Il faisait partie de ces auteurs dont on me parlait beaucoup ces derniers temps. Sitôt je me mettais à discuter de questions de société en présence de bédéphiles que soudainement son nom finissait par surgir.
« Il faudrait que tu lises Peau d'homme » de Hubert Boulard, me suggérait-on.
«Monsieur Désire ? devrait beaucoup te parler » m'a-t-on aussi dit.
Et puis finalement on m'a offert ce Petit ; premier tome des Ogres-dieux pour découvrir les œuvres du regretté Hubert Boulard...
...Et je dois bien avouer que ça m'a saisi.


Il faut dire que déjà, matériellement parlant, l'ouvrage en impose.
Dans la droite lignée de cette culture du bel objet, Petit se présente à nous comme s'il était un vieux grimoire de contes. Il n'est certes pas épais mais cette habile composition de noirs, blancs et gris que seules les quelques lettres d'or du titre viennent trancher procurent à l'ensemble une solennité qui m'a investi avant même d'en tourner les premières pages.


La première chose qui surprend quand on engage dans ce récit c'est sa capacité à distiller limpidement ses codes et ses intentions.
Fond et forme marchent en cela remarquablement de concert.
D'un côté la démarche du conte est sans cesse rappelée à chaque entrée de chapitre. La chose se fait par l'intermédiaire d'un portrait, à la fois visuel et narratif – pas de B.D., que de la prose – tout cela au service d'un récit aux accents volontairement mythologiques.
Loin de donner l'impression de rompre le « contrat » narratif fixé par le format bande-dessinée, ce tome 1 des Ogres-dieux procure au contraire davantage le sentiment qu'il joue d'une narration mixte au service de son récit, et surtout au service de ses planches.


Parce qu'en effet, en évacuant une bonne partie de son lore dans ses quelques pages de prose, Petit peut ensuite faire l'économie de,, cases trop verbeuses. Et tant mieux car le monde de Petit est rude, brutal, sec.
La multiplication des cases non-implémentées de bulle favorise d'ailleurs une narration par les lieux, lesquels se révèlent tout aussi écrasants que les ogres qui les habitent et les ont érigés.
Le noir et blanc pour lequel Bertrand Gatignol a opté permet également de renforcer le caractère brut et anxiogène de l'univers ici développé, même s'il y a malgré tout là-dedans une vraie subtilité de déployée pour nous ménager.


Car s'il n'échappera à personne que Petit est un récit étouffant pour le lecteur – et cela notamment de par la cruauté qu'il distille à chacune des pages – Hubert et Gatignol sont néanmoins parvenus à nous faire éviter le trop-plein en faisant en sorte qu'aucun geste ne soit gratuit.
Car cette cruauté dit quelque-chose.
Comme tout conte, ses archétypes et ses symboles ne sont que des outils au service d'un vaste jeu de figuration permettant de donner corps à une réalité que l'auteur entend nous donner à voir.
Et s'il ne sera pas difficile de percevoir dans cette généalogie d'ogres tous les visages possibles du dominant, Petit parvient néanmoins à en tirer un récit dans lequel chacun est plus ou moins enfermé dans son rôle – presque piégé par essence dans sa condition – si bien que, quand bien même personne ne se satisfait de son sort – et surtout quand bien même chacun perçoit que la voie sur laquelle ils sont tous collectivement lancés est celle de l'effondrement par pourrissement – ils n'en préservent pas moins les attitudes et comportements qui permettent l'entretien de cet ordre mortifère.


Visuellement aussi, Gatignol sait ne pas tomber dans la violence racoleuse. Son trait empruntant à l'esthétique des mangas permet permet aussi atténuer la raideur de l'atmosphère et du propos.
Tant mieux, parce qu'au bout du compte ce serait peut-être là la seule limite que je verrais à ce Petit ; limite avec laquelle il flirte souvent sans la franchir néanmoins.
Cette limite ce serait la fable cynisme.


« Rien ne va. Rien n'est à sauver. » Voila parfois quel est le mantra de ces œuvres qui se complaisent un peu trop dans la noirceur.
Et même si ce Petit parvient à s'extraire de ça sur sa toute fin (quoi que), il ne parvient néanmoins pas totalement à s'extraire d'une lecture presque exclusivement dépressive de son propre conte.


Fort heureusement, la grande sensibilité humaine avec laquelle ce tome parvient à brosser la plupart de ses personnages et situations compense et annule en grande partie ce sentiment, parvenant même à établir un équilibre délicat difficilement trouvable ailleurs.
Cette capacité à saisir et à rendre sensible les jeux d'oppression, c'était ce qu'on m'avait vendu pour que j'aille m'aventurer du côté de l'œuvre de Hubert Boulard, et je dois bien avouer que ça a su faire mouche.


Autant dire que, chez moi, ces Ogres-dieux risquent de faire des petits.
Entre un tome 2, une *Peau d'homme * ou un Monsieur Désire ?, il y aura sûrement de quoi satisfaire mon envie...

Créée

le 25 juin 2023

Critique lue 35 fois

2 j'aime

Critique lue 35 fois

2

D'autres avis sur Petit - Les Ogres-Dieux, tome 1

Petit - Les Ogres-Dieux, tome 1
jerome60
8

Critique de Petit - Les Ogres-Dieux, tome 1 par jerome60

Au royaume des ogres, la consanguinité affaiblit la race à chaque nouvelle génération. A tel point que le dernier rejeton du roi est à la naissance à peine plus grand qu’un bébé humain. Hors de...

le 4 mars 2015

9 j'aime

Petit - Les Ogres-Dieux, tome 1
Hellzed
8

Ché bon l'humain, miam miam

Bon c'est sorti en décembre 2014, mais première lecture de 2015 pour moi et grosse saveur ! Aux commandes, l'auteur de Miss pas touche conjugué à un génial dessinateur -Gatignol-, qui a atteint un...

le 6 janv. 2015

8 j'aime

Petit - Les Ogres-Dieux, tome 1
LaPetitePirate
8

Une histoire de taille

Tu ne dois pas manger les hommes. Même si nous sommes de la même espèce qu'eux. Les humains ne mangent pas leurs semblables. C'est ce qui les différencie des animaux. Es-tu un animal, Petit ? Ce...

le 11 févr. 2022

6 j'aime

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

236 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

206 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

158 j'aime

122