C'est audacieux, de vouloir rendre hommage à un monument tel que "La Ferme des Animaux". C'est même très risqué: il n'en faut pas grand-chose pour souiller le génie originel. Le Château des Animaux s'en tire relativement bien, mais jamais n'effleurera ce qui avait fait l'intérêt du roman d'Orwell.

Dans un château dominé par un taureau dictateur et sa milice de chiens, les animaux triment avec la faim au ventre. Une drôle d'alliance se fait entre notre héroïne la chatte Miss Bengalore, César le lapin prostitué, et un rat philosophe. Leur plan: affaiblir le pouvoir en place par l'humour. C'est osé, même loufoque. Parfois les auteurs s'en sortent avec brio, parfois... beaucoup moins.

C'est plutôt blanc et noir. Le président Silvio est égoïste et hypocrite, son seul intérêt semble être d'assurer son confort au mépris de celui de ses citoyens, et ce ne sont pas deux pages pour expliquer son triste passé qui vont changer les choses. J'admets aux auteurs que les réels rois n'ont pas fait grand-chose de plus. C'est le chien Numéro 2 qui apportera de la nuance, en regrettant les ordres qui lui intiment de mordre mais en continuant ses actions malgré tout. Il sera l'exception: Numéro 1 est stupide, et on dirait qu'il veut saboter volontairement le pouvoir qu'il incarne en cherchant le moindre prétexte pour coller les innocents au poteau de justice.

Quant aux citoyens animaux... là, j'ai senti quelque chose d'intéressant. Leur réaction à l'oppression sera la colère et la violence une fois que le grenier central ne pourra plus les nourrir. L'ordre était maintenu malgré le mécontentement tant que chacun avait sa gamelle pleine, et tout explosera quand ce ne sera plus le cas. Les animaux seront prêts à tuer par vengeance gratuite, comme en témoigne leur poursuite du coq. Le tout sera réprimé dans le sang, et les idéaux d'égalité remballés face aux cadavres.

D'où le choix de notre chatte de faire une révolte autrement: ridiculiser la force du taureau pour le décrédibiliser et... faire cesser la peur. Son audace a su me faire rire, moi aussi: les dessins de marguerites ont du sens, et le désarroi des chiens se ressent. J'ai adoré la petite pièce de César déguisé en Silvio. Au fur et à mesure des tomes, ça deviendra plus concret. Ce n'est qu'à partir du tome 2 que les animaux chercheront un vrai changement de situation, à travers leur demande du bois gratuit. Rien ne se fait d'un coup, on distingue les étapes dans la mentalité des citoyens, on sait pourquoi ils agissent et ils le font de manière intelligente. Les victoires ne se feront pas sans sacrifices, Bernadette peut en témoigner.

La naïveté sera rarement au rendez-vous. Parfois, mais je ne vais pas cracher sur l'ensemble à cause de quelques écarts. Miss B souffrira de sa lutte. Je trouve pertinente sa discussion avec César dans le donjon: "À quoi ça sert d'être libre si on est orphelin et affamé?" dira-t-il, ce à quoi elle n'aura pas de réponse.

C'était trop beau pour durer. Les citations de Vieux-Gris dans le grenier m'avaient déjà fait grincer des dents, il fallait que Miss B s'y mette aussi. Se prenant pour Gandhi, elle se met à déblatérer "Nous ne donnerons pas de coups: nous en recevrons" ou "sans violence"... La réponse à cette dernière citation est d'ailleurs extrêmement maladroite: les animaux s'offusquent, affirmant qu'ils ne peuvent gagner sans attaquer. La mise en scène veut présenter Miss B comme la voix de la raison qui leur prouve le contraire, toujours dans cette idée de faire d'elle un genre de gourou qui ne cède jamais aux basses pulsions de la vengeance. D'ailleurs, pour une chatte présentée timide, elle a beaucoup d'assurance lors de sa rencontre avec Silvio ou lorsqu'elle enlève son collier face aux chiens...

