Cet album est aussi simple que Le Secret de la Licorne était subtilement alambiqué. Pour la première fois depuis sa création, Tintin se lance dans une aventure... sans le moindre ennemi à l'horizon. Enfin, on fait bien une allusion à l'évasion de Maxime Loiseau, mais il s'agit d'un simple prétexte pour invoquer les moustachus siamois.


Dans ma critique de Tintin en Amérique, je soulignais à quel point le jeune reporter avait besoin de s'opposer à des méchants afin d'exister en tant que héros, et même tout simplement en tant que personnage. Il semblerait que ce paradigme bien connu ne soit plus tout à fait vrai à ce stade de ses aventures et que Tintin trouve à présent sa substance non plus dans la pure confrontation mais dans l'échange, le dialogue constant qu'il engage avec toute une pelletée de personnages secondaires particulièrement typés et qui symbolisent, en les caricaturant, les facettes les plus diverses de l'être humain.


Ainsi, les Dupondt représentent bien sûr la naïveté et la bêtise présentes en chacun de nous mais aussi la confiance en soi excessive de ceux qui croient connaitre le monde mais qui ne font que multiplier les préjugés jusqu'au grotesque. Côté qualités, on peut leur accorder celle du dévouement (il suffit de voir à quel point Haddock les réduit en esclavage dans cet album alors que ces pauvres bougres n'osent jamais se rebeller). Le capitaine, quant à lui, est un être contrasté, tiraillé entre la force (la colère, la passion) et la faiblesse (l'alcoolisme, la dépression), ce qui en fait un personnage à la limite des troubles bipolaires. Le personnage qu'introduit cette BD, enfin, Tryphon Tournesol, est un être génial, profondément rêveur et poétique, en décalage complet avec un monde qu'il ne comprend pas alors même que le caractère grandiose de son intelligence lui permettra d'accomplir le voyage ultime hors de la Terre quelques années plus tard...


Tous ces personnages, plus ou moins gravement handicapés au niveau de la communication (sauf Tintin, ce petit bhjgcvxg), s'embarquent à bord du Sirius à la recherche d'un trésor qui n'aura de cesse de leur échapper. Plongés dans une suite de non-évènements qui préfigurent Les Bijoux de la Castafiore, ces protagonistes vivront leur aventure au niveau de leurs interactions, emportées, exagérées, totalement ubuesques. Comment oublier les réactions de Haddock lorsqu'il comprend son échec, vers la fin de l'album ? L'une de ses plus belles colères, emplie d'une amertume et d'un cynisme qui achèvent d'en faire un personnage humain, désemparé et tragiquement drôle.


Quel est le but de cette vraie-fausse aventure, finalement ? Peut-être ramener nos héros à l'essentiel, à ce château de Moulinsart, double fictionnel du château de Cheverny, qui symbolise l'héritage de Haddock, la conquête de son identité et par là même le foyer de personnages jusque-là épars et profondément déconnectés. Dorénavant, c'est de ce lieu quasi légendaire d'où partiront la plupart des aventures qui suivront. Un lieu qui semble rappeler continuellement à ses hôtes le danger et la vanité de chercher le frisson d'un ailleurs alors que, en fin de compte, le véritable trésor se trouve déjà chez soi...

Amrit
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Méditation sur Tintin

Créée

le 20 oct. 2011

Critique lue 2K fois

48 j'aime

12 commentaires

Amrit

Écrit par

Critique lue 2K fois

48
12

D'autres avis sur Le Trésor de Rackham le Rouge - Les Aventures de Tintin, tome 12

Du même critique

Lost : Les Disparus
Amrit
10

Elégie aux disparus

Lost est doublement une histoire de foi. Tout d'abord, il s'agit du sens même de la série: une pelletée de personnages aux caractères et aux buts très différents se retrouvent à affronter des...

le 8 août 2012

230 j'aime

77

Batman: The Dark Knight Returns
Amrit
9

Et tous comprirent qu'il était éternel...

1986. Encombré dans ses multivers incompréhensibles de l'Age de Bronze des comics, l'éditeur DC décide de relancer la chronologie de ses super-héros via un gigantesque reboot qui annonce l'ère...

le 3 juil. 2012

98 j'aime

20

The End of Evangelion
Amrit
8

Vanité des vanités...

Après la fin de la série, si intimiste et délicate, il nous fallait ça: un hurlement de pure folie. La symphonie s'est faite requiem, il est temps de dire adieu et de voir la pyramide d'Evangelion,...

le 21 juil. 2011

91 j'aime

5