Dragon Ball
8.1
Dragon Ball

Manga de Akira Toriyama (1984)

Quand la couleuvre indolente fait sa mue

Dans les coulisses de l'Histoire, les grands hommes restent dans l'ombre, voués à l'oubli et l'ingratitude d'une masse qui leur doit tout ou presque. Dragon Ball a fait l'histoire. Cheval de Troyes nippon à l'allure folle, il ne s'est pas trouvé beaucoup de citadelles occidentales pour résister à ce présent qui, derrière lui, permit l'invasion massive de nos étalages par ses confrères. Katsuhiro Otomo a fait découvrir le manga au plus grand nombre avec son film Akira, Dragon Ball a conquis le monde avec de l'encre et quelques feuilles blanches.
Mais derrière ce général Toriyama qui n'avait jamais eu la prétention d'accomplir un tel fait d'arme éditorial, trois stratèges dont le nom ne dira rien à personne avaient guidé sa marche vers la légende.


Kazuhiko Torishima, Yū Kondō et Fuyuto Takeda. Le premier évoquera peut-être quelques bribes de souvenirs à ceux-là qui auront lu Bakuman ou tout simplement aux érudits connaissant la Shueisha. Après avoir été l'éditeur de Toriyama pour Dr. Slump, il accompagna encore son protégé jusqu'à la fin de l'arc Piccolo Jr. Par la suite, il deviendra l'un des représentants les plus émérites de la Shueisha. Quant à Yû Kondo, il ne fut l'éditeur que d'un succès mérité puisque nous lui devrons plus tard Blue Exorcist et Sket Dance. Avant que les lecteurs de cette critique ne ramassent des pierres afin de le lapider comme il se doit, je les intimerais toutefois à la prudence : nous lui devons aussi Gohan, l'introduction des Saiyens, de Freezer et du concept de super Saiyen. Lui succédera Fuyuto Takeda, le plus visionnaire des trois à mon sens puisqu'il contribua à donner un plus grand rôle à Mr. Satan, élément crucial à l'œuvre sur lequel je reviendrai.
Avec un premier éditeur pour bâtir les fondations du mythe, un second pour façonner ledit mythe en légende et un troisième pour la consolider, Akira Toriyama ne pouvait certainement pas prétendre avoir été mal conseillé au cours de sa carrière.


Entre ces trois hommes, Toriyama fut davantage l'instrument de la Providence que celui-là même qui se forgea un destin. Point de héros à la manœuvre, juste un heureux hasard aux conséquences planétaires. Ce sont des choses qui arrivent. Rarement cela dit. TRÈS rarement.
C'est minimiser la portée de l'auteur sur son œuvre - et quelle œuvre - que de rapporter ce que je viens d'écrire, mais cela n'aurait su rester secret : Akira Toriyama détestait son manga. Lui, préférait ce qui était «simple et débile» ; Dr. Slump aura démontré que le laisser s'adonner librement à ce registre n'était pas un choix des plus avisés. Cette fois, avec Dragon Ball, il se sera fait violence. Les coups de pieds au cul ne manquèrent pas de pleuvoir de la part de ses chargés éditoriaux et notamment de Kazuhiko Torishima qui «l'a contraint à écrire Dragon Ball». Chaque fois qu'il voulut mettre un terme à son œuvre, il se rengageait à contre-cœur.


Akira Toriyama est un personnage de Nekketsu. Un bien écrit qui plus est. Lui, part de zéro. C'est un bon à rien qui n'a pas grand chose à offrir (rappelons qu'il a commencé dans le manga pour s'acheter des clopes avec un Dr. Slump dessiné à l'arrache) mais qui, pris en main par un mentor qui croit en lui, en tirera le meilleur au terme d'épreuves douloureuses jusqu'à faire de lui une légende. Ce parcours, rien ne le l'y prédestinait. Il suffit d'ailleurs de lire ses œuvres précédentes pour s'en convaincre.


Jamais je ne conspuerais suffisamment les chargés éditoriaux pour donner le feu vert à des auteurs démunis du moindre talent d'écriture, mais le trio qui entoura Toriyama redore le blason de la profession. Dragon Ball, c'est l'œuvre de quatre hommes ; d'un génie qui s'ignorait et de trois conseillers ayant employé tous leurs efforts à révéler un potentiel insoupçonné qui ébranla le monde entier.


