Titre : Sos Météores (sous titre : Mortimer à Paris)


Auteur : E.P Jacobs


Publication : Tintin n° 2 1958 - n°16 1959


Publication album : Le Lombard septembre 1959


Sources : B Mouchart, F Rivière La damnation d'Edgar P. Jacobs chap 10 pp 203-221
M Porret « La grande menace » pp220-223 in Objectif bulles


Album utilisé : S.O.S Météores édition Blake et Mortimer


Éléments de critique externe :
Le scénario semble avoir été inspiré à E.P.Jacobs à la fois par l'exceptionnel hiver de l'année 1954 et par la vogue des romans d'espionnage et d'anticipation publié notamment en France par les éditions « Fleuve Noir », dont plusieurs sont écrit par le belge Jean Libert sous divers pseudonymes (Paul Kenny, Jack Murray, Graham Livandert). L'ouvrage fait également écho à la réalité d'une guerre froide qui se traduit aussi dans les fantasmes d'une course aux armes secrètes. E.P Jacobs semble avoir aussi été influencer par les romans de G. Simenon et le cinéma français des années 50, dont le personnage du commissaire Pradier se fait l'écho en adoptant les traits de Jean Gabin.
Pour la création E.P.Jacobs s'est livrer à un repérage très poussé des lieux de son récit, beaucoup plus important que le repérage de Londres pour la création de « La marque jaune ».
Il s'inscrit dans le mouvement des œuvres influencés par la guerre froide qui s'exprime dans la 2° partie des années 50.


On peut également supposer que l'ambiance cauchemardesque du décor fasse référence, consciemment ou non, au poèmes de Baudelaire qu'E.P.Jacobs a découvert durant son adolescence en compagnie de Jacques Van Melkebeke (B Mouchart, F Rivière p 43).


Éléments d'analyse :
L'album se truffe de références à la paralittérature et au cinéma de genre.
– La ruse de Francis Blake qui pour piéger Olrik utilise braque sa pipe a travers sa poche pour faire croire à une arme (P 42,43) est reprit du film d'Alfred Hitchcock « Les 39 marches » (1939).
– La diffusion d'un gaz hilarant dans les rue de Paris libérant les pulsions des individus et provoquant une inversion des valeurs (P 56,57) fait écho à la nouvelle de Jules Verne « Une fantaisie du Docteur Ox ».


L'Album fit également référence à l'actualité.
– Les intempéries qui s'abattent sur la région parisienne fait en autre références à l'année 54 (hiver rigoureux) et 55 inondations parisiennes.


On peut penser que la références à des faits d'actualité récente contribue à générer vis à vis du lecteur un phénomène anxiogène, le lecteur n'est pas rassuré par le phénomène fictionnel celui ci le renvoyant à un univers réel. Le réalisme du décor contribue au même processus.

Évolution de la saga :
On remarque la disparition de Nasir déjà absent de « L'énigme de l'Atlantide » et qu'on ne revoit pas dans « Le piège diabolique » par contre, l'album voit apparaitre le commissaire français de la DST Pradier qui sera présent dans les deux opus suivants (« Le piège diabolique », « L'affaire du collier »).


Vision de la femme :
A l'instar des autres albums de la saga, les figures féminines sont extrêmement rare dans l'ensemble de l'album.
Le seul rôle dévolu aux femmes semble être du type gardienne du sanctuaire, il s'incarne dans la figure du personnage de la gouvernante du Professeur Labrousse Catherine qui occupe vis à vis du savant un rôle similaire à celui de Mme Benson dans l'immeuble de Park Lane auprès de Blake et Mortimer (cf : « La marque jaune »).
A la différence du cerbère de Park Lane Catherine possède une fonction beaucoup plus maternante auprès de son maitre.
– Elle s'occupe du ménage de la maison (alors que cette fonction semble plutôt dévolu à Nasir chez Blake et Mortimer)
– Elle fait la cuisine et s'occupe du linge fonctions qui relève de la mère qui nourri et change l'enfant.
– Elle est présente dans l'intimité du professeur alors que Mme Benson ne pénètre que par intermittence dans l'appartement de Blake et Mortimer.
P 10 3/3 :
Labrousse : « Mais c'est affreux !... Venez ! Un bon bain vous attend. Catherine va s'occuper de vos vêtements et en attendant, elle vous en préparera d'autres... »


P 10 4/2 :
Mortimer : « Mes félicitations Catherine... le dîner était excellent !... Vous êtes un authentique cordon-bleu !... »


Graphiquement ces fonction sont souligné par une ample silhouette pourvu d'une forte poitrine ceint d'un tablier blanc (P 10 4/1 & P 29 2/1).


