Cette critique est en vérité un coup de gueule à l'encontre de cette tendance qui vise à inclure les valeurs modernes dans des séries aux contextes qui ne les y prédisposent pas. Lucky Luke a toujours été le défenseur de la veuve et de l'orphelin; le sauveteur des opprimés; ça, c'est un fait. Mais le voir s'ériger en défenseur des droits de l'homme, s'opposer à des blancs abominables pour protéger les pauvres esclaves qui sont tous bien évidemment des victimes soumises... ça sonne comme un chien dans un jeu de quilles.


Que l'esclavage est abominable n'est pas un secret. Je n'ai pas eu besoin de lire Lucky Luke pour le comprendre. Mais soyons clairs: ce qui nous est montré n'est pas de l'esclavage. C'en est une version exagérée, mensongère, où tout est noir et blanc - sans mauvais jeu de mot. La nuance, la finesse, ne seront pas au rendez-vous.

Autrefois, les ennemis auxquels notre héros était confronté étaient tout compte fait attachants: ils n'étaient pas écrits pour être détestés, bien au contraire. Les Daltons, le juge Roy Bean, entre tant d'autres, sont bien plus bêtes qu'ils ne sont méchants. Ils tempêtent, sortent le revolver à tout-va, sont bien souvent égoïstes; mais par le rire, toute antipathie est désamorcée, et on ne peut que les aimer. Ils ne sont pas sérieux et ne veulent pas l'être. Cette tradition sera brisée, car ici, les méchants sont racistes. Impossible de leur pardonner. Impossible de les présenter sympathiques. On pardonne à Roy Bean d'être une canaille qui envoie à la pendaison au moindre prétexte; mais pour le refus de l'égalité des couleurs, on ne fera pas la moindre concession. Pour tout dire, ils étaient si caricaturaux que je n'ai pas cru à l'existence réelle du Klu-Klux-Klan, dont je n'apprendrai la réalité que plus tard.


J'ai conscience que c'est pour des enfants. J'ai conscience que l'auteur ne souhaitait pas aborder tous les débats liés à l'esclavage, ô combien complexes. J'ai conscience que dans le fond, l'intention est bonne. C'est bien le problème. Ce livre est né d'une intention militante destinée à "sensibiliser" un jeune public. Le ressenti final n'est pas que j'ai lu une histoire, mais un slogan.

Je ne peux m'empêcher de comparer à Calamity Janes. Je soupçonne que si ce tome était sorti aujourd'hui, notre héros aurait eu quelques citations bien féministes pour contredire d'immanquables branques qui auraient ricané en voyant Calamity porter le revolver.


Laissons de côté ces médisances, et jugeons ce que la BD a à offrir en-dehors de la pub wokiste - c'est-à-dire pas grand-chose. Lucky Luke, héritier d'une propriété de coton en Louisianne, se rend sur les lieux, pour y découvrir de drôles de voisins très satisfaits de leur peau blanche, et des esclaves terrorisés. Les immanquables Daltons se joignent à la fête, et ça se termine en bûcher. Le scénario n'est pas fameux, y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, mais j'aurais pu passer outre si le peu qu'on a était bien fait. Ce qui n'est pas le cas. Nous faisons la rencontre des protagonistes, chaque scène étant à l'évidence écrite pour mener à l'autre, d'une façon fort peu naturelle. Les Daltons qui apprennent que Lucky Luke est héritier puis s'évadent, pour finir en prison... "Ça s'est toujours passé comme ça!" m'objectera-t-on. Oui, et je le pardonnais car le résultat final était hilarant, et chaque tome réussissait à se renouveler à sa manière. Ici, je crois bien que des planches des tomes précédents ont été décalquées. Pas même un peu d'originalité pour l'honneur; pas même un essai.


Un peu d'humour vient sauver le tableau. Le "De quelle couleur le cheval?" est approprié, et m'a fait rire - un rire surpris, sincère, comme je ne pensais pas en avoir au cours de ma lecture. Les Daltons n'auraient pas fait cette intervention finale totalement décalée, que j'aurais probablement mis 1/10.


Je voulais me détendre comme je le faisais autrefois devant Les Rivaux de Painful Gulch ou Le Juge. Au lieu d'une BD farcie d'humour sincère, de situations improbables, de personnages attachants, on m'a brandi sous le nez un tract sur lequel il est écrit en grosses lettres rouges "Le racisme, c'est mal!". J'ai vu avec tristesse les Schtroumpf se tâter au féminisme avec la Grande Schtroumpfette, à présent c'est mon pauvre cowboy solitaire qui est politisé. Quelle est la prochaine étape? Astérix va-t-il brandir une pancarte multicolore?

Alioth6
2
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Créée

le 4 avr. 2024

Modifiée

le 13 avr. 2024

Critique lue 40 fois

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