Number 5
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Number 5

Manga de Taiyō Matsumoto (2000)

Un manga, au premier tome, s'ouvre comme la porte d'une demeure. Peut-être même celle d'un château. Féérique celui-ci. Et qui tient à une bonne féérie ; celle qui retient ma magie sans le rose bonbon en filigrane. Cette porte, le plus souvent - et je m'y suis habitué - ouvre sur un long couloir d'ici à ce la salle de séjour ne soit atteinte. Et cela, ce n'est que quand elle n'ouvre pas directement sur les chiottes.
Je m'y suis habitué, écrivais-je, à cette temporisation par laquelle s'initiait bon nombre d'œuvres analogues. Qu'on prenne le temps de présenter un peu les tenants de la barraque, j'accepte, mais sans les abus de rigueurs. Y'en a, qui tournent même autour du pot pendant plus d'un an d'ici à ce qu'ils n'ébauchent une première intrigue. Ces auteurs, quand ils prennent tant de temps à trouver leurs mots, n'ont, le plus généralement, absolument rien à raconter.


«Et Number 5 ?» me demandez-vous, vous qui êtes venus pour elle. Number 5, elle a peu à raconter. Et ce peu est énorme. De même que l'atome est chose apparemment bien négligeable, sa pleine exploitation révèle déploie des potentialités inespérées. La porte qui se sera ouverte à la première page de Number 5, elle aura donné sur une pièce modeste mais cosy. Ici, pas de chandeliers en cristal, aucune dorure même ; et pourtant, on s'y sent tout de suite très bien.


Parce que l'entrée en matière de Number 5, elle est radicale ; elle s'aborde comme un soudain plongeon qui a tôt fait de vous immerger au fond du bassin. Pas de préambule ronflant ou d'éternelle danse du ventre d'ici à ce que le sujet ne frétille devant nos yeux. La première impression se veut cruciale, et celle-ci est diablement réussie.
Oui, ça exige un minimum d'effort de compréhension de la part de son lecteur ; il n'est pas questions ici de tout lui déglutir dans le bec. La démarche, justement, honore son auteur. Car ils sont rares les mangakas à ne pas prendre leur public pour des ânes. Lui ne nous mène pas à la baguette, il nous présente un monde et, sans nous guider, nous abandonne à son exploration.
Et il y a matière à voir.


Le dessin de Matsumoto, et c'est une fadasserie que de le dire, est un condensé de charme enrobé dans de l'encre. Mais je vous parle du charme de la sorcière, celui auquel je ne veux pas m'abandonner.
C'en est pas au point où les graphismes chez moi inspirent le dégoût mais, ce crayonné, parfois délibérément enfantin, souvent brut - ce que j'aime au demeurant - n'opère cependant la moindre attraction sur mon affect, que je sais chose exigeante et délicate.
À regret, sans pour autant bouder mon plaisir, je le scrute d'un œil dépassionné comme je l'avais fait autrefois.


Comme autrefois, on retrouve dans cette œuvre de Matsumoto un sens du poétique éthéré et nébuleux qui, le temps de marquer ses premiers jalons, me sera d'abord apparu comme forcé et un brin pompeux. De pas grand grand chose, mais de trop à mon goût. C'était là une première impression trompeuse.
Certains, moins acerbes, et plus disposés à se laisser prendre par le tout venant, y auront été réceptif à peine le premier coup de crayon dessiné sous leurs yeux. Un chapitre parfois et un chapitre seulement peut suffire à déterminer que l'on soit séduit ou non par un spectacle visuel. Et ce spectacle-ci, qu'on l'aime ou non, avait le mérite de l'originalité ; j'en conviens sans rougir.


Il suffirait, pour que je me laisse emporter, de lâcher prise un instant. Un court instant. Mais... je m'accroche. C'est dans ma nature. On ne me prend pas par les sentiments ; on ne me prend pas tout court et on ne me prend certainement pas de cours. Mon séjour dans ce monde fut toutefois bien plus agréable que mon périple perdu dans les rues tortueuses d'Amer Béton. La sensibilité du lecteur joue beaucoup dans l'expérience Taiyô Matsumoto. Les miennes, ne sont pas de cet ordre.
On a ce qu'il faut pour apprécier pleinement la lecture ou on ne l'a pas. J'admets pour une fois que le problème, si problème il y a, vient effectivement de moi et non pas de l'auteur pour ce qui est du ressenti à la lecture. L'univers est riche, complet, son panorama foisonne d'éléments savoureux mais... il semblerait que je n'ai pas d'appétit pour cette gastronomie-là.
«De la confiture aux cochons» diraient certains. Voilà une assertion que je ne récuserais pas car je la sais assez proche de la réalité en ce qui me concerne.


La narration, une fois le dessin mis de côté, est en revanche un délice. Rien ne nous est délivré, l'intrigue nous est simplement présentée et il ne tient qu'à nous de nous y arrimer ou non. L'expérience de lecture est vivante et, malgré tout ce que j'ai à en dire, l'aspect irréel et léger finit par exercer son emprise sur moi. Cela, en dépit de ma résistance de principe.
Je ne sais ce qui fonctionne ici et qui a bien pu faire défaut à Amer Béton, mais Number 5 se veut un petit bijou de lecture. Un bijou dont l'éclat m'a pris par surprise, moi qui en attendais moins que rien.