Comme déjà rapporté dans ma critique de Dr. Slump, Akira Toriyama - l'homme plus encore que l'auteur - me fascine. Il est l'un des seuls mangakas à succès qui ose cracher sur ce qu'est le Shônen aujourd'hui. Pour lui, la barre est placée si bas que tout le monde se contente de n'importe quoi. Peut-être que cette remarque venant du bon Dieu en personne mettra un peu de plomb dans la cervelle de ceux qui fustigent mes critiques acerbes mais, ô combien justifiées.
Toutefois, tout lucide qu'il est, Toriyama n'a jamais compris quelles conditions sous-jacentes mais objectives avaient attesté du succès de son œuvre.
Un excellent athlète n'est pas nécessairement un bon commentateur sportif, on n'a pas le même regard critique selon que l'on se trouve sur le terrain ou dans les tribunes. Toriyama est un mangaka qui n'a jamais réellement pris de hauteur sur sa création afin de l'inspecter jusque dans ses moindres détails et en saisir les rouages qu'il a construit inconsciemment.
La question du succès de Dragon Ball, c'est à ses éditeurs qu'il faut la poser ; le bras séculier qui a servi a crayonner ce que la Providence lui dictait ne peut raisonnablement pas comprendre la portée d'une création qui - en tout état de cause - le dépasse. L'homme était à son corps défendant l'instrument d'un destin éditorial dont il ne saisissait ni les tenants, ni les aboutissants.


D'après son propre auteur, Dragon Ball aurait été mal dessiné. Il est vrai que parfois, seules les coupes de cheveux permettaient de distinguer deux personnages d'un point de vue strictement morphologique. Mais à ce défaut, combien de louanges pouvons-nous opposer ?
Les dessins des personnages du Dragon Ball des débuts correspondaient en tout point avec ceux de Dr. Slump. Un poil rondouillards, en tout cas potelés, ce n'est que sur le tard que les silhouettes deviendront plus musculeuses et carrées. Le dessin de Toriyama pour Dragon Ball s'est - de fait - acéré dans le style comme dans le rendu graphique. À ce titre, une comparaison entre deux versions de Goku adulte lors du vingt-troisième tournoi des arts-martiaux et la saga Buu permet d'en attester véritablement.
Comme une lame autrefois émoussée, sa plume au contact de l'aiguisoir devint peu à peu plus tranchante au point d'en devenir démesurément incisive. Si incisive que les combats - jadis joliment mis en scène mais parsemés de nombreuses haltes dans la cadence - gagneront en frénésie pour s'avérer finalement d'une véhémence endiablée et seront, eux aussi, admirablement restitués par la disposition des planches.
Mais même au-delà de ça, le dessin a un charme fou. Simple et fonctionnel, le style graphique est incontestablement distinctif de ce qui se fait ; Toriyama a un style qui lui est propre, ce que n'ont pas de nombreux auteurs récents qui cherchent à recopier à l'envie ce qui se fait déjà.


On n'oublie pas Dragon Ball. Je pensais me dispenser d'une relecture mais avais à cœur de ne rien laisser au hasard pour cette critique. Comme j'ai bien fait. Les effets graphiques des premiers Kikohas m'ont compressé la poitrine. Du premier Kaméhaméha répertorié par Tortue Géniale au dernier Genki Dama, les tracés sont à se damner. Chaque petit élément graphique du dessin est disposé de sorte à intensifier l'effet produit sur le lecteur. Ma dernière lecture remontait à plus de dix ans et j'ai été pris à la gorge : c'est à couper le souffle. Akira Toriyama, mauvais dessinateur ? J'en connais pourtant peu - si ce n'est aucun - qui, comme lui, soient capable de retranscrire une telle intensité graphique de la pointe d'un bête crayon. Les attaques de ki jaillissent des planches ; ça nous frappe en pleine gueule. On est autant ébloui par la lumière que rendu sourd par le bruit. Cela, avec un simple dessin accouché sur papier en noir et blanc.
Sa plume de scénariste n'est certes pas des plus subtiles mais la puissance de son crayonné à de quoi renverser de sa chaise. Dragon Ball fut - comme pour beaucoup de ma génération - ma première introduction au manga ; ce que je considérais plus jeune comme acquis se voulait en réalité exceptionnel, il faut avoir le recul des ans et des expériences manga pour en prendre la réelle mesure.


