"Les Cigares du Pharaon", dans la version redessinée et coloriée, fut certainement durant une bonne partie de mon enfance mon "Tintin et Milou" préféré, tant ces aventures rocambolesques au rythme trépidant me semblèrent une sorte de parangon du genre : mêlant sans complexes la malédiction de Toutankhamon, Lawrence d'Arabie, les enquêtes d'Albert Londres sur le trafic d'opium, Henry de Monfreid (... dont je rappelle qu'un feuilleton mémorable de l'ORTF célébrait la vie dans les années 60, feuilleton qui me faisait également rêver...), Hergé poursuit sa peinture d'un monde encore inconnu, incroyablement périlleux, mais également joyeusement déréglé.. où tout est possible à son héros, même ceinturer un tigre féroce et l'enrouler dans une camisole de force, à mains nues, même parler aux éléphants à l'aide d'une trompette taillée dans un arbre, etc.! Le pouvoir de fascination des "Cigares du Pharaon", en dépit de l'invraisemblance totale de nombreuses situations, et de l'incohérence d'une intrigue soumise aux seules lois du coup de force, reste aujourd'hui tout-à-fait intact : bien supérieur aux précédentes tentatives d'Hergé, qui s'enlisaient comme on le sait dans la simplification politique ou même raciste, "les Cigares du Pharaon" nous raconte un monde fondamentalement mystérieux où s'affrontent pour notre plus grande joie maharadjahs, politiciens, savants fous, crapules capitalistes, fakirs, sectes encapuchonnées, tribus enturbannées. Un monde où tout était encore possible, aventure de rêve ou cauchemar, folie ou raison... mais où l'on peut désormais lire les prémisses de la part la plus obscure du XXème siècle : intolérance, obscurantisme, superstition, peur de l'autre, racisme, cupidité, nationalisme... Même si d'aucuns font aujourd'hui la fine bouche sur une technique narrative encore balbutiante, sur des personnages aux personnalités encore mal définies, ce livre puissant prouve qu'Hergé avait déjà la capacité de synthétiser mille faits d'actualité, de s'inspirer de mille personnages réels ou légendaires, et de construire un parfait objet de plaisir, mais également une véritable légende du siècle. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
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le 25 nov. 2016

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Eric BBYoda

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