Max Winson, intégrale
8.3
Max Winson, intégrale

BD franco-belge de Jérémie Moreau (2016)

Max Winson est une très bonne dystopie autour du succès qui tourne à l'utopie dans un second temps.


Le dessin hyper géométrique avec plein de lignes brisées, cette manière de dessiner des esquisses aux contours rapides et peu marqués, et les niveaux de gris bien maniés rendent l’œuvre prenante et plus intéressante qu'une œuvre au dessin plus scolaire. Après avoir vu la couverture de cet intégrale épatante dans sa composition comme dans ses surbrillances, on aimerait presque que l'ouvrage soit en couleur.


L'omniprésence des étoiles en contradiction avec la rondeur qu'on attendrait des balles de tennis, qui n'ont plus rien de sphères ici, crée l'atmosphère adéquate pour nous plonger au fur et à mesure dans la vie de Max et dans le culte de sa personnalité. Au début, Max a tout du jeune héros grec, exceptionnellement grand de taille, pur et imberbe né pour briller (<- référence à l'étoile).


Pourtant, après une vie à réaliser les envies d'un père insensible et megalo qui vit à travers lui, il déprime et perd le goût du tennis en même temps que son père voit sa santé décliner. Entouré d'un majordome passif et d'une manager obsédée par le profit, jusqu'à la caricature, et toujours représentée en T avec un angle droit hyper marqué (vision plutôt hilarante), rien d'étonnant. Si on ajoute à ça qu'il est plutôt introverti et qu'on le force à mener trop de tâches de front ; radio, télé, séances photos...; des choses qui ne lui procurent rien, l'épuisent et vont exalter sa quête de sens, on comprend bien sa remise en question.


Le monde entier souhaite en faire un dieu, un Achille sans talon comme dit un supporter, et c'est l'intervention de Pia, une journaliste, qui va bousculer ses valeurs. Au début, la journaliste reproche son indifférence à Max, fait des leçons de morale, ne comprend rien à la compétition, et l'encourage à laisser les autres gagner pour sauver leur estime de soi et parfois leur vie. Elle revient par pur intérêt chez Max Wilson et comprend alors la complexité des impondérables moraux de Max. Elle qui se faisait porte-parole des sportifs que Max avait vaincus et qui disait haïr le sport, commence sa propre remise en question et met son éthique en veille, sans pour autant arrêter de bousculer Max.


En plus d'une critique acerbe du culte de la personnalité, Moreau s'attaque très bien à la publicité. Les entraîneurs qui défilent avec leurs slogans qui disent tous la même chose à quelques mots près ; Moreau caricature sans tomber dans le cliché et c'est agréable. Le concept de contre pub, la neutralité de Max qu'on paye plus cher que la pub elle-même, c'est vraiment hyper bien joué. Ça fait penser à la création d'événements comme le No Logo festival, qui se targue de ne pas vouloir renvoyer d'identité visuelle et qui souhaite seulement l'adhésion des festivaliers à un événement "indépendant". L'absence de représentation visuelle est une identité visuelle en elle-même et Moreau arrive à faire ressortir ce paradoxe.


Au milieu du ridicule de la pub, Max doit choisir un nouvel entraîneur et se replie sur Andy, pour la nouveauté, la magie et donc la liberté qu'il semble pouvoir lui apporter. Charismatique, l'entraîneur fascine Max qui veut s'émanciper et intrigue le lecteur. Voir un gars qui se prend pour un visionnaire du sport, qui extrapole les statistiques du hasard mais n'a aucune logique fait pressentir le pire. Andy ne semble pas comprendre que les méthodes et les systèmes d'entraînement les plus utilisés dans le sport sont mis au point et perfectionnés sans arrêt, qu'un vrai visionnaire rajoute une plus-value au meilleur des systèmes existants et ne cherche pas à réinventer ce qui existe déjà. Il est le portrait de l'incompétence même qui se cache sous un visage de savoir.


Max sait qu'il est entre les mains d'un professeur fou et que son entraînement ne donnera peut-être rien, pourtant son esprit critique se noie en pensant qu'il y a réellement une logique où il n'y en a pas. Il est grisé par la découverte et perd son bon sens autour d'un entraîneur paranoïaque alors même qu'il commence à le retrouver face à un père maltraitant. Un mal pour un mal.