En accompagnement de ces dessins pourtant simples mais si élaborés en réalité, la mise en scène paraît s'agencer le plus naturellement du monde dans une harmonie sobre et splendide. Cependant, l'œil éprouvé d'un lecteur qui s'est usé les rétines avec le pire sait indubitablement reconnaître le meilleur par contraste. Que ce soit la disposition des poses prises par les personnages, l'alternance subite entre détente et intensité dans le récit, tout est retranscrit avec une acuité saisissante.
Nous contemplons là véritablement le travail d'un orfèvre qui s'ignore. Pour avoir lu Dr. Slump et copieusement méprisé l'agencement de ses planches, me voilà présentement ébahi au-delà de la surprise alors que j'entame cette relecture que je croyais pourtant dispensable.
Les années passées m'auront fait craindre que le dessin ait vieilli, mon regard critique constate stupéfait que, non seulement il n'a pas pris une ride mais a surtout une avance considérable sur les œuvres lui ayant succédé jusqu'à ce jour.


Rarement je me suis montré si prolixe quant à l'effet produit par le dessin d'un manga sur lequel j'ai pu me pencher, mais nécessité faisait loi.
Akira Toriyama, un homme que j'ai accablé sous les qualificatifs les plus pesants - néanmoins justifiés - lorsqu'il fut question de critiquer son précédent succès éditorial me prend ici de revers. Sans avoir à forcer qui plus est. Sa patte n'a pas tant changé de Dr. Slump aux débuts de Dragon Ball, mais l'organisation de ses planches et la force démentielle insufflée aux effets spectaculaires de son dessin paraît sortir de nulle part en comparaison.
Mais où ce garçon qui ne s'est lancé dans le manga que pour s'acheter des clopes avait-il caché tout ce talent ?


Puisqu'il est encore une fois question de parenté établie entre Dr. Slump et Dragon Ball, l'occasion est toute trouvée pour parler d'humour. Celui de la première partie du manga en tout cas. Il a mal vieilli. Incontestablement très au-dessus de ce dont il nous avait gratifié du temps d'Aralé, les gags potaches n'ont cependant pas de quoi faire - même vaguement - sourire l'adulte que je suis devenu. Ça fait le café quand on est jeune mais ça refroidit quand on vieillit. Sans déranger la lecture pour autant.
Au terme d'une longue période de vache maigre où il ne sera plus question de rire des dizaines de tomes durant, l'humour qu'on n'attendait plus se redécouvre et s'affine quand survient l'arc final après avoir été si longtemps maintenu sous le boisseau. Un humour qui, cette fois, n'a pas vieilli. Comment résister au bonbon le plus fort de l'univers, je vous le demande.


Si des années durant je m'étais interrogé quant à savoir qui de Toriyama ou de ses éditeurs avait joué le rôle le plus crucial dans la constitution de l'intrigue et des déboires houleux lui incombant, j'aurais eu ma réponse il y a quelques années. Que Akira Toriyama fut scénariste de Dragon Ball Battle of Gods - cette fois sans garde fou - m'enjoint à considérer qu'il ne sait pas écrire. Il aura en tout cas eu le bon goût de déverser sa bile sur ce qu'est Dragon Ball Super.


Le serpent de mer Dragon Ball aura - suite à la période Torishima - fait sa mue jusqu'à se laisser pousser des ailes. Depuis une bête histoire d'aventure librement inspirée d'un conte chinois, que de chemin parcouru. Se renouveler pour un Shônen, c'est ça la clé d'un succès mérité. Innover, certes, mais dans un cadre cohérent en lien avec ce qui constitua l'identité de l'œuvre jusqu'à lors.
Un équilibre savant et laborieux à mettre en place ; ce n'est pas pour rien que très peu d'auteurs s'y essaient, préférant tabler sur la facilité sans jamais prendre de risque.
Dragon Ball sera parvenu au terme de nombreuses mues - parfois conséquentes, en atteste la transition opérée par l'arrivée de Raditz - à s'éloigner de son propos de départ sans trop se trahir et en restant porteur de promesses réjouissantes. Le recours à l'ellipse enchantée qui permet de passer d'une période du récit à une autre sans que pour autant il n'y ait cassure n'aura pas réussi à tout le monde.
Plus inhabituel encore, rares sont les mangas - en particulier les Nekketsus - à se rattraper après s'être copieusement planté. La courbe, une fois descendante poursuit obstinément son chemin tout tracé jusqu'à s'écraser sans grâce contre l'axe des abscisses. Elle aura rebondi dessus cette fois après l'arc Cell ; tant et si bien que cela aura impulsé un renouveau des plus flamboyants et génial que j'ai pu constater.


