Le Garage hermétique
7.9
Le Garage hermétique

BD franco-belge de Jean Giraud (Moebius) (1979)

"Don't get to confortable in your toes..."
Proverbe pédicure


Le garage hermétique est une sorte de cadavre exquis tout seul. Une BD improvisée, dont l'auteur ne se prive pas d'ajouter encore et toujours des éléments qui viennent mettre à l'épreuve la cohérence de l'ensemble.


Le major Grubert se bat pour la cohérence du Garage Hermétique (sorte d'immense météore fantasmagorique aménagé sur 3 niveaux), tandis que Sper Gossi monte des plans pour mettre à mal l'ordre de Grubert. L'ingénieur de Sper Gossi échoue à réparer un planeur (sorte de vaisseau en patchwork gonflé, du genre qui explose toujours pour un oui ou pour un non) et s'enfuit pour ne pas être puni. Il erre dans ce monde accompagné de l'Archer. À cela s'ajoute l'existence d'un étrange et puissant magicien qui voudrait redonner au Garage Hermétique son autonomie ; une Mouche Noire, comme un double Vegéta du major Gruber ; et d'autres personnages encore, qui semblent tous avoir un rôle à jouer dans cet univers qui se déroule sous nos yeux, voir des projets pour celui-ci.


Mon édition en couleur est dotée d'une introduction où Moebius explicite un peu sa démarche, semblable à celle de Joyce à certains égards, qui disait travailler avec des tas d'allumettes qu'il ramasse au cours de ses errances, et qui ne prennent forme que plus tard dans l'écriture.


Moebius explique, pour cette BD, qu'il se jetait avec exaltation sur la feuille, parfois sans croquis préliminaire, qu'il remplissait ainsi des pages ou des doubles pages, et qu'il repoussait la cohérence du tout toujours au mois prochain.


Il avait commencé, pour le magazine Métal Hulrlant, à produire une sorte de satire sociale, au sujet de français de classes moyennes qui partent à la plage. Il explique qu'il y a trouvé matière à exercer cette ironie à laquelle il tient, mais qu'il a trouvé dans la science-fiction ensuite un moyen d'exprimer ses délires métaphysiques.


Les nouvelles pages semblent apparaître toujours comme pour éventrer l'histoire en cours, et faire un appel d'air. Moebius repousse la cohérence, dit-il, à un terme avant lequel le sentiment d'instabilité est propice à la création. Il explique donc dessiner et écrire parfois pour se saboter, histoire de se mettre à nouveau au travail, et enfin dans une quête de cohérence au sein de la difficulté qu'il s'impose.


D'où le florilège d'audace et d'inventivité auquel on est confronté chez Moebius, majeur dans le monde de la bande-dessiné.


Certaines pages parfois sont tout à fait métas (je pense, par exemple, à la double page où le majeur Gruber se félicite de son œuvre, et avoue ainsi ne plus rien avoir à craindre de la matière, tandis qu'un pot de peinture lui tombe dessus et le recouvre entièrement de peinture rouge), et on peut être tenté d'appréhender l'œuvre entière sous ce filtre. C'est un filtre parmi d'autres, mais il est vrai que cette bande-dessinée semble parler d'elle-même, incarner des personnages comme autant de tensions qui composent son processus de création. Elle semble accéder à une forme d'autonomie comme le Garage Hermétique lui-même.


L'ironie tient ce monde tendu, elle nous rappelle qu'il y a un jeu en cours, que l'auteur ne se prend pas trop au sérieux sur ces plaques tectoniques qu'il passe son temps à déplacer. Ironie essentielle au lecteur pour qu'il ne cherche pas à aborder trop sérieusement les mots qu'il ne comprends pas, par exemple. Ironie essentielle à l'auteur lui-même, je pense, pour ne pas céder trop tôt sous le désir de cohérence, et nous fournir une centaine de pages toutes plus fascinantes et surprenantes les unes que les autres.


Je lisais une critique expliquant qu'un peu de retenue n'aurait pas fait de mal à l'histoire pour que l'œuvre soit parfaite. D'un côté je plussoie à cette remarque ; d'un autre côté je me demande : la retenue narrative, dans le cas de cette œuvre, ne serait-ce pas suffisant pour que le météore s'écroule ?

Vernon79
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le 25 mai 2020

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Vernon79

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