Elle demeure exclue des décisions importantes, une fois le diner achever les 2 savants se retirent dans la bibliothèque (siège du savoir) pour discuter des affaires sérieuses dont la femme est absente.


La fonction maternante de Catherine est renforcer par Madame Petit concierge de l'immeuble du Professeur rue Vaugirard à Paris qui surveille l'entrée de la demeure. Graphiquement proche de Mme Benson (chignon relevé de cheveux gris) elle occupe la fonction de protection et surveillance du Professeur.


Un autre personnage féminin apparaît page 19 avec l'apparition d'une créature misérable coiffé d'un fichu rouge (P 19 1/1, 2, 3, 4 & 2/1).


A cette image s'oppose les silhouettes d'arrière plan de la page 56, sous l'effet d'un gaz désinhibiteur diffusé par l'ennemi les tabous sociaux s'efface et les pulsions réprimé s'exprime dans ce délire carnavalesque on remarque :
– Un couple qui danse (P56 1/ 2).
– Une jeune femme qui lève la jambe à la manière d'une danseuse de french cancan (P56 2/1).


Deux images d'une sensualité débridée qui s'oppose au conformisme de l'image officiel.


Vision du sacrée :
L'aventure s'inscrit dans la logique des albums précédents de construction d'une typologie du sacré.
Si « Le mystère de la grande pyramide » correspond à un quête solaire vers l'absolue du bien incarné par le pharaon reposant au cœur de la grande pyramide, SOS Météores correspond à un confrontation avec l'empire du mal.
Il semble qu'un jeu de correspondances inversé puisse s'établir entre les deux univers.


La foudre.
La puissance de la station de contrôle météorologique installé dans les sous sol du château de Troussalet provient de la maitrise de l'énergie de la foudre. La foudre représente traditionnellement l'instrument de la justice et de la puissance divine.
– La foudre est l'instrument de Zeus / Jupiter.
– La foudre comme instrument de puissance mystérieuse est présente dans Jules Verne .


L'assimilation foudre / puissance divine est constamment souligné dans Tintin.
– 1936 : « L'oreille cassée » La foudre sauve Tintin quand sur le point d'être exécuté par des bandits, il est littéralement enlevé et transporter ailleurs par la foudre ceci à une époque où Tintin apparaît encore comme un être élu.
– 1944 : « Les 7 boules de cristal » une boule de foudre envahie la maison du professeur Bergamote pour exprimer la colère du dieux Incas dont la momie est exposer dans une vitrine. Tournesol assis dans un fauteuil qui se trouve soulevé dans les airs est à cette occasion déjà désigné comme la victime expiatoire qu'il sera dans la suite de l'aventure (« Le temple du soleil »).
– 1955 : « L'affaire Tournesol » Hergé reprend la même image que dans « L'oreille cassé » ce coup-ci c'est Haddock qui se trouve a son tour enlevé et transporté par la foudre. Intervention de la foudre qui apparaît là comme un avertissement vis à vis des hommes qui tentent d'égaler, en la personne de Tournesol, la puissance divine, au cours de la séquence Tintin et Haddock sont incapable de distinguer l'origine humaine ou naturel des phénomènes qu'ils subissent.


L'emploi de la foudre comme source d'énergie par les puissance diaboliques participe au brouillage des signes généralisé et à l'inversion généralisé qui apparaît comme la marque du diable.
– La foudre n'agit plus du ciel vers la terre, mais de la terre vers le ciel.
– La foudre n'est plus l'expression d'une justice immanente qui en frappant la terre avertit et puni mais devient l'instrument du diable qui bouleverse l'ordre des saison et génère le chaos.


Brouillage du temps.