De mue en mue, Dragon Ball aura parfois fait table rase du passé. Des renoncements de ce qu'il a été, il y en a eu ; la couleuvre aura perdu quelques écailles d'ici à ce qu'elle ne devienne dragon. Alors, adieu Lunch, Yajirobé et grand-père Gohan (pourtant cher au cœur du personnage principal qui ne le mentionnera plus jamais après leurs retrouvailles et à qui il ne rendra pas visite dans l'au-delà). L'auteur se soucie assez peu de ses personnages et renouvelle même le cheptel des alliés de Goku jusqu'à en expurger tout ceux qui furent ses compagnons des premiers instants.
Faites place petits terriens, les Saiyens arrivent. Le voilà le vrai grand remplacement !
N'oublions toutefois pas que l'un des seuls personnages à avoir été capable d'administrer une branlée conséquente à l'invincible Son Goku fut nul autre qu'un certain Yamcha. L'avenir ne le récompensera pas de cette offense. Pas de manière bénéfique en tout cas.


Passé la première quête des Dragon Balls, Toriyama s'engage vers cette voie des arts-martiaux qu'il répugnait à emprunter mais l'arpente avec bien plus d'aisance que la quasi totalité des auteurs de Nekketsu combat. Les personnages gagnent rapidement en force. Le lecteur l'ignore à ce stade, mais cette croissance sera exponentielle et apparemment sans seuil. Qu'on ne me fasse pas rire avec la prétendue force de Saitama ; sur la fin, Goku et Végéta devaient littéralement retenir leur force pour que leurs attaques ne détruisent pas la terre.


Dans le bain des arts martiaux vers lequel l'avait orienté Kazuhiko Torishima, Akira Toriyama, pusillanime, n'y trempa d'abord que le bout d'un orteil. Les entraînements sont là, les combats aussi, mais ils demeurent parsemés de bouffonneries et autres gaudrioles. Pour notre plus grand plaisir d'ailleurs.
Les attaques spéciales de Ki s'y inséreront subrepticement dans un premier temps. Puis, les combats passant, elles domineront de plus en plus le rythme de chaque confrontation au point de prendre totalement le dessus sur les potacheries martiales des débuts. La mue fut cette fois indolore.


Autre signe des temps qui changent : le génocide des animaux anthropomorphiques. Génocide induit dirons-nous.
L'univers de Dragon Ball se voulait d'abord une extension mieux construite de ce que fut celui de Dr. Slump ; Aralé et ses compagnons faisant d'ailleurs une apparition durant l'arc du Ruban Rouge. Le cadre de cet univers s'inscrivait dans un registre fantastique et loufoque ; les hommes aux apparences d'animaux n'étaient pas rares. Le président de la terre était d'ailleurs un homme-chien. Puis, passé Raditz, il ne s'en trouva plus un seul parmi les figurants du manga. Eux qui parsemaient les tribunes des tournois des arts-martiaux autrefois furent absent de sa vingt-huitième édition. Il faut croire que durant le séjour des protagonistes sur Namek, une épuration ethnique fut à l'ordre du jour en leur absence.
Cette disparition du fantastique dans le cadre - même effacé - du récit est un juste symbole de l'évolution de Dragon Ball (et non pas de Dragon Ball Évolution). En gagnant en maturité - accompagnant ainsi son lectorat d'alors qui passait de l'enfance à l'adolescence - le manga a opéré quelques renoncements de jeunesse. Ce qui faisait autrefois sa légèreté et sa fantaisie aura cédé le pas à la violence et la gravité. Dragon Ball grandissait en même temps que ses lecteurs, c'est encore le seul exemple du genre que j'ai pu répertorier de toutes mes lectures. Pour devenir ce qu'il est, le manga aura dû renoncer à ce qu'il fut. Avant que, dans un baroud d'honneur monumental, ce qui avait fait le succès des deux périodes de Dragon Ball ne fusionnent pour former l'arc Buu.


