Very Sad Tripp

En 2022 l'auteur et dessinateur de BD Jean-Louis Tripp décide de se replonger dans le plus intime et le plus introspectif des sujets avec la mort de son petit frère alors âgé de onze ans lors des vacances de l'été 1976. Quarante cinq ans après les événements Jean-Louis Tripp nous livre un roman graphique d'une grande puissance émotionnelle qui oscille entre le récit clinique des événements et la profonde émotion d'une telle tragédie tout en s'interrogeant sur ces notions universelles du deuil, de la mémoire, du pardon, de la résilience et des regrets.

Sobrement intitulé Le Petit Frère et dans un noir et blanc profond tout juste réenchanté par quelques planches éparses en couleurs, Jean-Louis Tripp nous replonge déjà vers l'enfance de ses vacances d'été en famille ou tout semble rythmé par le farniente, l'indolence du temps suspendu et l'innocence. Une bulle intemporelle de joies futiles et de plaisirs utiles soudainement frappé de plein fouet par l'inattendue, celui d'un accident aussi imprévisible qu'incompréhensible sur une petite route départementale de Bretagne avec un chauffard qui roule trop vite et qui s'enfuit laissant derrière lui une famille dans le désespoir. Le Petit Frère est un récit froid, presque clinique des événements qui sans pathos ni fioritures raconte l'insoutenable attente des secours, les espoirs futiles, puis la colère de l'injustice, l'incompréhension et la mort. Dans l'équilibre parfait entre le texte et le dessin, Jean -Louis Tripp semble très vite trouver le rythme adéquate, il est simplement des temps pour parler, s'exprimer, vouloir comprendre et d'autres pour se taire et laisser le silence et l'émotion remplir tout l'espace. Les cases semblent parfois trop petites pour embrasser tout ce silence pesant, ce besoin de simplement s'embrasser s'étreindre sans plus rien dire. Le Petit Frère contient quelques pages qui comme ça vous cueille à froid dans l'émotion, le silence assourdissant du deuil et le recueillement, des cases et des dessins que l'on regarde avec les yeux aussi humides et emplis de larmes que les protagonistes eux mêmes figés dans leurs douleurs et la dignité. Ces regards bouleversants et ses gestes maladroits comme le sont toujours ceux de celles et ceux qui s'embrassent mal faute d'être toujours à l'aise en traînant leurs sentiments blessés comme des ailes trop grandes , Jean Louis Tripp les capture avec l'acuité d'un scalpel et la pudeur vaporeuse de l'aquarelle. Le Petit Frère même si il est le récit d'une tragédie particulière touche souvent à l'universalité des sentiments et quiconque aura connu le deuil se retrouvera dans ces instants saisis et capturés à l'éternité qui s'éteint. Toutes ces conventions futiles et si importantes, ses fleurs qui tentent de colorer la noirceur, ces remerciements à penser, ces gens à retrouver, ces moments suspendus de tristes retrouvailles, Jean-Louis Tripp capture tout ce qui fait l'étrange cérémonial du deuil et il n'est pas rare à la lecture de cette œuvre aussi sincère que profond de refermer l'ouvrage pour respirer un temps et se laisser soit même porter par une profonde et insondable tristesse.

Si les pages qui concernent directement le deuil et le cérémonial de l’enterrement sont de loin les plus bouleversantes, Le Petit Frère est aussi une BD qui parle de reconstruction et du besoin de dépasser la tristesse mortifère du deuil pour reconstruire la vie. Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité Jean Louis Tripp nous emporte dans cette épopée familiale tout autant au cœur de la vie qu'au plus profond de la mort. Les petits instants de confidences, de solidarité entre frères et sœurs, les aveux désarmants d'une litanie de pourquoi et de regrets ne font que dessiner la nécessaire et profonde volonté de vivre pour que jamais la mort ne gagne totalement la partie. Le Petit Frère est un roman graphique aussi sombre que lumineux qui porte en lui de dérisoires espoirs et de profondes cicatrices qui forgent nos vies à l'aube de notre profonde humanité.

Le Petit Frère est un très beau livre qui nous rappelle que nos émotions, nos cicatrices et nos peines aussi douloureuses et abruptes soient elles sont aussi le signe que nous sommes encore profondément VIVANTS !