Les enjeux, d'abord, nous apparaissent flous, presque légers et pourtant, on s'implique auprès du conseil. La dynamique liant les personnages les uns aux autres a quelque chose de captivant ; de nouveau. En si peu de temps et sans même chercher à développer chaque personnage sous des torrents d'informations, avec seulement quelques bribes de renseignement sur chacun, Matsumoto leur donne vie le temps qu'ils ne viennent à expirer. Résulte de cette histoire un sentiment de tristesse heureuse au milieu d'un drame où la souffrance paraît à la fois si grave et si légère. Un mélange des registres qui nous perd afin de mieux nous ravir.
Il en faut du talent pour qu'un auteur puisse s'assurer que son œuvre ait une emprise sur son lecteur. Que l'on aime ou non Number 5, la lecture passive ne nous est tout simplement pas permise. Et de cela, on peut largement s'en réjouir. Un récit vivant, c'est un récit qui se vit et celui-ci, je peux presque en sentir le pouls les pages.


Et puis finalement, je m'y suis laissé prendre à ce dessin. L'audace y est. Il est déroutant mais il n'est pas que ça. Outre l'originalité du concept artistique ou de ce qui y est même représenté, les plans, les angles, tout semble avoir été choisi pour donner forme à un chaos contrôlé qui, s'il apparaît brouillon à première vue, s'avère on ne peut plus harmonieux dans son assemblage.
Ce n'est pas un agencement de cases et de bulles occasionné au gré des besoins de l'auteur, mais de ses envies. Matsumoto a un message à nous faire passer, un message qui ne saurait s'exprimer par des mots et qui nous parvient sans que nous puissions répondre en retour faute de moyens. Qu'y aurait-il de toute manière à répondre à l'auteur d'un pareil début de chef-d'œuvre si ce n'est «merci» ?
Même les pages de résumé des volumes précédents ont été travaillées par l'auteur. Il n'y a rien qui soit préformaté dans Number 5 et j'écris cela alors que j'exulte de pouvoir enfin accoucher ces mots dans l'ordre sans aucune ironie. Number 5 n'est pas original, il est l'épitome de l'originalité jusque dans ses moindres détails. Une originalité sans excentricité de façade ou la moindre affèterie d'aucune sorte.


Et puis, il y a cet humour qui n'en est pas un. La chose est même expérimentale et, là encore, ne s'explique pas. Déroutant, toujours, mais saisissable malgré tout. À poursuivre ma lecture, j'ai le sentiment de découvrir une nouvelle perspective et je n'exagère pas la force que suggère Number sur son lecteur en écrivant cela. Une nouveauté prodigieuse dont personne, faute de moyen, ne pourra jamais réussir à s'inspirer convenablement. Un véritable OVNI du monde manga.


Chose surprenante, le script se targue même en toile de fond d'un contenu politique dense mêlé à une histoire de héros pour enfants. Pluto avant l'heure. En mieux. Et moi, des intrigues politiques, quand elles sont noueuses et sans l'édulcorant au goût moraline ; je ne peux que que les approuver sans réserve aucune.


Puis, comme le premier symptôme d'une maladie grave - celui auquel on ne prête jamais attention - on ressent un léger essoufflement à compter du Flash Back. «Quoi de plus normal après avoir suivi une allure si éreintante» m'étais-je dit naïvement.
Néanmoins, je ne peux pas décemment féliciter la narration en premier lieu pour ne pas tout jeter tout cuit dans la bouche de son lecteur quand... précisément, je la surprends à faire cela par la suite avec un retour de quinze ans en arrière qui, au final, ne nous aura pas enseigné grand chose. Rien qui n'aurait pu nous être instruit autrement. Avec tact et minutie, comme cela se faisait jusqu'à lors.


Les personnages aussi perdent en fraîcheur. Ils étaient hors de ce monde pour finalement s'accepter comme plus communs que ce qu'ils avaient originellement présenté. Seuls ceux qui auront su mourir à temps resteront immaculés dans nos mémoires. Un héros, avant d'être une affaire d'héroïsme, c'est aussi une question de timing. Jeanne d'Arc, si elle survenait aujourd'hui, serait passible d'une comparution immédiate.
D'ailleurs, pour ce qui est des personnages, Viktor incarne pour moi le seul héros qui vaille. Infiniment préférable à la démagogie et la naïveté de Numéro un.


Ce qui s'ensuit devient hélas conventionnel jusqu'à la dernière outrance, tuant - de par le fait - ce qui avait fait la richesse de Number 5 maintenant relégué à une une banale histoire de gentils, de méchants et de lecteurs trompés. Tout s'effrite puis, tout s'effondre. Passé le Flash Back. La machine créatrice de Matsumoto s'affole ; elle compense une carence évidente par un abus de lyrisme en espérant pouvoir conclure l'affaire en douceur.
Number 5 sera à ajouter à la liste des mangas dont la première moitié fut détonante et dont la suite ne me laissa pas même une demi-molle. Rejoignant ainsi sur le banc des accusés, un certain Habitant de l'Infini assis silencieusement aux côtés de l'ombrageux Zetman.


Le soufflé promettait d'être savoureux ; je salivais à torrent rien qu'à l'idée de le dévorer jusqu'à la dernière miette et, évidemment, il sera retombé. Parti d'aussi haut, la chute ne fut que d'autant plus douloureuse. Mais plutôt que de déplorer sa longue fin de parcours en piste raide, je louerai Number 5 pour ce qu'il a été avant de retenir ce qu'il sera devenu. Si je devais recommander un manga à la jeunesse, ce serait celui-ci. Et ça se ferait - j'en suis sûr - avec l'approbation des parents. Cette jeunesse, enfin rompue à l'exercice d'une pareille lecture, ne pourrait qu'en ressortir grandie.
Number 5, c'est pas nécessairement facile d'accès, mais c'est avant tout parce que l'œuvre se veut formatrice.


5, pour une note qui s'accorde au diapason du titre. Titre dont j'aurais aimé qu'il tienne ses promesses jusqu'au bout.

Josselin-B
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le 13 mars 2021

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Josselin Bigaut

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