Le lien entre culte de la personnalité et parasocial est vraiment génial. Les gens deviennent dépendants de Max pour réussir au travail et innover, comme dépendants d'un shoot de drogue. Ce parasocial élevé augmente la superstition des gens qui regardent les matchs de Max Winson. Ils échouent sous prétexte que Max échoue ou pensent avoir un pouvoir télépathique sur son jeu. En plus de cela, les dérives comportementales sont grandes, certains pensent que le respect est dû à la réussite et ne doit être témoigné qu'aux gens qui réussissent. Ils s'empêchent eux-mêmes de réussir avec cette mentalité de l'autruche.


Ce parasocial a même un impact sur l'état puisque des dictatures comme le Vincera (mélange entre la Russie et la Corée du Nord entre dopage, sérieux culte de la personnalité, interdiction de penser et d'échouer), veulent à tout prix faire grimper leur soft power à travers leurs champions sportifs pour prendre plus de pouvoir dans le monde. Un impact, aussi, sur la manière d'aborder la science, qui mène à l'eugénisme pour l'accès en école de tennis.


Après un plongeon dans la dystopie tout au long du premier tome, le deuxième tome se consacre au changement et à l'établissement d'une utopie. Pia revoit son éthique et sa carrière professionnelle change de trajectoire et Max va tenter d'aborder le tennis différemment, guidé par des crises d'angoisse et des cauchemars. Tous ces artistes et sportifs qui se suicident à cause du succès, de la gloire, notre humanité nous dit que s'ils avaient pu être heureux sans leurs accomplissements, on aurait préféré qu'ils le soient et qu'ils nous privent de leurs créations ou de leurs victoires pour s'occuper de leur bonheur. Max le comprend et s'occupe un peu de sa vie, pour une fois, grâce à un vendeur de télé et un ancien tennisman qui vont lui faire voir un autre chemin.


La différence entre entraîneur et mentor, que l'un ne s'intéresse qu'au sport et que l'autre s'intéresse à toutes les choses qu'une personne peut accomplir, quelles qu'elles soient, est le tournant de pensée qui emmène Max sur une autre voie où il prend lui-même en main cette capacité à mentorer qu'on lui a transmise. L'intervention d'un partenaire plus jeune, Pedro, replace aussi la fine limite qui peut se faire entre celui qui mentore et celui qui écoute, des positions interchangeables.


Par un concours de circonstances, Max vit en autarcie, se fait pousser la barbe et se laisse aller vers l'apprentissage de la paternité interchangeable (disons que l'implication émotionnelle de Max et Pedro va plus loin que le mentorat et l'amitié). Une vie tranquille jusqu'au retour d'un personnage de l'ancienne vie de Max. Pedro est très jeune et a d'autres raisons pour jouer au tennis que Max et qui dirait que ce sont de mauvaises raisons ? Certainement pas les marketeux qui veulent faire du fric avec l'histoire personnelle d'un gamin de 13 ans.


Une nouvelle idole se construit, Pedro, et l'idée simpliste que le père de Max était le cerveau de sa réussite et que Max était seulement sa main et sa marionnette donne un coup au culte. C'est vraiment dur à lire et ça démontre bien le revers du succès. Après deux ans sans contact avec Pedro, Max exige un match et il lui faut du courage pour se lancer sur le terrain quand les journalistes se permettent d'élaborer des théories fumeuses sur les raisons du match Max / Pedro.


Le match expose alors l'utopie durement mise en place marche après marche par Moreau : à mort le spectacle et l'écrasement de l'autre, vive l'élégance, la joie et l'échange !


Jérémie Moreau est vraiment un artiste à suivre. La griffe d'Inio Asano, plus perfectionniste, qui cherche à avoir un dessin reconnaissable et en même temps fait tout pour qu'aucun personnage ne puisse être confondu avec un autre, peut se mettre en confrontation avec la prospection de Jérémie Moreau qui change de dessin à chaque nouvelle œuvre, expérimente les couleurs et les genres et ne souhaite pas être reconnu par son dessin mais bien par sa capacité d'exploration.

Dagerwoman
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le 20 mai 2020

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