De Dr. Slump à Dragon Ball, c'est un Toriyama quasi méconnaissable que je retrouvais. Aussi, je fus enchanté de déceler par endroits ses défauts les plus coutumiers. Au fond, il n'avait pas totalement changé. Fainéant, va !
Fainéant au point de ne même plus détailler ses entraînements passé celui de Tortue Géniale, multipliant les ellipses de plusieurs années afin de les esquiver mollement. Cela, que ce fut entre le palais de Baba et le vingt-deuxième tournoi des arts martiaux, au palais de Dieu, chez Kaïo ou avant l'arc des cyborgs. Je retrouvais là le Toriyama flemmard mais roublard qui savait aménager son œuvre de sorte à fournir le moins d'efforts possible. Cette fois, pas au détriment du manga. C'est encore pour cette raison que je suis cette fois si complaisant en évoquant ce trait de caractère que personne d'un peu renseigné ne saurait lui nier.
Ses deux seules ellipses justifiées se situeront à deux points de rupture : avant l'arrivée de Raditz et après la désastreuse saga Cell.


Des entraînements éludés, peut-être, mais, qui au fond, valent mieux que des séquences sans originalité et traînant sur la durée. Le petit côté entraînement de prolétaire à la Rocky chez Tortue Géniale, le court enseignement de Karin ou l'entraînement gravitationnel ne surplombent pas l'intrigue et ne l'envahissent pas des chapitres durant. C'est rapidement expédié, ça reste en toile de fond, et finalement ça n'est pas plus mal. Du reste, l'eau de la vie bue par Goku avant d'affronter Piccolo senior demeure un prodigieux foutage de gueule narratif.


Le ton plus grave incombant à Dragon Ball n'attend pas l'arrivée de Raditz mais l'arc Piccolo senior qui, rétrospectivement, tient véritablement lieu de premier jet à ce que sera plus tard l'arc Freezer dans ses fondamentaux. Néanmoins, le réel passage à l'âge adulte de l'œuvre finira par poindre à la mort de Goku. Pour la première fois, le lecteur se retrouvera privé de celui-là même qui aura endigué toutes les menaces jusqu'à maintenant. Cela ne sera pas sans conséquence par la suite et contribuera indéniablement à faire bouillir la tension.
L'auteur ne s'y trompera pas et aura recours à l'astuce encore trois fois ; Goku sera alors absent la majeure partie de l'arc Namek, incapable de se battre avant le Cell Game et mort (encore) une partie de l'arc Buu. Certains auteurs de Nekketsu se reposant un peu trop sur leur personnage principal devraient en prendre de la graine.


Toriyama aura certes commis le forfait impardonnable d'oublier certains personnages sans même les mentionner par la suite, mais il aura en plus poussé le vice jusqu'à présenter des Kikohas qu'il ne ressortira plus jamais de son chapeau. On ne m'ôtera pas de l'idée que le Makkankôsappo et le Mafuba auraient été des plus salutaires en bien des circonstances...
L'homme ne développe que très rarement ses idées.


Se succéderont par la suite des arcs narratifs légendaires. La scénographie de l'arc des Saiyens posera les jalons de ce que Dragon Ball sera : un concentré de tension où les combats, bien que supposés simples et prévisibles, aboutiront constamment à la surprise au terme d'une intrigue qui ne se sera pas voulue linéaire. Combien de mangakas ont tenté de réadapter à leur sauce l'arrivée de Nappa et Végéta ? Des antagonistes surpuissants contre lesquels les personnages principaux n'auront pas la moindre chance. Même les coups de colère sporadiques de Gohan n'y feront rien. Le pouvoir de l'amitié, la force du désespoir, ça ne vaut rien quand Nappa est de la partie. Les combats sont longs, il est davantage question de survivre que de vaincre et la crainte de voir les protagonistes échouer reste solidement ancrée dans notre esprit. Par cent fois d'ici à ce que Goku n'arrive, j'ai douté de leur survie.
Des morts à foison, l'impossibilité de les ramener à la vie et un antagoniste redoutable qui, au terme d'un combat dantesque, se fait la malle en promettant de revenir. La situation paraît désespérée ; elle l'est en réalité plus encore qu'on ne peut le croire.