J'ai eu de l'espoir à la fin du tome 2: les victimes montrent leur vraie nature et leur colère - justifiée. Pour que tout retombe au début du 3, quand ils... s'excusent? D'avoir tué le tyran qui les mordait et les affamait? Non, juste... non.

Néanmoins, dans le principe, Miss B n'a pas tort: l'oppresseur est beaucoup plus fort qu'eux. Ce n'est pas par la force physique qu'ils vaincront. C'est par un long cheminement pour pousser les animaux à faire front uni pour contraindre un changement: la transition ne s'est pas faite en quelques pages, et j'en remercie les auteurs. De plus, son image trouvera ses limites quand elle sera incapable de protéger les animaux après l'incendie de la grange, et qu'elle approuvera l'idée de voler du bois pour se réchauffer. Un choix que tous regretteront.

Ce tome 3 a en partie abandonné son soin au développement de chaque scène, racontant pratiquement une histoire différente d'une page à l'autre. Comme Miss B qui se retrouve dans le ravin avec la milice qui croit l'avoir coincée, en deux pages laissées ici rapidement. Ou leur réflexion pour empêcher le troc-échange, qui demeurera sans suites. C'est à la fin qu'on retrouvera une bonne narration, lorsque les animaux exigeront un vote. Je me demande d'ailleurs comme celui-ci va se dérouler dans le tome 4: j'en attends la sortie avec enthousiasme, et aussi une pointe de crainte. J'aimerais mieux éviter une fin mielleuse du genre dont notre héroïne rêve.

Le dessin mérite une mention: il variera d'un tome à l'autre, mais demeurera admirable, très détaillé et parvient à rendre les animaux expressifs. Il sait être violent quand il le faut: l'oie Marguerite empalée demeure inoubliable.

Les auteurs font différents clins d’œils à La Ferme des Animaux: le président du flash-back dans le début du tome 3 porte un chapeau de Napoléon; Miss B dit qu'avant Silvio, les porcs étaient ceux qui dominaient le château; "Par Napoléon!" s'exclame le milicien à la poursuite de la chatte et ses petits lors de l'accident du grenier central.


Malgré ses maladresses, Le Château des Animaux demeure une bonne œuvre qui vaut le coup. Cette fable sait où elle va, et ce n'est pas quelques mauvais détours qui vont enlever la qualité globale. À ne pas mettre entre toutes les pattes: César est un chaud lapin, et quelques tripes font leur apparition quand les chiens mordent.

Alioth6
6
Écrit par

Créée

le 27 janv. 2024

Critique lue 9 fois

Alioth6

Écrit par

Critique lue 9 fois

D'autres avis sur Miss Bengalore - Le Château des animaux, tome 1

Miss Bengalore - Le Château des animaux, tome 1
Eric17
10

Pour les adeptes de révolutionnaires à poil et à plume...

Le château des animaux m’a tout d’abord attiré l’œil par la splendeur de sa couverture. Ce taureau impressionnant tapi dans l’ombre dans un lit à baldaquin m’a immédiatement intrigué. Quand j’ai...

le 3 nov. 2019

8 j'aime

4

Du même critique

Naruto
Alioth6
3

Quand ça veut pas...

J'ai, quelquefois, la sensation de ne pas avoir su apprécier ce manga à sa juste valeur. Certaines qualités y sont présentes, mais j'ai trop dû chercher pour les apprécier. Maintes fois ses...

le 20 janv. 2024

3 j'aime

My Hero Academia
Alioth6
1

N'avoir honte de rien

Quand un auteur se lance le défi d'atteindre le sommet de la médiocrité, je suppose que ça donne... ça. Qu'est ce "ça"? Un condensé des pires clichés, des pires idées, qu'il m'ait été donné de...

le 10 janv. 2024

3 j'aime

5