preuve d'une grande subtilité, d'une certaine poésie, et d'une belle réflexion dans le traitement de ces thèmes, il ne cède pas trop à la facilité, et son récit, quoique purement d'aventures, en profite pour glisser ici et là de très belles idées.


Graphiquement, c'est du Sean Murphy typique, donc ceux qui ont du mal avec son trait vont en penser la même chose que d'habitude, mais moi, j'adore. Je le trouve élégant, dynamique, chaleureux. Il est pour beaucoup dans la réussite de l'atmosphère créée.

Même si cette réussite est avant tout due à des personnages extrêmement bien écrits. Conçus avec beaucoup d'humour, chacun d'entre eux permet dans un premier temps de s'amuser finement des différents clichés de chaque genre pour finalement en tirer une substance beaucoup plus sérieuse, l'air de rien : le manga où les personnages ne ressemblent pas à des Japonais, avec des méchas et des robots dans tous les sens ; le récit de fantasy qui, en voulant promouvoir l'homosexualité d'un personnage, bascule dans un discours inverse à son intention ; le comics pour enfants du début XXe qui finit par être le support du racisme de son auteur, l'héroïne vampire au passé tellement tragique qu'on finit par en questionner son statut de "méchante", etc.

Tous ces éléments permettent à Sean Murphy, non seulement d'élaborer une réflexion solide sur différents sujets en lien avec la bande dessinée, mais aussi de mettre en scène des personnages finalement marginaux, torturés, placés face à leurs failles et à leurs contradictions, et contraints d'évoluer d'une manière ou d'une autre, mais sans savoir comment.

Tous les ingrédients sont donc réunis pour avoir un grand récit d'aventures, épique mais aussi intimiste, où l'action est tout aussi soignée que les personnages. Si le fait de développer l'histoire sur plusieurs tomes aurait probablement permis d'introduire davantage d'émotion dans le récit et de prendre plus de temps sur certaines péripéties, Sean Murphy démontre néanmoins une maîtrise remarquable du format 120 pages, en n'en faisant ni trop, ni trop peu à mon goût. On en a exactement pour notre argent, et je ne peux que recommander avec la force la plus vive d'aller lire ce comics méta bien pensé, bien construit, où le divertissement ne le cède en rien au pouvoir de la réflexion.

Et surtout, puisque c'est lui qui y est célébré du début à la fin, à celui de l'imagination !

Tonto
8
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le 26 oct. 2022

Modifiée

le 26 oct. 2022

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Tonto

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