L'enchaînement naturel avec l'arc Namek nous ouvre sur l'univers. Les problématiques de l'insignifiante planète Terre sont d'un ordre subalterne quand Freezer se révèle. L'atmosphère est pesante et, le plus insidieusement du monde, Toriyama nous réintroduit la quête des Dragon Ball, la recette se voulant cette fois remaniée dans un cadre plus dense et mature. Se renouveler sans jamais trahir ce que l'on était : nous en avons là le plus insigne exemple.
Les forces en présence sont si démentielles que jamais Gohan et Krillin ne peuvent espérer remporter une bataille par la force. Ils tirent modestement leur épingle du jeu au milieu d'une lutte entre trois clans dont le seul principe épaissit le cuir scénaristique d'une l'intrigue dont les aboutissements s'avèrent plus imprévisibles encore.
Se renouveler encore, se renouveler toujours ; Akira Toriyama renoue un court temps avec l'humour alors qu'intervient le commando Ginue. Un humour lui aussi remanié en un ricanement de hyènes au milieu des charniers. Recoom a - à ce titre - tout pour faire rire mais rien pour nous rassurer. Même l'arrivée de Goku ne se voudra pas aussi providentielle qu'espérée puisqu'aussitôt laissé en retrait après le combat contre Ginue. Sans que cela ne paraisse artificiel, l'auteur aura mis son protagoniste principal de côté à deux reprises au cours de la même épopée. Le procédé est si allusif et efficace qu'il tient du génie narratif.
Le combat final sera autant une épreuve d'endurance pour les protagonistes que les lecteurs. On reste maintenu en haleine même en en connaissant le dénouement. Toriyama a un talent fou pour mettre la pression à son lectorat, il a cette habileté au niveau de son orchestration de la mise en scène mais semble pourtant ne pas en avoir conscience. Un génie qui s'ignore. Vraiment.


Un génie qui rencontrera toutefois ses limites. Lui qui adore tout ce qui est machines et robots - souhaitant initialement dessiner sur ce sujet - concrétisera en partie sa vocation avec l'arc des cyborgs.
La fantaisie a pris du plomb dans l'aile depuis quelques tomes, j'en conviens, mais s'en remettre à la fibre scientifique tue davantage le mythe d'une œuvre demeurée encore jusqu'à lors particulièrement éthérée et un rien magique. C'est encore pour cette raison que l'introduction de Buu me paraîtra plus tard incontestablement plus justifiée que ces lubies de savant-fou.
Signe des temps - et pas des bons - le jeunisme branché fait son entrée. C-17 et C-18 ont tout de ces personnages jeunes, beaux et classes dont on était demandeur à l'époque (et encore aujourd'hui). Or, Dragon Ball, ce n'est clairement pas ça. Les deux personnages ne me paraissent pas à leur place, ils dénotent avec l'univers et c'est encore pour cette raison que je fus réjouis lorsque Cell les dévora goulûment.
De tous les antagonistes de la saga cyborg, seul C-16 m'aura paru à sa place ; son innocence n'étant pas sans rappeler celle de son prédécesseur C-8. Le seul, car Cell non plus n'irradia pas l'assistance de son charisme ; ses motivations pour le moins vaporeuses ne contribueront pas non plus à la rendre plus crédible. Freezer veut poursuivre sa domination de l'univers, Buu est une créature s'en remettant à ses pulsions seules mais au milieu, Cell ne sait pas quoi faire. Son tournoi - qui n'en sera au final pas un - ne se présentera pas cette fois comme un renouveau de Dragon Ball mais plutôt comme une lamentable tentative de tabler sur ce qui avait autrefois suscité l'intérêt du lecteur. Cell s'emmerde, ça me paraît encore être sa seule motivation puisqu'il a même échappé à la programmation génétique de Gero.
L**'arc est d'autant plus douloureux qu'il signe la fin de l'implication des personnages secondaires - autrefois alliés privilégiés de Goku - dans l'intrigue**. Ten Shin Han viendra faire risette le temps d'un Kikoho, le reste attendra patiemment sur le banc de touche d'ici à ce que l'œuvre ne s'achève.


La saga cyborg est celle d'un arc en perdition. Toriyama était éreinté aux lendemains de l'arc Freezer et ne savait plus quoi offrir ; il avait tout donné. Mais aussitôt après, on lui remit le pied à l'étrier. Le galop fut alors chaotique. La descente se faisait alors en piquet pour que l'ascension finale permise par l'arc Buu ne paraisse que plus fulgurante en comparaison. Elle le fut.
Au milieu de la déchéance, une farce temporelle qui, heureusement, n'aura pas été poussée trop loin. De grâce, ne demandez pas au scénariste de Dr. Slump de nous rejouer Steins;Gate. L'homme a un talent indéniable pour la mise en scène mais il est de bon ton d'éviter de titiller sa fibre scénaristique.
La machine à remonter dans le temps n'aura au final introduit aucun concept mais eu pour seule utilité d'introduire Trunks, cette autre figure de «d'jeuns cool» qui tient plus ici de la mascotte qu'autre chose. Heureusement, ce jeunisme pour ado ne rempilera pas pour le bouquet final. Une mauvaise passe, rien de plus.


