Mon ami Pierrot
7.3
Mon ami Pierrot

Roman graphique de Jim Bishop (2022)

La Virtuosité de la vie de tous les jours

Parler des violences psychologiques que subissent les femmes dans une histoire fantasy-onirique, on peut déjà saluer l'originalité.

Il faut dire que le genre de la fantasy est tellement purulent d'une imagerie ampoulée et pleine d'une sorte d'idéalisme, de sensationnalisme des choses (pas forcément dans le sens joyeux et positif on s'entend), que du coup ça fait du bien de voir des personnages si réalistes, si matériels, si intimes.

L'excuse de la fiction pour parler de problématiques actuelles, on a plutôt l'habitude de voir ça dans la SF et donc voir ça dans un autre cadre c'est cool, ça permet d'explorer une autre esthétique.

On y retrouve tout de même la grâce de l'onirisme fantasmagorique, avec un jeu permanent de la mise en scène, que ça soit dans la composition des images, comme dans le découpage des cases. C'est inventif, c'est une BD qui danse, qui virevolte, qui nous fait ressentir son rythme, avec de la joie, de l'horreur et des transitions parfois violentes entre les deux.

C'est un monde un peu magique mais aussi un peu faux. Et on retrouve cette opposition aux univers fantasy clichés : bien qu'au premier abord on pourrait croire à une illusion d'une histoire d'aventure et de romantisme, l'histoire nous ramène très vite sur du terre à terre, des situations concrètes. Les personnages exploreront alors cette thématique du vrai et du faux et de l'impact sur leur vie et leurs sentiments. Il y a l'héroïne qui se berce d'illustions et ne voit pas la monstruosité qu'elle a en face d'elle, quand à l'opposé, celui qui part à sa recherche est obnubilé par l'idée que des choses sont laides et ne voit pas la beauté qu'il a sous les yeux.

Les personnages sont archétypaux et c'est ce qui fait un peu la force et la faiblesse de la BD. Faiblesse car certaines situations deviennent un peu téléphonées et les personnages sont vraiment mono-centrés.

Mais aussi force car c'est paradoxalement des archétypes qu'on ne voit que rarement. En fait, on les voit rarement en fiction, c'est plutôt des archétypes de la vie de tous les jours, des genres de catégories sociologiques. Il y a le pervers narcissique, la ptite meuf qui se laisse manipuler, le nice guy un peu incel sur les bords, l'écolo qui essaye de faire comprendre des trucs politiques à l'incel etc. etc.

C'est chouette de voir des choses si tangibles et ça nous rapelle qu'on aimerait voir plus souvent des éléments aussi concrets et universels, bien plus que les idées stéréotypées et abstraites des fictions mainstream débiles.

C'est chouette aussi de voir ça sous le prisme d'un regard féminin : pour une fois c'est les hommes qui sont des manipulateurs toxiques et non des femmes fatales à la con, ce qui semble être quand même bien plus proche de la réalité. Cependant la relation entre l'héroïne et Pierrot est vraiment trop rapide par moment, on se demande comment elle peut tomber aussi vite amoureuse d'un mec qui est si rapidement craignos. Là dessus la BD "Tant pis pour l'Amour" arrivait mieux à montrer cette subtilité avec laquelle on peut s'attacher à une personne nocive.

Dernier bémol : ça manque de subtilité, en particulier dans les références (sérieux, le chat s'appelle Shrödinger et la fée qui chante Solasi ... ). On a un peu l'impression d'être pris pour un débile dans ses moments là ("oui alors le tarot divinatoire c'est un truc pour prédire l'avenir" sans déconner ?) et il y a quelques deus ex machina et autres excuses de scénarios pas très élégantes. Ca créé une irrégularité entre des planches virtuoses et d'autres carrément bourrines. Exemple : il y a un moment où Pierrot fait quitter la dimension de la réalité à l'héroïne et c'est représenté par une double planche incroyable où les cases se distordent et où les personnages sortent et rentrent dans certaines cases. Super idée de jouer sur ça ... sauf que Pierrot ne peut s'empêcher de dire : "regarde on sort des cases" puis "ohlala t'as pas l'impression que quelqu'un nous regarde en permanence ?". Ca casses tout le truc je trouve.

L'auteur a également eu le mauvais goût de reprendre 2-3 stéréotypes nuls de manga ou d'anime qui semblent n'avoir rien à faire là au milieu d'une direction artistique si soignée (le truc des yeux qui divergent et faire un rire de débile pour montrer que le personnage sombre dans la folie par exemple c'est vraiment 0 subtilité et ça fait tâche à côté d'autres planches incroyables de créativité)

Bref, malgré ces points sombres, ça reste globalement une BD bien au-dessus du lot et qui a sa personnalité à elle.

LePionfesseur
8
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le 29 août 2023

Critique lue 44 fois

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