Au temps suspendu de l'Égypte s'oppose le chaos des intempéries qui bouleverse tout repère temporel, E.P.Jacobs se livre là à glissement sémantique entre temps = temporalité & temps = météorologie à l'image du diable qui se plait à brouiller les codes et repères en jouant sur les apparences.


– Olrik a recours au grimage.
– Blake et Mortimer sont tour à tour poursuivit par la police victimes des apparences, tandis que les bandits Sharkey et Freddy se déplace en toute impunité à bord de leur puissante ford custom bleue, Mortimer est obligé de se cacher de la gendarmerie.
P21 4/4 :
Mortimer : « Des gendarmes !... Well ! Quelle situation ridicule... Le professeur Mortimer gentleman cambrioleur !... »


– Un château en ruine abrite une base ultra moderne de contrôle météorologique.
– Le gaz hilarant provoque une anarchie carnavalesque transgressive dans laquelle les symboles de l'ordre établi sont complètement renversé.
– Un agent police danse le french cancan (P56 2/1)
– Un bus remplis de gens hilares s'engouffre dans un sens interdit (P56 3/2)
– Un « garçon de recette de la banque de France » en uniforme et bicorne adopte un comportement excentrique (P56 2/2)

– Les CRS régressent jusqu'à un état infantile (P57 1/1)


Figure du diable :
Le diable s'incarne dans la figure du « Général » qui commande la station météorologique du Troussalet.
– Il a semble t-il le pouvoir de surgir sans que les autres l'aient entendu arriver.
P50 4/4 :
« Mais il n'a pas le temps d'achever car un nouvel arrivant surgi à l'insu de tous, lui coupe rudement la parole ! »


Son don d'ubiquité s'incarne dans un circuit fermé de télévision à travers lequel il donne ses ordres (P55 2/2).


– Son autorité est absolue sur ses servants auxquels il inspire la terreur.
P54 1/1,2 :
« Tandis que tous restent figés dans un silence embarrassé, l'homme continue, glacial.
Le Général : Professeur Miloch Georgevitch, vous me paraissez bien bavard, et vous colonel bien imprudent...
Inquiet Miloch balbutie... »
Il semble ne pas pouvoir quitter le monde souterrain de la station siège de son autorité les missions dans le monde extérieur étant dévolues au Colonel Olrik.


Graphiquement les mèches de sa chevelure peuvent évoquer des cornes rabattues et tandis que sa moustache en brosse évoque Adolf Hitler, sa barbichette noire correspond à celle traditionnellement attribué au diable (P50 4/4).


La figure du diable apparaît aussi au premier plan dans le délire carnavalesque (P56 2/1) incarné par un passant .


Graphiquement l'emprise diabolique s'exprime également par la couleur verte qui déjà représentait les gaz mortel du « le secret de l'espadon ».


Vision de l'espace :


Si caves et souterrains sont, à l'instar des autres opus de la saga, omniprésent. Il semble que ce soit l'ensemble de l'espace qui se trouve sous l'emprise de l'ennemi.

– L'ensemble de la région parisienne semble coiffé d'un couvercle d'intempéries.
– Les espaces souterrains et aériens tendent graphiquement à se ressembler.
Graphiquement la fin de l'album présente une atmosphère crépusculaire de fin du monde qu'oppose la dominante verte qui sature l'intérieur de la station et le jaune de l'atmosphère empoisonné de Paris et sa banlieue.


La géographie est brouillée :

– Les intempéries bouleversent les transports
– Le taxi de Mortimer et Ernest se perd en se trompant sur la nature des feux rouges de la voiture qui leurs sert de guide.
– Les héros se perdent sans cesse
– Dès le début de l'aventure Mortimer et son chauffeur de taxi se retrouve perdu et aveugle dans dans la nuit à la suite d'une défaillance électrique de leur voiture), ils se perdent ensuite en cherchant à suivre les feux arrières d'un fourgon ce qui entraine dans un chassé croisé (P 6, 7, 8).
– Pradier et Blake tombe en panne d'essence et se retrouvent perdus dans la campagne (P 58).
– Les méchants ne cessent de brouiller les repères.
– Ils changent le lieu de l'accident du taxi (P14).
– Ils envoient à Blake et Labrousse un faux télégramme de Mortimer (P29 2/2).
– Le brouillage du vocabulaire accroit la confusion géographique comme en témoigne la confusion entre le lieu-dit Trou Salé et le château de Troussalet.
P 54 4/1 :
Blake : « By jove, Pradier ! Tout s'explique à présent !!... Mortimer n'avait emporté pour l'aider dans ses recherches qu'une simple carte routière, par conséquent, celle-ci ne pouvait mentionner le nom de ce château qu'il aura demandé à un passant. En bon Anglais, il aura compris « TROU SALÉ » pour Troussalet... Ce qui fait que nous avons été aiguillés sur une fausse piste !!! »