L'arc Cell aura traîné bien trop pour ce qu'il avait à nous dire ; à savoir pas grand chose. Il aura eu le mérite de nous présenter Mr. Satan et de mettre Gohan sur le devant de la scène. Passer la main à un autre protagoniste principal est plutôt audacieux et porteur d'espérances. Ça reste en famille cela dit avec la portée que l'on sait.


Une phrase aura au final résumé l'arc Cell, les propos seront tenus par Ten Shin Han suite à la défaite cuisante face à C-18 : «J'oubliais qu'il était le terrible démon Piccolo». La remarque est lâchée comme un soupir de l'auteur à travers les lèvres de son personnage qui, un rien blasé, constate le changement absolu du manga dans lequel il se trouve. Dragon Ball avait radicalement évolué durant la saga Freezer mais certainement pas oublié d'où il venait. On se pique alors d'un début de nostalgie d'autant plus intense que ce que nous propose cette nouvelle époque s'appauvrit considérablement sur le plan de la trame.
L'arc Cell est allé jusqu'aux limites permises par la maturité de sa nouvelle atmosphère et les aura outrepassées ce qu'il faut pour dégénérer. Son envol, l'œuvre la prendra ensuite en direction de strates nouvelles à la recherche d'un nouveau souffle, étouffée qu'elle fut durant cette aparté déplorable.


Après la pluie vient le beau temps. La consécration s'opère enfin : l'arc Buu. Ce nouveau récit aboutit à la synthèse improbable et réussie des deux périodes qu'aura connu Dragon Ball. Des récurrences avec l'intrigue du début d'abord, avec Baba ramenant Goku pour une journée comme elle l'avait fait pour son grand-père, le retour du championnat des arts martiaux et l'enthousiasme du commentateur traduisant - je le crois - une remarque méta quand il annonce à Son Goku qu'il est heureux de le revoir.
De retour aussi : l'humour. Les frasques de Buu et Satan, le vieux Kaïo Shin, les gaffes de Gotenks, le bonbon le plus puissant de l'univers... on est loin des grivoiseries des premiers jours mais on ne saurait être plus proche du Dragon Ball des débuts. Même Végéta est occasionnellement ridiculisé, comme pénétré par l'atmosphère de cette première période qu'il n'a pas connue.
Du renouveau d'abord et de la novation ensuite. Les thématiques émouvantes et l'évolution de la psyché d'un personnage n'avaient jamais été à l'ordre du jour jusqu'à lors. Les errements tragiques d'un Végéta aux abois auront considérablement construit son personnage. Qu'un protagoniste si fier au point de s'abandonner à Badidi pour espérer vaincre son rival fasse preuve d'autant d'humilité en reconnaissant finalement la dure réalité - sa faiblesse comparée à Goku et qu'il s'est laissé apprivoisé par ce monde qu'il méprisait autrefois - est tout bonnement admirable. C'était beau. Son monologue introspectif est un cas d'école dans la construction de personnage Shônen. Je ne l'aurais jamais suspecté de la part d'un manga si léger dans le traitement de ses personnages. Personnages qui, au final, bien que sympathiques et correctement distincts les uns des autres dans leur caractère, demeurent résolument unidimensionnels.


La surpuissance des personnages - sans être un frein aux combats toujours spectaculaires et aussi palpitants - se veut presque un sujet de blague par moments tout en maintenant en place une menace crédible et critique. Toriyama savait qu'il ne pourrait pas aller plus loin dans la démesure au risque de se compromettre (ce que firent brillamment ceux qui exploitèrent la licence par la suite) et donna tout dans cette saga mémorable et pourtant mésestimée des lecteurs. Il aura beau faire dans la surenchère d'arc en arc : sa mise en scène est si brillante qu'on se laisse prendre au jeu comme aux premiers jours.


Mr. Satan sauvant le monde, c'est au final la revanche de la première période de Dragon Ball sur la seconde. Elle s'est rappelée à l'auteur suite aux déceptions de l'arc Cell afin de lui remémorer ce qui avait érigé les bases du succès à ses débuts. Toriyama aura mêlé avec brio légèreté et tension pour nous faire alterner entre l'hilarité et la crise cardiaque. Je n'insisterai jamais assez : c'est un génie créatif dès lors où il s'atèle à l'agencement de ses planches.