On remarque une correspondance entre la déstructuration de l'espace géographique et la désorientation des héros. Désorientation est autant physique que mental, les héros sont perdus au sens propre comme au sens figuré du terme. La réplique de Blake rétablie à la fois une vérité géographique et une vérité humaine.


Ces jeux de correspondances composent une vision du monde où l'ordre cosmique et l'ordre social sont parallèle et concordant, comme en témoigne la dernière image de conclusion de l'histoire qui regroupe à la fois rétablissement climatique et restauration des institutions.
– Ciel azuré portant des escadrilles partant à la rencontre de l'ennemi.
P 64 (dernière image) :
« En effet, 001 la redoutable station pilote du réseau ''cirrus'' ayant épuisé toute sa malfaisante énergie, l'ouragan artificiel crée par la gigantesque ascendance thermique que la libération de ses accumulateurs avait provoquée a balayé le ciel et voici que déjà dans l'azur enfin purifié passent les innombrables escadrilles qui foncent à la rencontre de l'ennemi !!!... »


– Olrik arrêté et mis en prison.
– Destruction par le feu de la station du Troussalet.
Éléments qui font référence au corpus de l'imaginaire chrétien.
– Les avions dans le ciel rappellent l'allégorie de l'oiseau comme symbole d'assomption.
– L'emprisonnement d'Olrik en bas de page dans une case ronde.
– Entre les deux le feu apparaît comme un élément purificateur.


On peut également remarquer que la fin de l'aventure se clôt par une chute des méchants dans l'étang du Troussalet exactement semblable celle du taxi de Mortimer au début de l'aventure.
P 63 4/1, 2, 3 :
« L'auto qui emporte Olrik et ses lieutenants fonce vers la sortie mais comme elle aborde le virage où quatre jours plus tôt le taxi d'Ernest avait dérapé, elle se trouve inopinément en face des blindés de Pradier qui lui barrent la passage... // Un brusque coup de volant évite la collision mais la route est glissante et la ''citroën » » à son tour, dévale la pente gazonnée... // …L'instant d'après, dans un prodigieux jaillissement d'eau, elle plonge dans l'étang !... »


Aux deux extrémités de l'aventure Mortimer et Olrik effectuent le même parcours aquatique et souterrain à travers le déversoir de l'étang mais ces deux traversées expriment un sens radicalement inversé
Pour Mortimer la plongée dans l'eau verte du déversoir correspond à une plongée dans les enfers, il manque de s'y noyer et en ressort complètement désorienter dans un monde dominé par l'emprise du mal.
P 10 2/1 :
Mortimer : « Où diable suis-je ici ? »


Pour Olrik le passage par le déversoir correspond à un retour à la normale vers le monde des hommes auxquels il va devoir rendre des comptes, sa dernière réplique fait écho à celle de Mortimer.
P 64 3/1 :
Olrik : « Ça va ! Gardez vos boniments et que le diable vous emporte tous ! »


L'ensemble
Cependant alors que dans les épisodes précédents les souterrains correspondaient à des rites de passages entre le profane et le sacrée, les divers espaces souterrains d'« SOS Météores » correspondent plus à un labyrinthe dans lequel les héros se perdent. En fait il semble que ce soit l'ensemble de l'espace soit coiffé d'un couvercle d'intempérie et corresponde à un immense espace souterrain, où les héros errent en quête de repères dans un décors dévasté semblable à celui d'une apocalypse nucléaire.

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le 23 mars 2019

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