Je n'aurai au final qu'à reprocher à cet arc d'avoir tenté de rationaliser le Ki lorsque Gohan apprit à Videl comment voler. Le Ki était accepté par les lecteurs précisément parce qu'il n'était pas expliqué. C'était un état de fait délibérément nébuleux. L'expliquer, c'est tuer son principe. Dans la jargon, pareille bévue s'intitule l'introduction des midi-chloriens.
Ça n'aura eu au final ici eu aucune incidence. Reste toutefois que cela aurait pu être évité.
Autre remarque, si le Ki et de C-17 et C-18 est infini, il aurait suffi à alimenter le Genki Dama de Goku pour terrasser Buu. Là encore, rien de dommageable. On ne lit de toute manière pas Dragon Ball pour son rapport à la logique.


Ça se conclut sur une ouverture tout ce qu'il y a de plus classique : ça n'aurait pas dû. Non pas que le procédé soit honteux - en aucune manière - mais l'avenir aura démontré que prêter le flanc à une suite éventuelle aura donné des idées à certains de la TOEI. De mauvaises idées qui, non content de faire un four à chaque diffusion, persévèrent dans l'erreur encore jusqu'à ce jour.


Dragon Ball ? C'est quarante-deux tomes. C'est ça, et ce n'est rien d'autre. Il ne viendrait à l'idée de personne de rajouter ici et là quelques lignes au répertoire de la littérature classique en Europe des années après leur publication. On ne touche pas aux créations culturelles. Surtout pas quand elles ont marqué leur époque d'une latitude à l'autre du globe. Dragon Ball et plus particulièrement ses suites sont la preuve par quatre que le détenteur légal d'une œuvre se doit d'en être son auteur avant toute autre personne.
Que la Shueisha n'ait pas terni la légende Dragon Ball en autorisant pourtant les premiers attardés venus à l'exploiter jusqu'aux pires outrances démontre à quel point le manga est ancré dans le marbre et immaculé.
J'ai pris l'habitude d'écorcher des mangas cultes au détour de mes critiques, mais jamais je n'ai poussé la démarche iconoclaste jusqu'aux confins de l'ignominie atteints par la TOEI. Si ceux-là voulaient faire honneur à l'œuvre, ils s'abstiendraient d'y toucher.
Dragon Ball : c'est quarante-deux volumes. En mentionner un de plus, c'est en mentionner un de trop.


PS : Pour en revenir brièvement à Bakuman, évoqué plus tôt dans cette critique, Toriyama me rappelle immanquablement le personnage de Kazuya Hiramaru, un fainéant qui se lança dans le manga pour l'argent sans en apprécier particulièrement le genre mais dont le potentiel indéniable lui garantissait ses succès éditoriaux.

Josselin-B
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le 7 mai 2020

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Josselin Bigaut

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NeeKoh
9

De père en fils.

Akira Toriyama s'approprie le mythe chinois du Roi Singe Son Gokū pour créer sa nouvelle saga. Nous sommes en 1984, son manga Dr. Slump touche à sa fin après 5 ans de délires en tous genres, Toriyama...

le 31 juil. 2013

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9

Dragon Ball
guru
9

Qui n'a jamais tenté de faire un kaméhaméha dans son lit ?

Absolument impossible d'être objectif devant ce qui représente, pour beaucoup de gens de ma génération, un souvenir de jeunesse inaltérable. Dragonball ce n'est pas seulement un manga et des animes à...

Par

le 25 mai 2011

36 j'aime

Dragon Ball
Josselin-B
8

Quand la couleuvre indolente fait sa mue

Dans les coulisses de l'Histoire, les grands hommes restent dans l'ombre, voués à l'oubli et l'ingratitude d'une masse qui leur doit tout ou presque. Dragon Ball a fait l'histoire. Cheval de Troyes...

le 7 mai 2020

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Josselin-B
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Éructations fanatiques

Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je...

le 20 juil. 2020

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Josselin-B
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L'arnaque des gitans

Ça nous a sauté à la gueule un jour de printemps 2013. Il y a sept ans de ça déjà (et même plus puisque les années continuent de s'écouler implacablement). Du bruit, ça en a fait. Plein, même. Je...

le 8 avr. 2020

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Josselin-B
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Bien sûr que j'ai tout compris

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le 20 juil. 2022

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